Bonjour. Bienvenue au MOOC Restructuration des quartiers précaires des villes africaines. Notre vidéo d'aujourd'hui est consacrée aux déguerpissements. Jusqu'en 1960, la pauvreté se concentrait dans les espaces très circonscrits des villes africaines. Les quartiers précaires étaient alors considérés comme la manifestation d'une transition urbaine, et devaient rapidement disparaître. Et lorsqu'on s'est aperçu qu'il ne s'agissait pas d'un phénomène passager, des réponses ont été apportées souvent sous la forme de déguerpissement, une façon d'affirmer l'autorité de la puissance publique. Déguerpir les populations des quartiers précaires signifie, en effet, évacuer la pauvreté, détruire les quartiers qu’ils occupent. Cela signifie aussi déloger, éloigner, et pour parler de façon vulgaire, chasser manu militari, c'est-à-dire un déplacement autoritaire de populations souvent pour des raisons inavouées. Comment peut-on justifier ces opérations? Quelles procédures sont alors mises en œuvre? C'est ce que nous verrons dans le cours d’aujourd’hui. Nous examinerons donc cela suivant le plan que voici. D'abord, nous tenterons une justification de ces opérations de déguerpissements, nous examinerons ensuite les procédures d'évictions, qui sont mises en place, et enfin, nous nous appuierons sur quelques exemples pour nous édifier. Les déguerpissements des quartiers précaires interviennent aujourd'hui, avant tout, dans le cadre d'opérations de rénovation urbaine, particulièrement les centres-villes, dans le but de les embellir ou de soigner leur image. Il peut s'agir également d'opérations destinées à lutter contre l'insécurité et l'insalubrité des sites, et prévenir ainsi des catastrophes. Assez souvent, les raisons premières sont inavouables et l'amélioration des conditions de vie, des habitants des quartiers précaires, n'est qu'un prétexte pour libérer des emprises, qui sont devenues convoitées. Les expulsions interviennent toujours dans des conditions irrégulières. Les ménages concernés sont rarement informés du déroulement des opérations, et les démolitions interviennent parfois par surprise, quelques jours, voire quelques heures, après l'ordre de libération des terrains. Le marquage des constructions et des habitations à démolir est souvent l'affirmation de la détermination des autorités à poursuivre leur programme. En Côte d'Ivoire par exemple, les populations ont cru à un canular, du fait de la répétition des menaces d'évictions du quartier Gobelet à Cocody. Les expulsions sont ensuite massives et forcées, parce que les populations opposent toujours une résistance, dans ce qui se présente comme un bras de fer. Les autorités ont alors souvent recours aux forces de l’ordre pour assister les services techniques, chargés de l'exécution des programmes. Et ces déplacements forcés ne font l'objet ni d’un relogement, ni même d’un recasement pour soulager la souffrance des populations vulnérables. Comme exemple, nous pouvons prendre les cas des communautés urbaines de Yaoundé et de Douala. Les communautés urbaines de ces deux villes ont organisé, entre 2006 et 2008, des opérations de déguerpissement dans ces deux villes, pour mettre en œuvre des programmes d'embellissement. Les quartiers concernés étaient des zones d'habitat populaire, où les habitants avaient construit sur des terrains illégaux, négociés auprès d'intermédiaires urbains ou de chefs coutumiers des villages de la périphérie urbaine. Ce sont des milliers de personnes qui étaient concernées, comme à Djoungolo, Etetak, Ntaba à Yaoundé. Et récemment, en juin 2015, à la suite de fortes inondations, la communauté urbaine de Douala a entrepris des opérations de déguerpissement, dans le quartier de Maképè Missokè, dans le cinquième arrondissement de Douala, pour libérer les emprises des drains et prévenir ainsi les risques de catastrophes, particulièrement ceux consécutifs aux glissements de terrain. Ces images témoignent de la stupéfaction et de la désolation des populations, face à la décision radicale de démolition de leurs habitations. Les maisons, marquées d'une croix rouge, sont celles qui sont à démolir. Il s'agit selon la communauté urbaine de Douala, de toutes celles qui sont situées sur les drains, aux alentours de ceux-ci, en empêchant ainsi le bon drainage des eaux de pluie. Les populations, totalement désemparées, essaient de récupérer dans la hâte, ce qu'elles peuvent. Elles voient entrer en matière des bulldozers, souvent de manière chaotique et improvisée. Le second exemple est celui de la Côte d'Ivoire. À Abidjan en effet, c'est l'identification, en 2012, de 52 sites à risques, qui avait conduit le ministère de la construction du logement, de l'assainissement et de l'urbanisme, à mener des opérations de sécurisation, dans 5 des 13 communes d'Abidjan. À savoir Cocody, Adjamé, Abobo, Yopougon et Attécoubé. On enregistrait, en effet, chaque année, des morts, suites à des glissements de terrain. Officiellement, les ménages concernés par ces déguerpissements recevaient une indemnisation de 150 000 francs CFA, soit l'équivalent d'environ 250 Euros, ce que contestent les populations qui dénoncent la violence et la brutalité des opérations, qui sont conduites sans compensation, aucune. Les quartiers sont littéralement rasés, les murs réduits en poudre pour décourager toute velléité de retour. Il faut dire que nous sommes ici à Gobelet, un quartier précaire installé au centre de Cocody, le quartier le plus chic d'Abidjan. Ces illustrations sont donc celles du quartier Gobelet à Abidjan où les constructions sont rasées, réduites en poudre pour empêcher les populations de revenir sur le site et de tenter une nouvelle colonisation au pied des immeubles du quartier résidentiel de Cocody. Le troisième exemple est celui de la ville de Ouagadougou. Le projet ZACA est une opération qui concernait la rénovation du centre-ville d'Ouagadougou, par l'aménagement d'une zone d'activités commerciales et administratives. La première phase de cette opération remonte à la période de révolution entre 1984 et 1987, et visait à stopper les extensions du tissu urbain non loti. Un périmètre de 120 hectares a ainsi été délimité pour la conduite de cette première tranche, et nécessitait la démolition de nombreux quartiers anciens, comme Bilibambili ou encore Tiapalgo. Ce sont ces démolitions qui ont permis la construction des cités An III et An IV, pour ceux qui connaissent Ouagadougou. La deuxième phase du projet a été exécutée à partir de 2004. 80 hectares supplémentaires étaient concernés et portaient ainsi l'emprise de la zone de projets ZACA à 200 hectares, en plein cœur de Ouagadougou. Cette seconde tranche de travaux a également nécessité de raser d'autres quartiers, comme Zangoutin, Kansaonghin, Peuloghin ou encore Koulouba. En guise de conclusion de cette vidéo, nous pouvons dire que les opérations de déguerpissement posent à chaque fois la question de leur légitimité, de celle des procédures utilisées. Pourquoi chasse-t-on, en effet, des citadins démunis de leur lieu d'habitation? Et que deviennent-ils par la suite, en dehors de toute prise en charge, dans le cas d'opérations de relogement ou de recasement? Les déguerpissement sont souvent accompagnés de troubles, car aux yeux des populations, cela se résume toujours à une décision injuste, qui n'a comme résultat que d'accroître leurs difficultés de survie et d'insertion dans les villes. [AUDIO_VIDE]