[BRUIT] [BRUIT] Bonjour Michel, bonjour Philippe. >> Bonjour Jorg. >> Bonjour. >> C'est un plaisir d'échanger avec vous ce matin pour créer un nouveau support pour ce MOOC qui complètera notre première façon de témoigner nos expériences, c'est-à -dire les enregistrements et témoignages personnels. Il ne faut donc pas trop nous présenter. Michel, tu es consultant et tu as beaucoup travaillé dans plusieurs pays en tant que consultant et aussi en tant que formateur dans des organisations non gouvernementales. Philippe, tu es expert en management interculturel, tu travailles avec des entreprises en leur donnant des précieux conseils. Tu es aussi impliqué dans les formations d'un Master interculturel dans différentes universités. Donc vous avez la possibilité, évidemment, de nous connaître mieux en réécoutant nos témoignages. Le deuxième élément était la présentation par Michel Sauquet de sa publication avec Martin Vielajus, qui s'appelle Le Culturoscope, où il a présenté, dans un entretien, la nature de cette publication, c'est-à -dire un regard spécifique sur l'interculturel avec 70 questions qui nous permettent de mieux comprendre ce qui se passe quand nous sommes en situation de travail interculturel. Voilà . Donc, troisième élément : aujourd'hui, on va vous présenter trois sujets en les précisant, justement, dans la perspective du Culturoscope. Le premier est le rapport au temps, le deuxième, le rapport au conflit, et le troisième, la troisième partie, sera consacré à la question de la bonne posture quand on est en situation de travail interculturel et d'expérience interculturelle. Nous commençons donc avec un premier sujet qui est la question du temps. Je veux lancer nos échanges avec une citation que j'ai trouvée dans le livre de Pascal Chabot, Avoir le temps, où il dit : chaque civilisation est une interprétation du temps. Michel, est-ce que cette citation te parle et peux-tu, s'il te plaît, nous expliquer un peu ta façon de voir l'enjeu du temps dans les relations interpersonnelles et interculturelles? >> Merci Jorg. Oui, cette citation me parle, bien entendu, à ceci près qu'on est pas uniquement dans un problème de différence ou d'écart entre civilisations s'agissant du temps. L'interculturel, c'est, effectivement, ce qu'on peut observer d'écart entre des zones géographiques, des populations, mais c'est aussi ce qu'on peut observer entre métiers, entre institutions, entre différentes générations, et le temps, la manière d'aborder le temps est différente suivant les métiers, suivant les générations, etc. Quand on parle du temps, en général, dans nos milieux interculturalistes, on a l'habitude de commencer par dire : il y a un temps qui est plutôt cyclique et il y a un temps qui est plutôt linéaire. Le temps qui est plutôt linéaire, c'est le temps de nos civilisations. Revenons au mot de civilisations judéo-chrétiennes, dans lesquelles on a une conception du temps qui est toujours en progression : on part d'un début, la création du monde, on va jusqu'au jugement dernier en passant par la venue du Christ sur Terre, et donc on a une conception d'un temps qu'il faut tenter de réussir parce qu'on a qu'une seule vie ; il y en a une autre après dans cette conception-là mais elle dépend aussi de ce qu'on a fait du temps de notre vie. Donc on va avoir, dans ce genre de cultures, plutôt une terreur de l'échec : on est toujours en progression, toujours mieux, toujours plus. Le temps cyclique, c'est le temps qu'on peut observer davantage dans les cultures asiatiques ou africaines ou indiennes, qui est calé, lui, sur le rythme du soleil, de la lune, des saisons, et qui fait qu'on est toujours dans une sorte de perpétuel recommencement même si, au final, les choses progressent aussi, on parle de temps spiral, mais en tout cas, c'est cette idée de régénération du temps permanente, qui fait que, peut-être, on a moins la terreur de l'échec parce qu'il y a toujours un moyen de se rattraper après ; je pense en particulier aux conceptions hindouistes de la réincarnation, etc. Ce genre de distinction est tout à fait caractéristique de celle qu'on a l'habitude de faire un peu trop dans nos milieux interculturalistes : c'est l'un ou l'autre, mais en réalité, ce n'est jamais l'un, ce n'est jamais l'autre. Par exemple, s'agissant du temps cyclique, il est bien évident que, dans notre pays lui-même, les gens qui vivent dans l'extrême pauvreté ont une conception du temps beaucoup plus cyclique que celle que nous pouvons avoir puisque cette précarité implique une sorte d'angoisse du temps qui recommence et qu'on est pas dans un système de progression constante. La deuxième distinction qu'on fait souvent, c'est, elle est liée : la question de savoir si nous pouvons et si nous devons maîtriser le temps. Nos cultures sont incontestablement, je dis nos cultures occidentales, des cultures de la maîtrise du temps, et Edward Hall, qui est un penseur américain qui nous a laissé beaucoup de matière à réflexion en matière de temps, distingue une conception plutôt monochrone du temps, une chose après l'autre, et une conception plutôt polychrone du temps. Dans la conception monochrone du temps, on planifie, on organise, on est dans la séquence, une chose après l'autre, on distingue très fortement la sphère privée de la sphère professionnelle, et au fond, on est très strict sur les horaires, les attitudes, etc. Dans les cultures plutôt polychrones, on est plutôt dans un mode de vie dans lequel on fait plusieurs choses à la fois, c'est-à -dire que, par exemple, on est en train de parler dans un MOOC mais en même temps on répond à son téléphone, quelqu'un frappe à la porte, on va l'accueillir parce que c'est un ami et qu'on ne va pas le laisser dehors au motif qu'on est en situation professionnelle. La question de la ponctualité n'est pas une question complètement essentielle puisqu'on donne la priorité, au contraire, aux gens qu'on peut rencontrer en allant à un rendez-vous, etc., et puis la distinction entre vie privée et vie professionnelle est beaucoup moins fortement marquée. Donc cette idée de faire plusieurs choses à la fois qui a choqué beaucoup de négociateurs américains ou français ou allemands allant travailler, par exemple, au Proche-Orient où on est amené, avec un homologue avec lequel on négocie à constater qu'il va s'interrompre pendant la réunion, qu'il va faire plusieurs choses en même temps, et donc ça choque beaucoup de monde sauf que, à la fin de la réunion, éventuellement, cette personne va vous donner sa carte de visite, son 06, en disant : tu m'appelles quand tu veux et y compris pendant le weekend. Donc c'est une conception du temps qui est très, très différente. Là encore, dire : il y a les monochrones d'un côté et les polychrones de l'autre, est une grave erreur parce que, d'abord, la réalité se situe toujours entre les deux, et ensuite, parce que dans un même bureau, moi j'ai vécu ça personnellement, avec des gens de formations, d'âges, de fonctions différents, on peut très bien avoir quelqu'un qui est très, très monochrone, une chose après l'autre, et qui ne va pas interrompre forcément son plan de travail au motif qu'un partenaire venant de l'étranger passe ici et qu'il faut dégager du temps pour aller déjeuner avec lui. Donc on peut vivre dans un même milieu supposé complètement homogène des modes de gestion du temps complètement différents, et puis n'oublions pas aussi que le métier, ici, intervient, influe énormément : il est évident qu'un scientifique, ou un ingénieur, va avoir beaucoup plus tendance à organiser son temps une chose après l'autre qu'un relations publiques, un commercial qui va être toujours au téléphone ici ou là pour répondre aux sollicitations, donc tout ça est très différent d'un milieu à l'autre. Ensuite, je voudrais sur le temps d'insister sur la question de savoir où est ce que nous mettons nos priorités? Par quoi commençons-nous une discussion? Il y a quelque chose qui choque beaucoup de nos partenaires asiatiques ou africains par exemple, je ne veux pas faire de généralité bien entendu, ou du Moyen-Orient, c'est que nous arrivons dans une réunion, nous avons une heure ou deux heures devant nous, donc notre tendance à nous, nous occidentaux, est plutôt de dire bon, on ne perd pas de temps. Salut, comment ça va? On fait quelques salutations d'usage, mais on essaie de commencer par le plus urgent, on ouvre ses dossiers et on essaie de commencer par le sujet qui nous paraît le plus important, Ça choque beaucoup de monde parce qu'en faisant ça, nous zappons le temps de protocole langagier, le temps qu'il faut, l'espèce de SAS de temps qui est nécessaire aux uns et aux autres pour se connaître pour établir des relations humaines de confiance et on peut rater une négociation à cause de cela. Alors, tout dépend évidemment qui a, je dirais, le pouvoir principal dans une réunion. Si c'est moi qui organise, anime la réunion etc., au bout de deux heures, quand la réunion sera terminée, je dirai écoutez, on a parlé pendant deux heures, chacun a eu largement le temps de s'exprimer et donc là , on va signer quelque chose, on va essayer d'aboutir à un accord formel, on va signer quelque chose. Manque de chance, là où nous mettons le plus important au début, l'autre va peut être mettre le plus important à la fin et on va conclure la réunion sans que tout le monde ait eu le temps de s'exprimer parce qu'on aura mal organisé tout ça et on va sortir avec un papier qui sera peut-être le lendemain déchiré par nos partenaires parce qu'il n'a aucun sens, parce qu'on n'a pas pu en discuter collectivement etc. Donc, la question des priorités dans le temps est très importante. Voilà les points principaux, j'ajouterais, tout est ensemble parce que c'est plus une question de posture, le problème très important de la concordance des temps dans le travail international qui est souvent un énorme problème, mais peut-être en parlerons-nous plus tard ou maintenant si vous voulez. >> Peut-être que Philippe peut donner sa vision concernant le monde des entreprises qui va sûrement compléter. >> Oui, oui, ce que Michel vient d'évoquer, c'est quelque chose en fait, cette grille de décodage proposée par Michel, ce sont des choses qui m'ont été très utiles quand j'étais moi-même en entreprise et opérationnel, quand j'avais à gérer des équipes avec des personnes qui étaient de mon point de vue diversifiées en termes d'âge, en termes de parcours de vie, en termes de trajectoire. Et Michel a évoqué un anthropologue qui nous est cher à tous les trois, qui est Edward T. Hall, et notamment son livre qui m'apparaît vraiment un grand, oui une grande réflexion sur cette question du temps, son livre qui s'appelle La danse de la vie et le sous-titre Temps culturel, temps vécu. Et tu insistais Michel à raison sur le fait que ce n'était pas ça ou ça, mais nous étions souvent dans une vérité d'entre-deux, de tiraillements, de dissonances et l'important c'est de décoder, décrypter ce que nous sommes et je crois aussi que c'est quelque chose qui nous rapproche. et pour illustrer Jorg tout l'intérêt qu'il y a à revenir sur ces grands classiques parce qu'Edward T. Hall évoquait comme tu l'as dit Michel plutôt les ères civilisationnelles et l'ordre collectif de la culture, son livre m'a été très, très utile un jour où alors que je revenais d'un voyage d'une semaine en Asie très tôt le matin, je me dirigeais donc du coup vers mon activité et j'ai eu à mener un entretien de recrutement alors que d'une certaine manière, je naviguais en zone de brouillard, c'est-à -dire que j'avais l'impression d'être dans une forme physique approximative. Et en face de moi, un jeune, à l'époque, de 21, 22 ans est rentré dans mon bureau et en quelques minutes m'a posé une question qui m'a amené depuis à beaucoup réfléchir sur la complémentarité entre deux approches culturelles du temps, monochrome et polychrome. Il m'a regardé et avec un réel sérieux, alors qu'il venait dans mon esprit, tout est question de représentation croisée, alors qu'il venait dans mon esprit pour un poste en contrat à durée indéterminée, donc les choses était planifiées et ordonnées du moins pour moi, il m'avait demandé avec beaucoup d'aplomb, monsieur, est-ce que je dois être là tous les jours? Et à ce moment-là dans mon bureau, heureusement que j'avais lu un peu plus jeune Edward T. Hall, il y avait comme la présence, je n'ai pas dit la confrontation, si, je pourrais le dire, la confrontation entre deux représentations culturelles du temps, ce que tu as évoqué, Michel. J'étais avec cette question, monsieur, est-ce que je dois être là tous les jours, j'étais en situation d'une certaine manière de davantage me connaître et d'être dans la catégorie des monochromes, c'est-à -dire si je vais vite, quelqu'un qui depuis tout petit a entendu dépêche-toi ne perds pas ton temps, il faut te hâter il faut être au rendez-vous de ce qu'on attend, les mots forts sont l'effort, l'abnégation, le sens du devoir et donc, j'avais tendance, regardez bien ma main, à ordonner mes recrutements, mes projets, l'ensemble de mes activités de façon séquentielle et linéaire, une chose après l'autre. Quand il m'a demandé est-ce qu'on doit être là tous les jours, je lui ai répondu ceci. Monsieur, je crois que j'ai dû l'appeler monsieur, ensuite nous sommes passés au prénom, mais plus tard, quand il a gagné ma confiance et que j'ai réussi à faire en sorte qu'il trouve un sens à venir dans notre organisation, monsieur ici on travaille cinq jours sur sept, et le sixième et le septième, on réfléchit à ses produits. Ça n'a pas créé chez lui le désir agissant. Nous sommes pour moi au cœur d'une situation multiculturelle. Nous sommes à ce moment-là d'étranges étrangers. Et en moi, j'essaye de comprendre ce qui s'opère pour parvenir à engager un dialogue qui soit fécond. On travaille cinq jours sur sept, le sixième et le septième, on réfléchit à ses produits, j'étais à cette époque tout à fait je pense, influencé très puissamment par cette représentation séquentielle et linéaire dans laquelle et j'ajoute cet élément, le travail était au centre de mon existence, avec un autre pilier, la famille. J'étais l'homme du centre et les catégories de Edward T. Hall, celles qui ont été à l'instant soulignées par Michel, nous sont très très utiles pour essayer de décoder, décrypter aussi notre société contemporaine, et notamment en fait le sens de l'engagement qu'une partie de notre jeunesse, mais pas simplement, beaucoup de personnes qui n'ont pas forcément cet âge, mais qui sont dans un autre référentiel de sens ont au cœur. moi j'étais l'homme du centre, j'étais l'homme à cette époque même du présentéisme. J'étais même capable en termes de temps de dire à quelqu'un qui partait à 19 h, tiens tu prends ton après-midi. C'est vous dire si l'influence culturelle était forte chez moi. Et puis, avec cette conversation et ce garçon dans mon bureau, les choses se sont bien passées et il m'a amené d'une certaine manière à me casser les os de la tête, c'est-à -dire à revenir sur des habitudes ancrées qui étaient les miennes et notamment, puisque c'est notre premier thème, ce rapport culturel au temps. Alors, je voudrais dire que les catégories d'Edward T. Hall me sont toujours utiles dans les conversations que nous avons tous les trois, elles ont force de grilles de questionnement. Quand nous sommes en réunion Teams, Zoom ou Skype, j'aurais tendance à dire qu'il y a un phénomène d'intensification vécue du temps. L'agenda nous oblige à être là à 9 h pile et ensuite à découper la journée en petits tronçons monochroniques pourrait-on dire, séquentiels et linéaires, et dans le même temps pendant les réunions, comme tu l'as dit Michel, on peut avoir des personnes qui sont avec toi, mais toujours avec quelqu'un d'autre en même temps et on voit bien là la puissance d'analyse toujours très forte pour moi du livre d'Edward T. Hall, La danse de la vie. Et donc c'est comme si les choses se multipliaient au lieu de s'additionner et alors ça renvoie bien sûr en philosophie au travail magnifique d'Hartmut Rosa sur l'accélération de nos temps contemporains, un sentiment d'intensification et d'une certaine manière l'obligation de se ressourcer. Et pour tous ceux qui s'intéressent à l'interculturel, c'est une question magnifique. Cessons de vouloir conduire le changement en forme d'accélération, mais tentons d'une certaine manière de ralentir le cours des choses pour mieux se connaître. Voilà en quelques mots ce que tu as dit Michel évoque en moi et je vois toute la puissance en fait de ces grandes figures de l'interculturel pour penser les temps contemporains, Jorg. >> Merci. Michel? >> Je peux me permettre d'ajouter que pour renforcer la promotion de ce livre La danse de la vie d'Edward T. Hall, que ce livre se lit comme un roman. >> Oui, vraiment. >> J'en ai fait l'expérience après avoir lu un autre livre sur le temps dont je tairai le nom de l'auteur, d'une difficulté extraordinaire et tout d'un coup on arrive sur cet Edward T. Hall qui nous a tellement influencés les uns et les autres. Je voulais juste revenir sur quelque chose que tu viens de dire, >> Oui, avec plaisir. >> Philippe, davantage nous connaître. >> Oui. >> Je pense que c'est un point très important de l'interculturel, c'est que le détour par la culture de l'autre nous aide effectivement à nous connaître et que nous n'avons pas forcément spontanément ce réflexe-là . C'est-à -dire que nous sommes toujours à nous demander mais Comment est-ce que l'autre organise son temps? Comment est-ce que moi finalement j'organise mon temps? Si je fais un petit retour sur le début de cette séquence, je m'aperçois que, interpellé par Jorg à partir de sa citation, j'ai commencé à parler très vite parce que je pense que nous avons, nous Français, une certaine horreur du vide, quoi, il ne faut pas voilà , il faut que je commence très vite. S'il y a un silence, on va dire un ange passe, on se demande ce qui se passe. Je fais parfois avec avec mes étudiants cette expérience de laisser passer dix secondes de silence. Je parle, je parle, puis tout d'un coup, je laisse passer dix secondes. Dix secondes, ce n'est rien du tout, mais c'est une éternité pour des Français. >> Oui, c'est vrai. >> Qu'est ce qui lui arrive? Il est en train d'avoir son AVC ici devant nous en plein cours, qu'est ce qui se passe? Eh bien, on a calculé que les Japonais utilisent 12 fois plus souvent un silence de dix secondes que nous, donc voilà . C'est vraiment très culturel, donc la terreur du vide, la terreur de ne pas tout dire dans un temps limité, donc on va très vite au risque finalement de n'être plus suivi par personne et de continuer son bonhomme de chemin. Et donc, c'est là que l'humain intervient je crois beaucoup, nous avons souvent je le sens en ce qui me concerne, une sorte de déficit d'humain. Je suis ici pour présenter quelque chose, ce que l'autre comprend, entend, me suis ou pas, ce n'est pas le problème, il faut que je tienne mon temps, monochrone. Je case tout dans un certain temps. >> Ça me permet de rebondir un peu sur le domaine par rapport au domaine de la formation, de l'enseignement, qui est le mien, qu'est ce que le temps pose comme enjeu? Moi, je dirais quand on vient par exemple en France pour étudier, pour travailler en tant que chercheur, ce qui est quand même très important, mais ça ne concerne pas que la France, c'est l'autonomie qui est une partie de plus en plus essentielle dans nos formations. Qui dit autonomie dit en fait gestion du temps d'une façon autonome, c'est-à -dire le vide comme tu disais à l'instant, il y a un certain vide laissé volontairement pour que l'étudiant s'organise seul parfois, souvent avec deux, trois autres, mais en tout cas en dehors d'une animation, d'une modération très structurée d'un enseignant. Et nous avons constaté, nous le constatons toujours sur un campus qui est par exemple celui de de l'École des ponts où il y a 40 % d'étudiants internationaux, de beaucoup de pays, que cet enjeu d'autonomie, de gestion du temps libre en quelque sorte peut poser des problèmes et certains étudiants ne savent pas finalement immédiatement qu'est-ce qu'on attend d'eux. Ça concerne aussi l'esprit critique qui est très souvent demandé. Développer un esprit critique, ça peut aussi étonner quelqu'un qui vient d'une formation où apprendre est plus basé sur l'apprentissage assez semblable, voire pareil à ce qu'on a entendu par l'enseignant, c'est-à -dire on assimile, on s'approprie un savoir à l'identique et donc quand on est habitué à apprendre à gérer son temps de cette façon-là , toute la pédagogie du projet qui est absolument centrale aujourd'hui dans nos formations peut au moins perturber légèrement un peu l'étudiant. Donc, il faut savoir justement voir le côté positif là -dedans, mais aussi avoir le courage de le dire et ça oscille l'explicite, l'implicite, donc la gestion du temps est tout sauf facile. Je prends l'exemple des tandems, je coordonne des tandems d'apprentissage de la langue de l'autre à deux, et en tant que tuteur, j'ai vu des centaines de tandems fonctionner et créer leur rythme de travail toujours entre un Français en règle générale, et un étudiant international venant du Brésil, de la Chine etc. Ce qu'on constate, c'est effectivement un grand enjeu de gestion de temps en autonomie. Ça couvre bien sûr les éléments dont vous avez parlé tout à l'heure, comment on s'organise en monochronie, en polychronie, comment on coordonne ce travail. Donc voilà un peu un complément d'enjeux que je rencontre dans le monde de l'information que vous connaissez aussi parce que vous êtes tous les deux aussi formateurs, vous avez l'occasion de gérer les groupes multiculturels. >> Ce que tu évoques, Jorg, renvoie aussi à la nécessaire compréhension du rapport plutôt individualiste ou collectiviste dans une société. Quand Michel a évoqué la crainte de l'échec, quand tu as utilisé l'expression courage de le dire, quand tu as mentionné aussi l'esprit critique, je crois qu'on peut le rattacher à nos premières minutes. Dans une perspective monochronique, supposée occidentale, on va découper les choses, on va domestiquer la nature et j'ajoute une dimension, on va avoir tendance en fait à faire confiance au sachant, à ceux qui sont supposés détenir une expertise et qui vont éclairer le monde. Ça me paraît important de faire un lien entre cette représentation culturelle du temps et la figure du sachant. Pour le dire de façon très ramassée, il me semble que nous sommes en des temps où, ce qui me donne l'impression de fonctionner en polychrone, c'est-à -dire d'être dans une représentation simultanée dans laquelle ils font des ponts, des liens et des correspondances entre les mondes. ils font coexister plusieurs temps sociaux en un seul espace physique. Eh bien, à l'occasion de la crise sanitaire et du diagnostic médical, on en a une traduction très concrète. Le monochrome va plutôt avoir tendance à faire confiance aux médecins, à attendre, d'ailleurs il y a une salle qui est faite pour lui, c'est la salle d'attente, et quand il rentre dans la salle d'attente, il va regarder de gauche à droite en faisant un petit diagnostic, en se demandant en fonction de l'apparence des gens combien de temps je vais attendre. Puis après, la porte du médecin s'ouvre, il va être en face à face dans ce processus apprenant et il fera confiance à celui qui délivre un diagnostic. C'est toute ma vie, représentation séquentielle et linéaire. Or, aujourd'hui dans l'activité pédagogique, dans les cercles associatifs humanitaires, dans l'entreprise privée, il y a de plus en plus de personnes qui dans le prolongement de la main ont un téléphone qui est un ordinateur avec de l'information disponible. Et là pour le dire de façon très rapide, on va assister à un phénomène de renversement de la présomption de compétence. C'est à celui qui sait de devoir prouver à ceux qui apprennent qu'il sait vraiment. Ça c'est quelque chose qui, je pense, il est intéressant de souligner. Ce serait le prolongement d'une certaine manière d'une évolution technologique, qui va vers la polychronie, et qui questionne très puissamment les figures d'autorité légitime dans notre société, celle de l'enseignant, celle de la personne qui veut vivre des projets humanitaires et celle que j'ai pu observer dans le champ des entreprises publiques et privées. >> Est-ce qu'on peut éventuellement maintenant passer au deuxième thème parce que le temps passe, mais Michel tu voulais encore rajouter un élément. >> Non, juste juste observer que les cultures évoluent énormément. Et que les uns et les autres, nous sommes sans doute beaucoup plus polychrones que nous n'étions avec ça, avec rappelez-vous dans le temps, une interaction. >> Tout à fait. >> On écrivait une lettre et même, on ne la tapait même pas soi-même, on donnait ça à une secrétaire, on corrigeait, voilà , on l'envoyait à l'autre bout du monde, ça prenait une semaine, l'autre prenait une semaine pour répondre. Bon là , en l'espace de quelques secondes, on est en interaction, donc les cultures évoluent énormément, nous évoluons tous. Et sans doute que nous sommes beaucoup plus, les uns et les autres, polychrones que nous n'étions. >> Je pense qu'il est extrêmement important quand on veut développer une sensibilité interculturelle de voir les avantages et les désavantages de chaque façon de faire. Je veux dire, la polychronie peut rendre service, mais elle peut aussi diluer la communication d'une façon dramatique, donc voilà , et en plus chacun individuellement évolue aussi. Je peux même évoluer dans ma vie de possession, d'une façon plutôt monochrome vers la polychronie etc., et c'est aussi cette dimension-là de l'évolution individuelle qui rend les choses très, très, très complexes. Passons donc peut-être au deuxième thème qu'on veut expliciter. [AUDIO_VIDE]