[MUSIQUE] Et puis toujours à propos de ces contrats d'aliénation, contrats de vente pour simplifier. Vous avez une question qui est assez délicate, alors là qui est très juridique pour le coup, mais qui touche quand même à l'essence même du contrat, puisque cela touche à la question des défauts de la chose, ou de l'objet qui doit être livré. Bon, dans tous les systèmes juridiques, vous avez des règles qui s'appliquent en cas de défaut de la chose livrée. En droit suisse, ce sont les articles 197 et suivants du code des obligations. Quel que soit le droit applicable, bien sûr, vous avez des conséquences en termes de moyens de droit si la chose qui a été livrée est défectueuse. Et alors, vous avez aussi tout un régime juridique. C'est ce qu'on appelle les actions édiliciennes, donc les droits de l'acheteur en cas de défaut de la chose vendue. Alors, si je vous livre une machine, et que je vous avais garanti que cette machine produirait tant de pièces heure, et puis qu'elle en produit un peu moins, eh bien vous pouvez dire, bon cette machine ne répond pas à la qualité promise. Par conséquent elle est défectueuse, et par conséquent je peux faire valoir tous les droits découlant du défaut de la chose. Cela dit, si je m'engage à vous livrer une Mercedes, par exemple, et que je vous livre une 2 CV, par exemple. On peut pas dire qu'une 2 CV, ce soit une Mercedes défectueuse. Et donc, on voit bien que les règles sur les défauts de la chose vendue sont relativement inadaptées par rapport à cette situation-là où le vendeur a livré en réalité autre chose que ce qui était prévu. Si je vous achète des pommes et que je vous livre des bananes, si vous m'achetez des pommes et que je vous livre des bananes, on n'est pas dans une situation où les bananes sont des pommes défectueuses. Donc on est dans une autre configuration. Quelle configuration? La configuration de l'inexécution bien sûr. Si je dois vous livrer une certaine marchandise, et que je vous livre quelque chose de totalement différent, je n'ai simplement pas exécuté le contrat. Et vous pouvez faire valoir que vous, comme acheteur, que vous avez reçu une marchandise qui ne correspond pas du tout à ce que vous aviez commandé, et que par conséquent vous considérez que le contrat est dans une situation d'inexécution, avec les moyens de droit qui découlent de cette inexécution. Bon, donc ce sont deux situations différentes qu'il faut distinguer. La première, c'est la situation du défaut. Et la deuxième, c'est un cas d'inexécution. C'est ce que les latins appelaient l'aliud, la livraison d'une chose différente de celle qui a été convenue. Alors, en soi, il est parfaitement logique qu'il y ait cette distinction, avec des moyens de droit qui sont différents et des régimes juridiques qui sont différents. Maintenant, dans les contrats du commerce moderne, évidemment dans la plupart des cas, la marchandise est simplement déterminée par son genre au moment de la conclusion du contrat. C'est-à -dire qu'au moment de la conclusion du contrat, les parties se mettent d'accord sur un certain nombre d'éléments qui vont décrire le genre de la marchandise qui est achetée. Je veux tant de tonnes de blé de tel type. Je veux tant de litres, ou de barils de pétrole de telle qualité. Et par conséquent, l'objet de la chose, ce qui va permettre de dire que vous livrez ce qui a été convenu ou que vous livrez autre chose, l'objet de la chose est décrit par un certain nombre d'éléments, que l'on appelle les éléments de description du genre. Bon, la plupart des contrats commerciaux, c'est ça. Aujourd'hui, si vous achetez du blé, vous allez pas dire je veux ces sacs de blé là , vous demandez du blé de telle qualité, en telle quantité, et puis c'est comme ça que vous vous mettez d'accord sur l'objet de la chose. Et alors, du coup, évidemment, on arrive à cette situation un peu délicate ou faire une distinction entre les éléments de description du genre, les éléments par lesquels les parties de déterminer quel était l'objet du contrat, et puis les qualités promises qui font que, si elles ne sont pas réalisées, il y a un défaut. Eh bien cette distinction-là est extrêmement difficile à faire. Et de plus en plus, en tout cas en Suisse, le tribunal fédéral a tendance à dire, mais lorsque vous avez une chose qui a été déterminée par son genre, les parties se sont mises d'accord sur des éléments de description du genre, il suffit que un de ces éléments ne soit pas rempli pour que vous ayez un cas d'aliud, une chose qui est livrée et qui est différente de celle qui avait été commandée. Et non pas un cas de défaut. Et ça a des conséquences lourdes en termes de prescription, en termes d'avis des défauts, bref en termes de régime juridique qui se met en place. Vous avez un arrêt de 2004 du tribunal fédéral où il s'agissait de vente de pétrole. Et dans ce contrat de vente de pétrole, vous aviez des dizaines et des dizaines d'annexes qui correspondaient à des formules chimiques. Parce que les parties voulaient décrire très précisément la composition chimique de ce pétrole. Et il se trouve que une de ces formules chimiques ne correspondait pas au pétrole qui a été livré. Question, est-ce que c'était un défaut? Les qualités promises de ce pétrole n'étaient pas réalisées. Où est-ce que c'était un aliud? Eh bien le tribunal fédéral a considéré que c'était un aliud, avec comme conséquence l'application des règles sur l'inexécution, qui vraiment sont plus dures pour le vendeur que celle sur les défauts de la chose. Voilà , c'est un arrêt que j'ai sous les yeux ici, qui va s'afficher également. Si les parties s'entendent sur une description détaillée de l'objet du contrat, l'absence d'un élément au moins du descriptif entraînera la qualification d'aliud. La référence des parties à une chose de genre sans spécification particulière entraînera en revanche l'application des règles sur la garantie pour les défauts. Donc, vous avez compris? Moi non plus. C'est exactement la même chose dans la réalité. Dans l'esprit des parties, et dans les textes du contrat, les éléments de description du genre et les éléments de qualité promise se confondent. On vous dit, bon voilà on va vous livrer tel objet qui aurait telle qualité. À quel moment est-ce qu'on commence à décrire les qualités de la chose et à quel moment et ce que l'on s'intéresse à l'objet de la chose, et donc à la description du genre? C'est extrêmement difficile de distinguer ces deux types de clauses contractuelles. Et pourtant, pour les parties, c'est important, parce qu'encore une fois le régime juridique de l'inexécution et le régime juridique du défaut de la chose vendue est très différent. Et alors, on arrive à un système quand même, je dirais extrêmement abscons pour les parties, où dans le fond le régime juridique qui va s'appliquer va dépendre de la façon dont le juge appréciera une description de la chose. Est-ce qu'il s'agissait d'un élément de description du genre, ou est-ce qu'il s'agissait d'une qualité promise? Et suivant cette décision du juge, eh bien un régime juridique se mettra en place qui sera très différent dans un cas et dans l'autre. Bon, pas la peine de vous dire que pour des usagers du commerce international, ils n'y comprennent rien. Et ils ont raison. L'acheteur, quand on lui dit, et bien écoutez ce n'est pas un cas de défaut c'est un cas d'aliud, il ne voit pas la différence. Il a raison, il n'a pas reçu ce qu'il voulait. Peu importe pour lui que ce soit un problème de description de la chose ou un problème de qualité promise. Pour le vendeur, c'est la même chose. Il voit bien qu'il y a un problème de livraison, mais enfin qu'on lui dise, dans un cas c'est un aliud, dans l'autre c'est un défaut de la chose vendue, il n'y comprend rien et il a raison. Et alors, pendant longtemps, je me suis dit, dans le fond, cette jurisprudence du tribunal fédéral, très pointue sur cette question-là , est peut-être inopportune. Écoutez, qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse? Nous sommes des juristes suisses, en tout cas pour ma part, et on ne peut que s'incliner devant la jurisprudence du tribunal fédéral. J'avais tort de penser cela parce que j'ai découvert après quelques années une clause que j'ai appelée depuis la clause anti-aliud, et qui va s'afficher devant vous. C'est cette clause qui est la suivante. It is hereby expressly declared that any statements as to quality made by the seller do not form part of the description of the goods. Il est convenu expressément que toutes les déclarations relatives à la qualité qui ont été faites par le vendeur ne sont pas des éléments de description de la chose. C'est une phrase incompréhensible pour n'importe quel acheteur moyen. On ne voit pas de quoi il s'agit. Mais en fait derrière cette phrase, il y a très clairement la volonté, je suppose des juristes qui ont rédigé cette clause, de lutter contre la théorie de l'aliud, et de faire en sorte que tous les éléments de description qu'on trouve dans le contrat soient des éléments qui relèvent des garanties promises et non pas de la description de la chose, pour que toute cette théorie du tribunal fédéral sur l'aliud, sur la livraison d'une chose différente de celle qui a été convenue soit mise de côté. Dès lors qu'il y a dans le contrat une description de la chose, c'est une qualité promise, ce n'est plus un élément de description de la chose. Comme quoi, finalement, on a toujours tendance à se dire qu'il faut s'incliner devant la jurisprudence de nos courts suprêmes, le tribunal fédéral en Suisse. Mais finalement il ne faut pas négliger cet instrument important de la liberté contractuelle. Vous pouvez faire beaucoup de choses avec la liberté contractuelle, y compris faire en sorte que le système juridique soit modifié, et en particulier que la théorie de l'aliud soit remise dans des tiroirs qu'elle n'aurait jamais du quitter, simplement parce que les parties ont déclaré clairement que tous les éléments de description qui se trouvent dans le contrat sont des qualités promises et non pas des éléments de description de la chose. [AUDIO_VIDE]