[MUSIQUE] >> Docteur Diagana, bonjour et merci d'avoir accepté de venir donner un cours, dans notre série des villes africaines. Vous allez nous donner le cours sur les quartiers précaires, pendant 4 semaines. Mais, j'aurais tout d'abord, avant de vous donner la parole, quelques questions à vous poser, quelques questions, je dirais générales, sur la situation des quartiers précaires dans les villes africaines. On dit que c'est un problème central dans les villes africaines, on dit que c'est un problème qui est à l'agenda, on dit que c'est extrêmement important de traiter les questions des quartiers précaires, qu'en est-il exactement? >> Merci Monsieur Chenal, c'est un plaisir pour moi d'être ici et de participer à ces enseignements. Pour répondre directement votre question, on dit que la question des quartiers précaires est centrale, aujourd'hui dans les villes africaines, pour plusieurs raisons. D’abord parce qu'on a pendant longtemps magnifié, glorifié les villes, en étant les lieux du progrès par excellence, les lieux de l'émancipation, les lieux de la modernité, et puis on se fait rattraper par la progression de ces quartiers où sévit la misère, l'insécurité et les interrogations sur le futur. À ce sujet-là, les villes d'Afrique, comme les villes du monde, ont été sur l'agenda international depuis 1976, la première conférence à Vancouver, ensuite à Istanbul en 1996, ensuite Rio, ensuite récemment, mais il y a déjà presque 15 ans, à New York, lorsqu'on s'est rendu compte que cette question de la pauvreté, qui est celle de ces quartiers précaires dans les villes, devient une question centrale de développement. Mais il faut également traiter cette question-là à plusieurs niveaux. Les quartiers précaires, ça était d'abord les quartiers des pauvres, mais on se rend compte que de plus en plus, il n'y a pas que des pauvres qui habitent dans ces quartiers. Donc, ça nous oblige à nous interroger d'une part sur leur signification, sur la portée dans les villes africaines. En second lieu, la problématique essentielle des quartiers précaires est une question de logement. Alors, quand vous touchez à la question du logement, vous touchez automatiquement à la question foncière. Et en la matière, les villes d'Afrique ont énormément à faire sur ces aspects, compte tenu des difficultés d'accès au foncier, compte tenu de la faiblesse de production de logements, compte tenu du manque de dispositifs pour créer des logements adéquats, c'est ce qui fait que la question des quartiers précaires est extrêmement essentielle aujourd'hui dans nos villes africaines. >> Mais alors, quelles sont les tendances? Est-ce qu'on est en augmentation? Est-ce qu'on est en diminution? On entend des chiffres un peu contradictoires. >> Alors, je crois qu'il y a déjà une chose essentielle à comprendre et à retenir. C'est que ce phénomène devient de plus en plus un phénomène du Sud. Il y a quelques cas dans les pays du Nord, des résidus de ce que l’on peut appeler des quartiers précaires, des bidonvilles, vous les appelez comme vous voulez. Mais ça devient une problématique des pays du Sud, essentiellement l'Afrique, l’Amérique latine, les Caraïbes. Alors là également, en paradoxe, pendant que ces quartiers diminuent en volume, en volume, c'est-à-dire leurs nombres dans ces différents pays, la proportion des habitants qu'elle concentre augmente. Donc grosso modo, on a 1 milliard d'habitants aujourd'hui dans ces quartiers dans le monde, 950 millions dans les pays du Sud et grosso modo 250 millions dans les pays d’Afrique. Donc, on voit que c'est encore un volume extrêmement important de population, qui touche à l'image des villes, mais qui touche aussi à l'essence même de ce que représentent les villes. D'une part, une volonté de faire de ces lieux de modernité, de croissance pour le développement, mais en même temps, ces lieux où se concentrent de plus en plus la pauvreté, alors que jusque-là cette pauvreté-là était l'apanage des milieux ruraux. >> On imagine les villes africaines, quand on parle des villes africaines, >> c’est qu’il y en a plusieurs, il n’y a pas une ville africaine. Est-ce que c'est la même chose pour les quartiers précaires? Doit-on parler du quartier précaire ou doit-on parler des quartiers précaires? Et quelles seraient les caractéristiques de ces quartiers? >> Voilà une des questions essentielles et qui a été au cœur du cours que j'ai proposé. D'abord, naturellement ces quartiers, ils sont à lier à des villes, ces villes sont à lier, à relier à des pays, qui sont dans un contexte, dans une évolution politique, historique, mais non déconnectés ce qui se passe à travers le monde. Alors, en termes de caractéristiques, il faut être très clair. Ces quartiers ont des traits communs, parce que ce qui les caractérise d'abord, c'est le dénuement, c'est l'absence de ce qui fait la ville, il n’y a pas d’eau potable, il n’y a pas d’électricité, il n’y a pas d'assainissement, il n'y a pas de ramassage d’ordures, et les services urbains, on va les chercher ailleurs, ce qu'on appelle la ville. Donc ça, c’est les caractéristiques communes. Je ne reviens pas sur ce que tout le monde décrit comme étant des enchevêtrements de tôles, de toiles, de matériaux de récupération, c’est vrai. Mais alors, si on rentre en profondeur dans ces quartiers-là, on va se rendre compte que chacun d'entre eux a une identité, de par les conditions de sa création, de par son évolution et de par aussi l'activisme à l'intérieur de ces populations, et de plus en plus des organisations de la société civile qui se battent et qui se mettent en affront par rapport aux politiques publiques. En ce sens, ils se ressemblent, mais d'un autre côté, chaque quartier a son identité propre et c'est cela aussi qui fait l'intérêt de ce genre d'études qui peuvent être comparatives, même si on manque cruellement de défauts aujourd'hui pour faire des comparaisons dans les différents pays d’Afrique. >> On vous comprend bien, sur l'augmentation et la diminution, le paradoxe >> du nombre de quartiers qui diminuait et de l'augmentation du nombre de ses habitants, proportionnellement aux habitants de la ville. On vous suit bien et on aimerait savoir, puisque c'est une question centrale, puisqu'il y a une augmentation, est-ce qu’il y a une réelle volonté politique de traiter de ces questions-là? >> Alors, là également, je pense qu'il faut, >> il faut être très réaliste. Les quartiers précaires ne datent pas d’aujourd’hui, donc les solutions naturellement qui ont été apportées, ont été des solutions séquencées dans le temps et qui s'adaptent au contexte du monde. Comme j'ai rappelé tout à l'heure, les grands agendas internationaux, c'est justement parce que les solutions ne paraissaient pas correspondre à ce qui se faisait de mieux. Pourquoi? Parce que, comment ont réagi les différents gouvernements par rapport à la création de ces quartiers, à leur diffusion dans l'espace des villes, c'est une affirmation de l'autorité, il faut faire disparaître ces quartiers, s'il faut faire disparaître la pauvreté, donc ce sont des politiques autoritaires de déguerpissement. Ce sont les politiques autoritaires de déguerpissement, qui ont été mises en œuvre un peu partout. Et puis finalement, on s'est rendu compte que ça coûtait cher et ça n'apportait pas forcément des résultats probants. Alors, de plus en plus, d'autres solutions ont été imaginées et parmi elles, cette solution de la réhabilitation, plus connue sous la restructuration, une restructuration qui semble faire aujourd'hui consensus. Pourquoi? Parce que d'une part, on a affaire à des pauvres et à chaque fois qu'on déplace des pauvres, on ajoute à la pauvreté, on les éloigne de leur bassin d'emploi, on casse des liens sociaux, des liens économiques, des liens de proximité. Et on réfléchit de plus en plus à maintenir ces populations sur place et à améliorer leurs conditions de vie, même si cela se différait dans le temps, par la longueur des procédures d'intervention. Mais cela n’est pas simplement du point de vue des pouvoirs politiques, il y a derrière les bailleurs, qui ont aussi lourdement pesé sur cette évolution, mais il y a également tout ce qui se fait sur le plan de la décentralisation et de la montée des pouvoirs locaux. Donc chacun y trouve son compte, en premier lieu naturellement, les habitants qui préféreront toujours rester là où elles sont, plutôt que d'aller ailleurs pour reprendre, à recommencer, à s’insérer dans la vie. >> Merci Docteur Diagana, je propose de ne pas aller plus loin dans cette introduction. On va maintenant vous écouter, laisser place à la première leçon. >> Je vous remercie à mon tour, si je peux juste me permettre une chose, c’est l'indulgence. Par rapport à une question essentielle, une question extrêmement complexe, ce cours est d'abord une introduction à la connaissance de cette problématique des quartiers précaires et à la compréhension des processus qui sont aujourd'hui en cours. Et nous espérons que ce cours va permettre de créer un forum, un dynamisme, des échanges, qui vont permettre d'améliorer les solutions qui sont expérimentées en cours.