[BRUIT] Nous sommes arrivés maintenant à la dernière partie de notre exposé, qui est consacrée aux trois vertus interculturelles par excellence. Ces trois vertus interculturelles sont, pour moi : l'élasticité, la curiosité, et l'empathie ; mais ces trois vertus sont au service de quelque chose. L'élasticité est au service de la simplexité, la notion sera expliquée tout de suite après. La curiosité est au service de l'attente de l'inattendu. L'empathie est au service de la médiation. Regardons maintenant les trois vertus, comment on peut les expliquer. L'élasticité doit être au service de la simplexité. Qu'est-ce que c'est la simplexité? Pourquoi se servir de ce concept? Pour mieux réagir aux incidents critiques et malentendus interculturels. Nous verrons tout de suite dans quelle mesure ce concept peut nous aider à mieux agir. Le constat est le suivant : dans nos interactions de tous les jours, nous faisons face à l'expérience de la complexité des situations interculturelles et nous y sommes toujours confrontés à notre rationalité limitée, selon l'expression de Herbert Simon. Cette rationalité est limitée : nous n'avons jamais tous les éléments à notre disponibilité pour expliquer exactement ce qui se passe. L'humain, le vivant, est trop complexe pour y arriver. Mais comment faire alors? C'est la solution que propose Alain Berthoz avec son concept de simplexité, qui nous permet d'avoir une idée adéquate de nos options d'agir face à l'incertain. L'incertain, voilà : vous voyez cette image, vous êtes devant quelque chose que vous ne comprenez pas. Vous pouvez émettre des hypothèses, le prendre pour l'art moderne, abstrait. Maintenant, je vais vous montrer comment on peut comprendre la simplexité avec cette première partie qui va se clarifier au fur et à mesure qu'on avance. Selon Alain Berthoz, la nature du vivant est caractérisée par le fait de rendre possible l'action par des processus simplexes, qui sont régis par plusieurs principes, comme le premier : l'inhibition. L'inhibition, c'est quoi? C'est un arrêt de notre action, nous ne faisons rien au lieu d'agir. Dans cette situation, ici et maintenant, dans le présent, on est confronté à cette question de que faire, et nous ne faisons rien au lieu d'agir. Pourquoi? Parce que nous ne savons pas vers quoi on veut aller après le moment présent, dans l'avenir proche. L'inhibition est donc un processus de la simplexité. Le deuxième, c'est l'anticipation. Nous nous posons la question de que faire dans une situation de notre présent, ici et maintenant, et nous faisons donc une anticipation, nous imaginons ce qu'on va faire en anticipant sur une autre situation qui est plus loin de nous dans le temps mais que nous souhaitons atteindre. Avant d'agir, nous anticipons. Troisième processus, la spécialisation. Nous avons trois méthodes spécifiques à notre disposition, A ou B ou C. Nous réfléchissons et nous choisissons la méthode B, qui nous semble la plus adaptée. Nous réfléchissons donc, avant d'agir, de quel outil, de quelle méthode, de quelle façon, nous allons procéder pour arriver à notre but, et nous sélectionnons une seule démarche. Quatrième processus : le détour. Très important, et facile à expliquer avec la situation suivante : vous voulez prendre le métro pour aller quelque part dans un temps prévu, mais le métro est bloqué, il n'y aura plus de train toute la journée. Que faire? Le détour nous peut nous aider très rapidement. Au lieu de prendre la ligne prévue, nous prenons la ligne 5, 7 et 12, nous faisons un grand détour mais nous arrivons à l'endroit où l'on veut aller, peut-être avec un ****, mais on y arrive, et donc c'est grâce au détour que nous arrivons à réaliser notre but. Dernier et cinquième processus, c'est celui de la coopération. Nous avons, autour de nous, des personnalités différentes, chacune veut aller dans une autre direction, et nous arrivons à créer la coopération dans l'avenir, l'étoile signifie une concertation, une coopération efficace, qui englobe toutes les directions et qui permet une action commune. Donc, pour Alain Berthoz, ce qui est très important, c'est qu'à travers ces processus, ces choix de processus dans une action donnée, nous arrivons à réaliser l'acte désiré, parce qu'à travers ça, notre action permet de faire émerger le sens de ce que nous souhaitons réaliser, et il a une très belle phrase qui explique ce que c'est la simplexité : la simplexité anticipe plutôt qu'elle ne réagit, elle est adaptative plutôt que normative, elle est probabiliste plutôt que déterministe, elle tient compte du corps ému, du temps vécu, et de la conscience claire. Elle prend aussi en compte le contexte, elle part du sujet, permet le changement de point de vue et la création. En un seul mot, elle dépend de notre élasticité. Deuxième vertu, la curiosité, qui, elle, est au service de l'attente de l'inattendu. Pourquoi faut-il attendre l'inattendu? Quand on est dans une posture adaptée à la complexité de l'interculturel, on est toujours en train de voir ce qu'on ne connaît pas, pas encore ou pas très bien, et quelque chose qui nous surprend, qui n'est pas attendu par nous-mêmes. Donc cette expérience, on peut aussi la caractériser comme une expérience de l'étrangeté. Le phénoménologue allemand Bernhard Waldenfels dit : répondre à ce qui est étrange est plus que comprendre un sens, plus qu'une communication guidée par des normes, aussi importants soient ces formes d'échange ; une expérience interculturelle se dilue en un interculturalisme très superficiel si elle ne passe pas par une pause ; une pause de quoi? Une pause de réflexion, de résonance, provoquée par une surprise, un étonnement face à l'étrangeté d'une expérience inattendue. On peut dire, avec Waldenfels, que l'étrangeté est un pathos qui nous arrive de dehors et qui nous met hors de nous, elle déplace notre propre moi, et nous avons besoin de le situer à nouveau et de le comprendre, et parce que nous sommes curieux, nous comptons avec cette expérience potentielle et nous voulons même la vivre. Donc on peut résumer cette expérience interculturelle par rapport à l'étrangeté comme une combinaison de notre curiosité face à une surprise, qui provoque une résonance entre nous et ce qui nous est étrange, et qui provoque donc, justement, qui produit, cette expérience de l'étrangeté, de quelque chose qui était totalement inattendu. Troisième vertu, l'empathie au service de la médiation. Définissons d'abord ce que c'est l'empathie : l'empathie est la capacité à ressentir une émotion qui est appropriée en réponse à celle qui est exprimée par autrui ; en plus de ce ressenti de l'émotion de l'autre, il faut aussi être capable de dissocier le soi et l'autre et de réguler ses propres réponses émotionnelles. Je ne suis pas en contagion émotionnelle, j'ai bien conscience que l'émotion que je ressens, ce n'est pas la mienne, c'est celle de l'autre, et donc je peux la ressentir sans me fondre dans l'autre. On peut faire la différence entre deux formes d'empathie : l'empathie émotionnelle et l'empathie cognitive. L'empathie émotionnelle désigne les réponses affectives de l'observateur, sa propre émotion, face à l'émotion d'autrui, et l'empathie cognitive se réfère à la capacité d'adopter la perspective de l'autre ainsi qu'à des processus de régulation. Je peux donc devenir médiateur, et voilà , le mot arrive. Constat concernant la médiation : finalement, selon les chercheurs en neurosciences, en sciences sociales, et selon aussi l'avis des phénoménologues en philosophie, vivre veut toujours dire être enveloppé en permanence dans un processus de médiation incarnée et située. Incarnée, c'est-à -dire le corps joue un rôle, et aussi située, c'est-à -dire l'histoire joue un rôle, une situation est toujours un évènement qui est venu et qui a son histoire. Avec Yves Citton, on peut dire que la médiation est partout, mais sous forme diffuse, puisque nul ne peut être un bon collaborateur de quelque entreprise que ce soit s'il n'a pas acquis une certaine compétence de médiateur. Définissons là aussi la médiation pour notre propos : une médiation est une intervention qui propose d'organiser les échanges entre différents acteurs en vue de construire des solutions mutuellement acceptables, afin d'améliorer la qualité relationnelle au sein d'un groupe. Ces processus de médiation, on peut les structurer avec quatre étapes. En règle générale, il y a toujours, forcément, une analyse en profondeur de la genèse du problème, il y a, encore une fois, on retrouve le mot imaginer, il y a une imagination du plus grand nombre de solutions, et ceci doit permettre de les évaluer, ces différentes solutions potentielles, et d'en proposer une seule pour pouvoir avancer et agir, idéalement dans l'intérêt des parties prenantes. On peut donc résumer la dynamique interculturelle vertueuse avec ce schéma. Vous avez l'élasticité qui est au service de la simplexité, qui anime aussi et provoque la curiosité basée sur l'attente de l'inattendu, et qui nous crée une capacité d'empathie et de médiation. Ceci ne va pas sans l'autre : les trois sont intimement liés et se renforcent dans une spirale positive et vertueuse. Hermès me dit que nous sommes arrivés à la fin de notre parcours et de notre présentation avec ces trois mots clés : élasticité, curiosité et empathie, qui se conjuguent pour nous permettre d'agir au mieux dans une situation de médiation interculturelle toujours plus au moins complexe. Pour enrichir notre réflexion, écoutons à nouveau Philippe Pierre et Michel Sauquet, avec leurs réponses à la question concernant leurs trois mots clés de l'interculturel. La troisième vidéo montrera la réponse de Philippe Pierre, et la quatrième, celle de Michel Sauquet. [MUSIQUE]