[BRUIT] Passons donc peut-être au deuxième thème qu'on veut expliciter, qui est le conflit. Notre culture occidentale connaît un aphorisme d'un philosophe qui est toujours souvent cité, c'est l'aphorisme de Héraclite qui dit, dans une traduction un peu libre qui dit : c'est le combat qui est l'origine de toute chose. Est-ce que ça nous parle, à nous dans notre travail sur l'interculturel? Est-ce que le conflit est toujours une origine du devenir, de quelque chose qui va venir, du nouveau, ou est-ce qu'on peut aussi éviter le conflit et être créatif et productif sans conflit? Qu'est-ce que vous en pensez? >> Je profite que cette citation d'Héraclite, évidemment, nous parle beaucoup, correspond bien à un état d'esprit que je n'oserais pas dire occidental parce que je ne veux pas non plus généraliser, et puis l'occident est un ensemble tellement divers, mais en tous cas assez français. Nous aimons bien le conflit : pour nous, le conflit, c'est quelque chose qui est toujours utile, et dans une réunion, si je reste sagement à ma place, écoutant les autres, prenant des notes, ne cherchant pas à brusquer qui que ce soit, on va peut-être penser de moi que je suis mou, que je n'ai aucun courage, etc., tandis que si je lance des anathèmes, si je provoque, etc., dans ma psychologie de français, encore une fois c'est une généralisation mais je crois qu'il y a un petit peu de vrai là -dedans puisque ça stupéfie beaucoup de nos voisins et y compris européens, notre comportement dans les réunions, si je ne vais pas dans la provocation, je ne fais pas avancer le débat ; le courage, c'est la provocation. Pour d'autres, le courage c'est, au contraire, d'avoir le courage d'écouter, de prendre son temps, de dialoguer. Il y a plusieurs aspects dans le conflit, je crois. La question du conflit, d'abord je voudrais commencer par la question du désaccord. Est-ce que on exprime ouvertement un désaccord, publiquement, dans nos cultures? Jorg, aux Ponts et Chaussées, à l'école des Ponts, il y a quelques années, dans ce séminaire où tu avais la gentillesse de m'inviter et dont je garde un souvenir magnifique, nous étions en train de parler de cette question du désaccord, à un moment donné. Il y avait là deux étudiantes chinoises charmantes, très gentilles, et assez lâchement, je leur dis : mesdemoiselles, il est 10 heures du matin, on devait avoir une pause à 11 heures mais on aura pas le temps parce qu'on a beaucoup de travail, et puis vous savez, on aura pas le temps de déjeuner non plus parce qu'il faut vraiment qu'on voie beaucoup de choses, et vous pensiez être libérées à 16h30 et en fait, sans doute que le cours va durer jusqu'à 19h ou 20h. Comment, mesdemoiselles, réagissez-vous? Qu'est-ce que je vais lire sur vos visages, comment ça va se passer dans votre culture? La réponse extraordinaire que j'ai eue, c'est : où est le problème? Vous êtes le professeur, nous sommes les étudiantes, donc vous dites ça, on va le faire, il n'y a pas de problème. J'avais été très impressionné ; j'avais eu l'occasion d'aller en Chine une ou deux fois auparavant, donc j'aurais dû me douter de ça, j'aurais dû me douter qu'on n'affronte pas un professeur ou quelqu'un de plus âgé, qu'on n'exprime pas son désaccord si facilement que ça, qu'on ne prend pas le risque de perdre de la face ou de faire perdre la face à l'autre, donc j'aurais dû m'attendre à ça, mais ça m'avait beaucoup frappé et, quand je dis que la culture évolue, je m'empresse d'ajouter que bien entendu, je cite le cas de deux personnes, que ça n'est pas représentatif de la culture chinoise en général, et que probablement, les étudiants chinois dans nos écoles françaises réagissent de moins en moins comme ça, mais quand même, ça disait quelque chose. Donc est-ce qu'on exprime un désaccord en public? Non, pas toujours, [INCOMPRÉHENSIBLE], ça fait bien, c'est bon, c'est courageux, mais ce n'est pas comme ça partout et y compris dans les cultures collectives parce que, Philippe, on parlait tout à l'heure de la distinction entre culture plutôt individualiste et culture plutôt collective, et de mon point de vue, c'est quand même le grand écart qu'on va retrouver sur tous les autres thèmes : le temps, le rapport à la nature, le rapport au travail, etc. ; la différence quand même, parce qu'il y en a une, entre culture individuelle et culture collective, et donc par exemple : c'est quoi le sens d'un oui? Si je dis quelque chose ou que je vous pose une question à l'un et à l'autre et que vous me répondez oui, j'en déduirai que un, vous avez compris la question que je vous pose, que deux, vous êtes d'accord avec moi puisque vous me dites oui, vous ne me dites pas non, vous dites oui. Peut-être qu'un petit peu plus de réflexion permet de comprendre que, dans d'autres cultures, le oui peut signifier autre chose : oui j'ai compris ta question, je vais en discuter avec mon collectif puis je te répondrai après, ou bien oui, tu veux que je te dise oui, je te dis oui, et puis fiche-moi la paix, ou bien, surtout, je pense, oui, je ne veux pas, moi, personnellement, en mon nom, dire oui, je veux que ce soit mon collectif qui dise oui. Donc méfions-nous de cela et rappelons-nous que dans certaines langues, le mot oui soit n'existe pas, soit est très, très rarement prononcé, et qu'on ne va pas dire forcément non, ça ne se fait pas. L'autre élément que j'aurais mentionné, c'est sur la différence des stratégies de réaction au conflit. Nous sommes beaucoup dans une stratégie, je pense, en France, de confrontation, puisque le conflit est toujours utile puisqu'il en sortira toujours quelque chose, puisque c'est presque un gage de démocratie, voilà , je rentre dans le conflit, je n'hésite pas à me confronter et il en sortira toujours quelque chose. D'autres cultures vont être beaucoup plus des cultures de recherche d'un consensus, c'est-à -dire prêtes à lâcher du lest, c'est-à -dire si je veux obtenir un résultat dans cette affaire-là , il faut que je sois prêt à lâcher du lest et que l'autre lâche un petit peu de lest, et puis on a cette culture de l'évitement. Je ne sais pas, Jorg et Philippe, on n'en a jamais discuté ensemble, mais si vous avez fait du judo dans votre vie, mais on aurait pu faire une démonstration, et on verrait que le judoka, moi j'ai eu l'occasion d'en faire, quand quelqu'un vient à lui de manière un peu agressive, le judoka ne va pas le repousser, au contraire : il va se servir de cette force d'agression pour le faire passer par derrière, et donc je trouve que c'est très illustratif, il faut se rappeler quand même que l'origine du judo est japonaise, mais de cette culture de l'évitement qui fait que ce n'est pas maintenant qu'il faut réagir. Là encore, on en revient dans la gestion du temps : le temps fera son œuvre, donc moi, on m'agresse, je ne vais pas répondre par l'agression parce que je vais peut-être risquer de faire perdre la face à cet adversaire putatif ou bien de perdre la face moi-même en lui faisant perdre la face, donc je laisse plutôt le temps passer et voilà . Naturellement, encore une fois, tout ceci ne dépend pas uniquement de là où on est né, où on a grandi, de nos civilisations d'origine, de nos cultures d'origine, mais ça peut dépendre aussi des milieux professionnels dans lesquels on travaille. Moi, j'ai longtemps travaillé avec des associations, dans le domaine humanitaire, des ONG, des associations de toute nature et y compris des associations pas du tout humanitaires, mais ce que j'ai compris, ce que j'ai observé et pratiqué, c'est qu'on est dans un milieu où on a un petit peu tendance à dire : écoutez, on est là dans un but social, humanitaire, on est pas là pour se taper dessus. Par conséquent, quand on a un conflit, on va avoir plutôt tendance à mettre la poussière sous le tapis, sauf que la poussière, à un moment donné, elle sort du tapis et que la cocotte-minute explose, et à ce moment-là , et cela je peux témoigner du nombre de directeurs d'associations qui ont été virés du jour au lendemain avec une violence extraordinaire parce que le conflit avait éclaté dans un milieu associatif, mais je pense que dans le milieu de l'entreprise, mais Philippe, tu vas me compléter là -dessus ou me contredire, comme on est un petit peu plus carré et qu'on dit un petit peu plus les choses, peut-être que les conflits, d'une certaine manière, se régulent mieux. Je ne sais pas ce que tu en penses. >> Il y a beaucoup de choses que j'ai notées en t'écoutant. D'abord, l'image du judo m'apparaît tout à fait intéressante par rapport à ce que nous venons de dire précédemment, comme tu l'as dit Michel, sur le rapport au temps. Quelqu'un qui va être dans une représentation séquentielle et linéaire va vouloir prévoir, va vouloir planifier, et puis, la figure de celui qui accompagne sur ce tatami la force de l'autre pour cesser de se poser en s'opposant, figure peut-être occidentale classique, mais d'une certaine manière pour accéder à un même mouvement, va paraître tout à fait intéressant, et là un auteur comme François Jullien, je sais Michel, je sais Jorg, que vous appréciez aussi beaucoup, ses réflexions. Elles me semblent très, très utiles, notamment son livre que je viens de terminer, Traité de l'efficacité. Voilà , c'est la première chose. La deuxième, dans le champ de l'entreprise privée, ce que tu exprimes Michel, ces rapports antagonistes entre centre et périphérie, siège et filiales me semblent tout à fait intéressants aussi d'observer. Quand on analyse le traitement des différences de façon schématique, on pourrait distinguer à mes yeux trois postures. La première posture serait une posture que nous pourrions appeler ensemble en ayant bien, bien conscience que c'est un raccourci, nous suspendons le temps pour accéder à ce qu'on va appeler la culture, c'est toujours une suspension de jugement. La première approche serait monoculturelle. Je sais ce qui est bon pour toi, toi la filiale et moi le siège, toi le jeune et moi l'ancien, et d'une certaine manière je te demande de devenir ce que je suis pour ton bien. C'est une posture que l'on connaît bien dans l'histoire des peuples et que l'on voit à l'œuvre chaque jour à mon avis. Le verbe fort serait assimiler. Je te transforme en chose, mais là chose c'est moi. On est dans un processus qu'on pourrait appeler d'assimilation. Dans le meilleur des cas, on éveille l'autre à la culture, on le fait sortir de son ignorance et on lui accorde des clés de l'entendement. On partagera du coup une commune humanité. Ce serait l'universalisme. Dans le pire des cas, c'est l'impérialisme. Nous ne partageons pas une même commune humanité et on va hiérarchiser d'une certaine manière nos origines et nos conditions. Cette posture monoculturelle, c'est la posture de la rivalité et j'étais extrêmement sensible Michel à ce que tu viens d'exprimer. Cette habitude que, il me semble, j'ai pu acquérir très jeune et très vite dans la crainte de l'échec, c'est ma note, c'est ma copie, c'est mon évaluation où on se pose en s'opposant. D'une certaine manière, c'est toi ou moi et j'avais avec délectation dans L'intelligence de l'autre, un de tes ouvrages que j'ai beaucoup apprécié écrit avec Martin Vielajus, j'avais lu ça il y a quelques années, ça m'avait amené à aller à ta rencontre et je m'étais dit, mais quand même, ils ont drôlement raison. j'ai le sentiment que toute ma vie, je me suis posé en m'opposant. Il y a nous ou les autres, alors ça serait une posture monoculturelle qui me semble pour en sortir, toute la question, c'est savoir se connaître et pouvoir accéder à la raison des autres. Deuxième posture multiculturelle, là le verbe fort, on coexiste. Dans une entreprise, c'est clair, on aurait le premier étage de la comptabilité, le deuxième étage le merchandising et tout en haut, la direction avec des bureaux bien orientés. Là , on accepterait l'idée en fait que nous partageons certains éléments autour de l'argent ou de la langue, mais on ne va pas faire l'effort de se connaître dans nos trajectoires de vie, dans notre ressenti, dans notre vécu. Cette approche, on pourrait donc l'appeler de façon très schématique multiculturelle. On vit côte à côte et puis il y a ce qui nous rassemble, je le crois, ce serait une posture interculturelle, je ne vais pas vouloir te transformer en ce que je suis. j'ai bien conscience que ce serait un amoindrissement, ce serait peut-être d'une certaine manière en fait éviter le champ des possibles et c'est dommage. Je ne vais pas d'une certaine manière vouloir, je vais tenter de résister à la fascination que tu entretiens chez moi, mais en fait, je vais changer en échangeant sans me perdre ni me dénaturer, changer en échangeant sans se perdre ni se dénaturer, ça c'est une magnifique sentence d'Édouard Glissant à laquelle j'ai toujours été très sensible. C'est une philosophie de la relation. L'interculturel, c'est l'opportunité d'une rencontre. Ce n'est pas un rendez-vous, ça nous est cher aussi avec Michel, ce n'est pas un rendez-vous qu'on planifie. C'est une rencontre en fait à laquelle on s'attend. Et j'ai toujours été très influencé par cette phrase qu'on attribue à Claude Lévi-Strauss et que nous partageons, à près de 100 ans, l'important n'est pas d'ouvrir les autres à la raison, l'important est de s'ouvrir patiemment aux bonnes raisons des autres. S'ouvrir patiemment aux bonnes raisons des autres, ce serait dans une approche interculturelle créer un espace de parole, pour s'entendre dire des choses qu'on n'a pas envie d'entendre. Et ça, c'est une nécessité absolue dans le champ des organisations, c'est une obligation exigeante, difficile en ces temps troublés de crise sanitaire. Créer ces espaces de parole pour accéder à une vérité que nous échafauderions ensemble. monoculturel, j'assimile, multiculturel, nous coexistons, interculturel, moi mon verbe ce serait intégrer. Mais ça m'intéresse du coup de vous demander ce que ça serait pour vous, Michel, moi interculturel, on intègre, c'est-à -dire que d'une certaine manière j'ai besoin de l'autre pour accéder à une première connaissance de ce que je suis et changer en échangeant sans me perdre ni me dénaturer. Tu partages Michel cette force d'une certaine manière de l'intégration, qui n'est pas le danger de la reproduction. >> Oui, parce que ça rejoint l'idée de négociation interculturelle, socioculturelle, pardon, >> Socioculturelle, oui. >> qui est chère à pas d'ONG, notamment à Médecins du Monde, j'ai beaucoup, j'ai un petit peu travaillé avec eux, je les ai beaucoup entendus parler de négociation interculturelle, socioculturelle. Comment sans m'abdiquer moi-même, sans perdre mon identité, mes méthodes, etc., comment est-ce que je peux trouver avec l'autre du commun qui va me permettre, des références communes, éventuellement des valeurs communes qui vont nous permettre de travailler ensemble? Donc ça, ce sont des négociations socioculturelles qui ne supposent absolument pas de s'abdiquer soi-même au motif de ressembler à l'autre pour pouvoir travailler mieux avec l'autre. Parce que entre clones, on ne s'apporte rien du tout en réalité. Et quand tu cites Lévi-Strauss, quand tu paraphrases un petit peu ce que disait Lévi-Strauss, tu dis s'ouvrir patiemment, patiemment c'est important, aux bonnes raisons des autres, pas à toutes les raisons des autres, gardons aussi un esprit critique, une capacité de dire des choses sur lesquelles on peut négocier et d'autres non, parce que nous mettons en jeu des droits humains, des choses comme ça, et ça nous ramène encore une fois aussi, ce que tu as dit tout à l'heure de François Jullien, oui effectivement, c'est un auteur que nous pratiquons beaucoup, même s'il est difficile à lire, plus difficile qu'Édouard, [INAUDIBLE], mais écrivain très, très très intéressant, ce qu'il dit dans le Traité de l'efficacité que tu as cité tout à l'heure, François Jullien compare la culture traditionnelle chinoise à notre culture européenne, occidentale. Et d'ailleurs petite incidente, tous les travaux de François Jullien sur la Chine ont un but qu'il affirme assez clairement, c'est mieux nous connaître nous-mêmes à travers le détour par la culture chinoise. Il dit au fond, l'efficacité chez nous, c'est quoi? C'est maîtriser, et là on fait vraiment le lien entre le thème du temps et celui du conflit, c'est maîtriser les choses, maîtriser le temps, c'est imposer à la réalité un certain nombre de d'outils etc., pour arriver à un but qu'on aura défini auparavant. C'est ça l'efficacité, toute la planification, c'est beaucoup dans le comment ça s'appelle, le mot m'échappe là , le cadre logique, le cadre logique, c'est un véritable problème avec ça parce que pour moi, c'est l'illustration quasi caricaturale de cette volonté de planifier, de contrôler le temps, d'évaluer en fonction de ce qu'on avait destiné et de rien d'autre, comme si la vie n'existait pas etc., et François Jullien dit dans la culture traditionnelle chinoise, l'efficacité non, c'est la vague du temps, c'est le laisser-faire, c'est laisser le temps agir, c'est intervenir quand c'est le bon moment, peut-être plus tôt que ne l'imaginent nos collègues occidentaux, mais peut être aussi beaucoup plus tard. C'est se faire du temps un allié et voilà , suivre la vague du temps. Ne rien faire ou du moins laisser le temps agir. >> Peut-être, oui. >> Oui, juste un mot, je suis sensible à cette possible facette du diamant interculturel, savoir énoncer à l'autre ce sur quoi je ne transige pas. Savoir énoncer à l'autre, savoir dire à l'autre ce sur quoi de mon point de vue, avec ma trajectoire, je ne transige pas, ça me paraît une des portes d'entrée possible de la négociation socioculturelle dont tu parles Michel, mais ça exige en fait l'accès à ces grilles de questionnement, ces sortes de calque qu'on doit superposer pour pouvoir se connaître en sa singularité et c'est notamment ce que tu évoques, Michel, m'inspire. >> Oui, Jorg. >> Oui, juste je souhaite revenir un peu sur la question du conflit à partir de mes expériences d'Allemand en France, quand Michel tu as dit que les Français sont connus pour leur tendance conflictuelle, on cite souvent les jours de grève comparés avec d'autres pays, donc effectivement il y a dans le fonctionnement de la société une tendance à faire grève avant de négocier, c'est-à -dire déjà on montre la force avant même de se se réunir pour discuter de quoi il s'agit, alors que l'esprit allemand est plutôt négocier, négocier, négocier, la grève, c'est vraiment l'ultima ratio, c'est-à -dire quand plus rien ne va, là on va faire grève. Et donc, on est plutôt dans une tendance de dire explicitement ce qu'on veut avant d'agir, on négocie, et on fait grève après, alors que côté français, c'est plutôt une tendance à jouer sur l'implicite, c'est-à -dire on est sur nos forces déjà en faisant grève, on ne sait même pas très bien de quoi il s'agit explicitement, mais c'est implicite, on teste la force de l'autre, voilà . Alors ça, c'est une réalité qui est vérifiable, qui caractérise la vie sociale. Par contre, et en contrepoint par rapport à cette réalité-là , moi j'ai plutôt vécu autre chose, c'est-à -dire dans les hiérarchies, il y a une étrange absence de volonté de vivre les conflits, c'est-à -dire on a quand même dans les institutions publiques, peut-être moins les entreprises, mais une hiérarchie assez pyramidale un peu calquée sur le système royal, le roi, le directeur est le roi et il ordonne et les autres exécutent et on n'est pas tellement bien vu si on provoque un conflit, on dit explicitement ce qu'on ne trouve pas bien. C'est très clair qu'une critique au mauvais endroit face à un supérieur hiérarchique peut être très mal vécue en France, en tout cas dans les milieux que moi j'ai fréquenté et jusqu'aujourd'hui, 40 ans après mon arrivée en France presque, j'ai toujours un peu ce besoin de m'adapter, de trouver la bonne façon d'être explicite et de dire ce que j'en pense, en évitant de blesser l'autre parce que le but n'est pas de blesser personnellement un supérieur hiérarchique, mais de poser le problème, d'être dans la transparence du débat. un débat contradictoire pour moi est un débat qui affiche les arguments pour et contre sans que ce soit personnalisé et c'est une critique du supérieur hiérarchique etc., donc c'est un peu l'enjeu autour du conflit aussi de l'implicite, explicite. Qu'est-ce que je dois te dire? Face à qui et comment je peux reconnaître la volonté de mon supérieur hiérarchique de m'écouter ou de faire semblant de m'écouter, mais vraiment en étant déçu que j'ose exprimer ce que j'ai à dire, donc il y a là -dessus en grand travail à faire aussi quand on arrive je pense dans notre société, de sentir ces mécanismes entre l'explicite et l'implicite et ce n'est pas facile à formuler, mais je ne sais pas si vous partagez cette expérience. >> Si moi, je partage ce que tu exprimes et je pense toujours à des personnes qui arriveraient pour la première fois dans notre pays il y a, me semble-t-il, en habitudes culturelles dans un certain nombre de classes sociales peut-être ou chez un certain nombre d'entre nous, une vie découpée en pelures d'oignon, c'est-à -dire et là je reprends une formule qui était aussi chère à Edward T. Hall, dans son livre sur la proxémie et le rapport culturel à l'espace qui s'appelle La dimension cachée et moi je crois que nous sommes un certain nombre à vivre notre vie en distinguant deux sphères. La sphère des émotions, du ressenti, du vécu, de l'intime et ça c'est quelque chose qui peut rester dans le privé, dans le secret de l'isoloir et puis, on va prendre un rôle social, on va se préparer à endosser quelque chose qui est de l'ordre de la manifestation culturelle, de l'expression culturelle et donc du jeu, J, E, U. Et là , on va aller à la rencontre de la sphère publique. Quand j'étais directeur des ressources humaines en entreprise, j'ai pleinement conscience de fonctionner comme ça. Dans un univers de séparation des sphères et donc j'en étais acteur, du moins le pensais-je, et puis autre chose que tu as pu dire, d'ordonnancement hiérarchique et vertical du haut vers le bas où toute sa vie, on est au-dessus ou en dessous de quelqu'un. Catégorie A de la fonction publique, catégorie B, catégorie C. Cadres, cadres dirigeants, ils tutoient les étoiles, ils sont en état de lévitation, assimilés cadres, agents de maîtrise, ouvriers. Noblesse, clergé, tiers état, pourrait-on d'une certaine manière dire en associant les choses de façon rapide et éhontée. Ce que tu exprimes, Jorg, pour moi est de l'ordre aussi de la transformation. J'ai la chance en fait de rencontrer, donc de m'étonner, d'être d'une certaine manière à leur rencontre un étrange étranger. J'ai la chance de rencontrer des personnes qui ne fonctionnent pas comme ça, qui enchevêtrent les sphères, c'est-à -dire pour ces personnes, ce qui est social, par exemple, la rémunération de quelqu'un, pour moi, c'est intime, pas pour eux. Et donc mes étudiants notamment, les plus jeunes, mais aussi des personnes qui sont influencées par ce mode de fonctionnement vont me donner le sentiment d'enchevêtrer les sphères. Et là bon, c'est ce que je voudrais tout simplement évoquer rapidement, l'enchevêtrement des sphères, une autre chose, c'est qu'elle s'engage dans un collectif, un parti politique peut-être, un syndicat peut-être, une organisation de long terme peut-être, à la condition de singulariser leur apport, c'est-à -dire de dire très tôt, très vite ce qu'elles ont sur le cœur du point de vue du ressenti et du vécu. Voilà , ce sont, pour moi, d'autres grilles en quelque sorte ou d'autres, oui d'autres calques qui permettent d'appréhender quoi? La profonde singularité d'un parcours et les effets de transformation de la personne. L'homme que j'ai été monochrone, hiérarchique, pyramidal a la capacité un tout petit peu, car nous sommes un tout petit peu libres de nos affiliations et de nos enracinements en situation, troisième élément, la culture, la liberté de l'acteur et la situation, d'accéder à ce que Michel tu appelles avec Martin, l'intelligence de l'autre, c'est-à -dire un plaisir même à cultiver des personnages pour conquérir l'unité d'une trajectoire et ça c'est quelque chose alors qui nous amènerait au transculturel. C'est-à -dire à des personnes qui sont entre deux cultures, entre deux mondes, entre deux frontières et d'une certaine manière qui sont de passage et ça c'est quelque chose qui nous rassemble aussi beaucoup, je crois. >> Effectivement, je pense qu'aujourd'hui, je vois les choses comme tu les décris, c'est-à -dire la la création en fait >> Oui. >> d'un parcours de vie, on est créateur de quelque chose et unique et singulier et l'interculturel nous amène vers cette création de nous-mêmes. Alors peut-être qu'on peut passer à la posture, c'est-à -dire qu'est ce qu'on dirait, chacun de nous pourrait conclure avec trois mots clés qu'il préfère mettre au centre de sa réflexion. Je donnerai volontiers la parole à Michel qui a formulé les choses magnifiques sur cette question. Quelle posture développer? Alors peut-être permettez-moi de problématiser un peu le terme posture. Il y a quelqu'un, un auteur Feldenkrais qui a en fait créé le mot acture pour éviter la signification un peu figée et stable de posture. Je prends une posture, donc je ne suis plus en mouvement. Alors dans acture, un mot qui n'existe pas en soi dans la langue française, en tout cas, on le dit, met l'accent sur cette idée que finalement ce n'est pas une posture, c'est une façon d'agir qui a des rituels, des façons de faire, qui développe des stratégies plus ou moins adaptées à une une réalité sociale. Alors voilà , quelle acture est l'acture optimale pour quelqu'un qui veut devenir acteur dans le domaine de l'interculturel? Michel, qu'est-ce que tu dirais? >> C'est très intéressant, cette histoire d'acture. Le mot posture, il me fait penser au yoga. J'ai une posture de yoga, je ne fais pas du yoga, mais que je garde pendant un certain temps et ensuite je vais changer de posture. Donc, on est dans une succession de postures. En réalité, l'acture, c'est être toujours en situation je dirais presque de tension pour être les plus pertinent possible par rapport, dans nos interactions avec des gens différents de nous. Moi, je crois beaucoup à ce que disait, j'ai vu ça placardé sur les murs de Paris à un moment donné, c'était une citation de Bertolt Brecht, qui disait si nous sommes dans le ou, mais que nous ne sommes pas capables de passer au et, je ne me rappelle plus les termes exacts, mais ils sont absolument magnifiques, c'est la guerre, forcément. Et en interculturel, c'est exactement ça, la posture, ou l'attitude, la logique du ou, c'est toi ou moi, tes méthodes ou les miennes, ta façon de raisonner ou la mienne, ta langue ou la mienne, ta culture en général ou la mienne et il y en a une qui doit dominer l'autre forcément à un moment donné. la posture du et, c'est voilà , on est ensemble, on ne s'est pas choisis. Dans la vie, parfois on se choisit, Je pense que dans un couple, on se choisit, mais dans un bureau ou dans une association, non, on ne se choisit pas forcément, ou dans un travail international. Donc on est ensemble, où est-ce qu'on va trouver le moyen de travailler ensemble? L'autre posture, pour moi, ou acture, complètement essentielle, c'est presque une contracture, d'une certaine manière : c'est d'être capable de, justement, de ne pas être immédiatement, le plus vite possible, dans l'action, et c'est ce que les philosophes qu'on a évoqués tout à l'heure, 300 ans avant Jésus Christ, appelaient la suspension de jugement, épochè : quand tu rencontres quelqu'un de différent de toi qui réagit de façon différente, qui se comporte de façon différente, essayer d'éviter de le juger ni en bien ni en mal, le problème n'est pas là , mais essayer de prendre le temps, le sas de temps, on en revient toujours au temps, plutôt que de monter au créneau, essayer de comprendre, de gratter derrière les apparences, et de comprendre ce qui, dans son histoire personnelle, dans sa culture, éventuellement dans sa religion, dans les conditions de plus ou moins grande précarité dans lesquelles il vit, peut expliquer tel ou tel comportement. En comprenant mieux les raisons de ce comportement, peut-être que tu vas éviter de t'énerver comme tu te serais énervé autrement. Je crois que, pour moi, l'intelligence interculturelle, c'est ça, et c'est aussi quelque chose qui est à double sens, naturellement, parce que on se dit toujours : mais il faut qu'on essaye de comprendre l'autre, de mieux lire l'autre, etc., mais on n'est peut-être pas toujours conscients que nous sommes peut-être nous-mêmes complètement illisibles et incompréhensible pour l'autre, ce que je suis peut-être en train d'être en ce moment ; on ne se pose pas la question de savoir comment, finalement, on nous regarde et si on nous comprend ou si on ne nous comprend pas ou si nos évidences sont partagées par l'autre ou non. Voilà , je crois beaucoup à ça. Avant les trois mots, je les garde peut-être pour la fin? >> Oui, on peut les garder pour la fin. >> On va les garder pour la fin, les trois mots. >> Oui, oui, d'accord. >> Moi, je suis très sensible à ce que tu viens de dire, Michel, la suspension de jugement, la distanciation du regard. Quand on est un agent, on a tendance à reproduire des comportements automatiques. Pour moi, dans la vie des équipes et notamment dans le champ du travail, ça renverrait à l'égalitarisme : je donne la même chose à chacun quel que soit le mérite des personnes qui travaillent avec moi, qui font l'effort de coopérer, parce que je veux conquérir, à bas prix, une petite paix sociale, comme ça je serai tranquille. Quand on est un automate, on est dans les filets de l'égalitarisme et on va souvent avoir tendance à considérer, au final, que tout se vaut ; je ne vais pas forcément faire l'effort de récompenser celui qui le mérite. L'acture, ce serait prendre au sérieux, pour moi, l'équité. C'est-à -dire, à mes yeux, identifier et assumer des différences qui profitent à tous ; identifier et assumer des différences qui profitent à tous. L'acture renvoie, pour moi, à cette capacité d'un enseignant, de quelqu'un qui mobilise des équipes, d'un partenaire social, à savoir accepter d'être, en certaines situations, dépassé techniquement, notamment, par quelqu'un de plus jeune, d'être profondément dans la controverse avec un étudiant qui arrive sur notre campus et qui ne pense pas les choses comme ça du point de vue de l'évaluation ; savoir identifier et assumer, derrière, c'est-à -dire communiquer aux autres les économies de la grandeur qui président à mes jugements : ce sur quoi je ne transige pas, ce qui est, pour moi, de l'ordre du référentiel, qui peuvent changer, c'est une métamorphose, mais qui est ce que je suis quand je l'exprime. Donc ça renvoie, pour moi, à une belle notion, qui est celle de talent : un talent, c'est quelqu'un, d'abord, de différent ; Il nous percute dans nos évidences et nous fait toujours courir le risque de voter avec nos pieds, c'est-à -dire de fuir ; différent. Deuxième idée, ce n'est pas un éternel espoir : un étudiant qui promettrait beaucoup sans jamais délivrer de résultats au moment où on attend de lui, en fait, une forte contribution, ce n'est pas un bon étudiant, selon moi : c'est un faiseur, c'est un manipulateur. Donc un talent, pour moi, il a une deuxième caractéristique et les choses sont toujours partielles, situationnelles : on n'est pas talent pour la vie. Il est contributeur, ce n'est pas un éternel espoir. Troisième catégorie pour moi très importante : il est généreux. Parce qu'il a fait preuve de suspension de jugement, parce qu'il est allé à la rencontre de gens qui ne lui ressemblent pas, il a goûté au miel de l'existence d'être dans une forme d'étrange étrangeté, et il a transmis aux autres parce qu'il a écouté tours de mains, bonne pratique et coup d'œil. Ce petit supplément d'âme de la situation multiculturelle que l'on transforme en reconnaissance, passer de la tolérance à la reconnaissance. Ce que je voudrais dire en fait, et ça je crois que c'est une faiblesse de beaucoup de nos réflexions : les choses sont ainsi faites que ce qui préside pour moi dans les [INCOMPRÉHENSIBLE] humaines, c'est d'abord la rivalité, c'est d'abord Polemos, c'est d'abord le risque de guerre et d'aller essayer de tuer symboliquement voire physiquement celui qui ne me ressemble pas mais qui me renvoie à mon incompétence consciente ; son talent est pour moi, les jours où je me lève du mauvais pied, intolérable. Il convient donc, de mon point de vue, quand on est dans l'acture, de protéger volontairement des personnes qui vont, par leur action, par leur atypisme, par leur singularité, élargir les fruits à redistribuer. L'agent, l'automate, c'est l'égalitarisme. Faire preuve d'acture, c'est, de mon point de vue, pratiquer l'équité, et donc savoir, à un moment donné, créer ce qu'on va appeler ensemble des environnements apprenants pour qu'une personne fasse preuve d'éducation de l'audace, et parvienne à cultiver des ressources qui vont lui permettre d'être acteur de sa vie, et ça c'est quelque chose qui n'est pas donné par avance. Les interculturalistes ont tout intérêt à avoir aussi une vision du monde en termes de rapport de force, d'asymétrie dans les situations, et donc c'est une invitation à essayer de ne pas traiter défavorablement, systématiquement, des personnes en situation comparable de la même manière. Ça, c'est l'égalitarisme. L'équité, c'est quelque chose qui est plus ambitieux mais qui répond, je crois, à une volonté de ceux qui ont cultivé un esprit critique et qui, comme tu l'as dit Jorg, ont le courage de le dire. À nous de créer ces environnements apprenants. Ça, je crois que c'est quelque chose qui est une invitation à ce que, Michel, tu appelles aujourd'hui l'intelligence interculturelle, et qui doit aussi savoir questionner la puissance des puissants quand celle-ci est illégitime, quand celle-ci ne sert pas la société, et je crois que nous serons mieux entendus en tant qu'interculturalistes si nous savons intégrer dans nos réflexions cette asymétrique du pouvoir et cette situation de discrimination potentielle. >> C'est une façon magnifique de l'assumer, je pense, notre échange. Je vous propose de donner mes trois mots et vous terminerez donc avec vos trois mots. Je pense aussi que, reprenant cette notion de contexte apprenant, d'organisation apprenante, ça nous réunit vraiment cette idée que l'être humain, jusqu'au jour où il est vivant, il est en évolution et il est très dangereux de se figer au lieu, de figer les autres dans des identités définies une fois pour toutes. Ce qu'on appelle aujourd'hui l'identitarisme est vraiment l'opposé d'une culture qui vise la concertation et la coopération entre les personnes différentes, singulières. Dans ce contexte, je pense que ce qui est absolument fondamental, c'est un mystère pour moi, c'est un peu un des trois mots que je mettrais en avant, c'est cette élasticité : je ne sais toujours pas aujourd'hui, à mon âge qui avance, d'où vient, finalement, cette élasticité. Est-ce qu'on peut la former? Une élasticité qui est celle d'un amortisseur, c'est-à -dire dans les chocs, les incidents, les différends, les situations parfois difficiles, les malentendus, comment on y arrive, finalement, à rester élastique? Ça ne veut pas dire de se désengager, ça ne veut pas dire de s'imposer, mais cette élasticité, d'en parler aussi, Michel. Donc ça, c'est un deuxième mot qui se situe bien sûr dans ce mot de devenir ; devenir, on se situe soit dans un courant philosophique du devenir ou de l'être. Moi, personnellement, je pense qu'un interculturaliste, il est dans une dynamique du devenir, il ne fige pas les choses, comme je l'ai dit, et il est capable de supporter l'ambigüité. Dans la tolérance de l'ambigüité, c'est justement retenir le jugement définitif sur un aspect, mais dire que voilà , il se peut tout à fait que, même si je ne le vois pas encore, dans la position de l'autre, je découvrirai des avantages même pour moi sans que je devienne un autre complètement mais je me transforme dans ma vie personnelle et dans mes façons de fonctionner dans le milieu professionnel. Voilà mes trois mots, je vous laisse terminer. Peut-être, Michel, Juste un tout petit commentaire sur l'élasticité. Moi, je me sens très élastique, même si je ne suis pas souple du tout, j'ai beaucoup de mal à toucher mes pieds depuis toujours, mais je me sens très élastique à l'intérieur de moi-même, on travaille beaucoup ce thème avec Philippe. Nous sommes plusieurs, nous sommes rattachés à toutes sortes de communautés, de références différentes, soumis à des sortes de petites schizophrénies intérieures. Tout n'est pas d'un bloc, tout n'est pas unique en nous et heureusement que nous sommes divers, parce que ça nous aide à mieux appréhender la diversité des autres finalement. Mes trois mots à moi, c'est apprendre, parce que j'ai changé mon premier mot en écoutant Philippe tout à l'heure, et les organisations apprenantes parce que moi, Philippe, il m'apprend énormément à travers ce qu'il dit du monde de l'entreprise. Moi, je n'ai jamais travaillé dans une entreprise, si quatre mois dans ma vie c'est tout, en tant que stagiaire. Tout le reste du temps, je l'ai passé dans des milieux associatifs ou d'organisations internationales etc., et ça me parle beaucoup et je pense qu'aujourd'hui, il est urgent, c'est ça aussi l'interculturel, d'apprendre les uns des autres de nos milieux différents. Pendant très longtemps, dans le monde des ONG, l'entreprise c'était le grand Satan et pendant très longtemps, dans le monde des entreprises, Philippe tu contrediras si tu penses que je dis des bêtises, mais les ONG, les associations, c'était un peu léger, des poètes, pas sérieux etc. Les choses ont beaucoup évolué de ce point de vue-là et je pense que nous nous respectons les uns les autres mille fois mieux maintenant, mais que nous n'apprenons pas assez les uns des autres. Donc, apprendre de nos secteurs d'activité différents et être en permanence nous-mêmes en situation d'apprenants, je crois que c'est important. Le deuxième mot, c'est le doute, alors moi, le doute comme disait Ésope, c'est la meilleure et la pire des choses, le doute ça peut être la source de tous les complotismes et tout ce qu'on veut, mais d'un autre côté pour moi, c'est un élément absolument essentiel de la sensibilisation à l'interculturel. Le doute, douter sur mes propres évidences. Prendre le temps de creuser un petit peu avant de foncer tête baissée vers telle ou telle théorie ou posture etc. Est-ce que nous sommes capables de douter? Pour moi, la formation à l'interculturel, c'est une formation au doute. Mes évidences ne sont pas forcément celles de l'autre. Et le troisième mot, que je dois à Philippe, qui m'a fait intervenir dans son master de management interculturel de Dauphine, c'est un mot que j'ai entendu d'un étudiant brésilien, en m'excusant Philippe parce que je cite tout le temps, tout le temps cette affaire-là , ça me semble tellement profond comme idée, je fais souvent le petit jeu avec les étudiants de leur dire voilà , autour du mot culture vous me donnez deux, trois mots associés au mot culture. Et donc, arrivent en général, littérature, histoire, patrimoine, territoire, manière d'être, etc., et j'ai entendu cet étudiant brésilien prononcer tout d'un coup le mot d'humilité. J'ai dit humilité, mais qu'est-ce que vous voulez dire par humilité? Et il a eu cette parole extraordinaire parce que je pense qu'il n'y a pas de mur culturel, vous voyez le mur culturel que l'humilité ne permette de franchir. Et ça, j'ai trouvé ça extraordinairement pertinent dans le domaine du culturel, de l'interculturel. Si je n'ai pas l'humilité de me dire je ne sais pas tout, je ne sais pas tout de l'autre, l'humilité de me dire que toutes mes évidences ne sont pas forcément celles de l'autre et si je n'ai pas l'humilité de me faire expliquer des choses, aussi par des gens qui connaissent bien ma culture et celle de l'autre, mais je n'arrive à rien effectivement. Donc je trouve que, merci encore Luis pour cette belle phrase pour laquelle je devrais te verser des droits d'auteur importants. >> C'est vrai qu'en plus j'avais eu la chance, Michel, d'assister à ton enseignement ce jour-là et je me souviens de cette manière dont Luis l'avait exprimé de façon à ses yeux tout à fait naturelle et on avait eu le bonheur de parler de ça après le cours. Moi, les trois mots ce seront ceux de la devise de la République. C'est mon point de départ, mais je souhaite de tout cœur que ça soit aussi un point d'arrivée dans un parcours. Les racines et les ailes. Moi, mes racines, c'est le fait d'être né par hasard, je pourrais en discuter, mais sur ce territoire formidable à mes yeux qui est la France, riche, privilégiée en beaucoup de points. Liberté, égalité, fraternité. Et nous sommes un tout petit peu plus que des automates. Si nous pratiquons l'acture, nous sommes un tout petit peu libres. Et puis, si on laisse faire les choses, l'égalitarisme est une menace, mais nous sommes, je crois, nous sommes d'accord pour dire qu'il faut chercher la différence, l'identifier et savoir si elle est toujours légitime. Ce serait le deuxième terme de la devise. Et le troisième terme et là , moi j'apprends aussi beaucoup de nos conversations, Michel, et de nos échanges, c'est cette fraternité en actes, cette solidarité possible pour passer du père qui domine au père qui nous apprenne à apprendre et donc il y a quelque chose qui m'a toujours beaucoup séduit, beaucoup intéressé, beaucoup porté dans la devise républicaine, c'est une tension créatrice, dynamique, le risque toujours d'antagonisme entre ces trois termes, mais la création à un moment donné dans ce jeu de balance de la controverse, c'est plus que le dialogue. L'interculturalité, c'est plus que tolérer, c'est reconnaître, quelque chose qui m'amène à essayer de changer en échangeant sans me perdre ni me dénaturer. Et cette devise, c'est pour moi un point de départ. J'ai toujours en tête que juste après la révolution, la France s'est enorgueillie de proposer la citoyenneté française à des grandes figures mondiales qui nous font accéder à l'universel de la posture humaine et de la solidarité. Voilà , Jorg, les trois termes qui sont les miens et moi, je voudrais simplement vous remercier tous les deux beaucoup parce que ce sont des opportunités de réfléchir à nos propres mécanismes et fonctionnements et je souhaite d'être si on peut utile à des jeunes et des moins jeunes vont faire l'expérience de l'étrange étrangeté. >> Oui, merci. >> Je vous remercie aussi tous les deux. Vous m'apprenez beaucoup et donc merci pour tout ça, depuis longtemps maintenant. >> Oui, on échange depuis longtemps et c'était à nouveau une très belle expérience pour moi d'un espace de résonance qui met en musique nos différences et nos similitudes, venant chacun d'une autre partie du monde et donc merci à vous et à une autre fois pour prolonger nos échanges si agréables et productifs. Merci, au revoir. >> Merci. >> Merci beaucoup.