[MUSIQUE] [MUSIQUE] Arnaud bonjour, je suis ravie de vous retrouver aujourd'hui. J'ai une question à vous poser qui est liée à la confusion qui existe entre la surveillance sanitaire et la recherche épidémiologique. Est-ce que vous pouvez nous expliquer un peu d'où vient cette confusion et peut-être rappeler aux apprenants la différence entre les deux, notamment en ce qui concerne les objectifs et la méthodologie de ces deux approches? >> Oui. Si je reste dans le contexte du Covid, ce qu'on a vécu ces derniers temps c'est qu'il y a beaucoup de scientifiques qui se sont exprimés. À la fois c'est bien, parce que il y a cette proximité du débat scientifique qui entre dans la sphère publique à travers les médias, à la fois je pense que c'est intéressant, c'est intéressant qu'on le vive, on le vit assez rarement, et puis probablement qu'il y a encore une culture à développer sur comment faire avec ce débat scientifique. Je crois que ce qu'il est important de comprendre c'est que les scientifiques utilisent des données, ils produisent de l'information, pour produire de la connaissance. Ça c'est typiquement l'activité des scientifiques. L'activité de surveillance a une autre fonction, c'est qu'on peut utiliser des fois les mêmes données, on produit aussi de l'information, mais ce qu'on veut c'est prendre des décisions et intervenir. Donc c'est un petit peu différent, parce que toute l'incertitude qu'il y a dans le débat scientifique est plus difficile à gérer. On peut bien avoir une certaine incertitude sur ce qu'il faut faire ou ne pas faire, mais il faut qu'on s'entende un peu sur un minimum, sur une évidence. C'est pour ça que c'est extrêmement important, par exemple, de faire des revues systématiques, de résumer l'évidence. Ça c'est typiquement aussi une activité de surveillance scientifique. En recherche, on va accepter de temps en temps de se tromper. On a une certaine hypothèse, on la teste, et puis voilà, on s'est trompé, eh bien on se corrige. Ça c'est l'avancée de la science. En surveillance, on n'est pas tellement à fonctionner comme ça. On a une plus faible tolérance par rapport à l'erreur, on préfère avoir certaines évidences par rapport à ça. Et puis, vraiment, ça implique une gestion de l'information qui est un petit différente. Si je prends l'exemple de l'hydroxychloroquine, on a beaucoup parlé de ce traitement dans les médias, il y a eu beaucoup de bruit. Pour moi, typiquement, là, on n'est pas dans une activité... Tout ce débat, est-ce qu'il était utile pour l'information, pour la décision? Je n'en suis pas certain. On est allé trop vite, on n'avait pas réglé la question scientifique, elle a l'air d'être un petit peu plus réglée maintenant, d'après ce qu'on voit maintenant et si on se réfère un peu notamment à une dernière revue systématique qui vient de sortir, ça c'est typiquement une activité scientifique, et qui suggère que le traitement n'est pas utile. Je ne veux pas entrer dans le débat, mais, d'après les dernières évidences, ce n'est pas utile. Et puis le problème, maintenant qu'on a cette information, eh bien on peut l'utiliser pour la surveillance. L'activité scientifique, entre guillemets, a avancé ; ça nous permet d'utiliser cette information pour la surveillance. Donc on sent qu'il y a un petit peu cette distinction. Je dirais que c'est extrêmement important de bien distinguer. On peut faire une analogie, par exemple, si je fais une analogie avec la météo. Par exemple, il y a des chercheurs qui s'intéressent à comment améliorer les prédictions météorologiques, comment mieux comprendre comment la météo fonctionne. Ça c'est de la recherche. Je ne crois pas qu'il y ait un grand intérêt à ce que cette recherche soit médiatisée, si ce n'est de temps en temps, quand quelqu'un nous explique un nouveau mécanisme météorologique, c'est très intéressant. Par contre, nous, pour prendre des décisions, on a besoin de prédictions météorologiques qui tiennent la route. Par analogie, on a besoin d'une surveillance qui tienne la route. Donc ce serait ça un petit peu l'analogie pour essayer de distinguer une activité scientifique d'une activité de surveillance. Ce qu'on a vécu ces derniers temps, c'est qu'on a eu beaucoup de scientifiques qui se sont exprimés dans les médias, qui nous ont expliqué un peu ce qu'ils faisaient, et je pense que ça se rapprochait plus d'une activité scientifique et ça ne nous aidait pas forcément directement, bien sûr de temps en temps indirectement, à prendre certaines décisions. Parfois, ça pouvait aussi soulever de l'angoisse, quand les prédictions, par exemple, étaient très inquiétantes alors que c'était juste un modèle qui était discutable en rapport avec ça. Donc ça vaut la peine un tout petit peu de bien essayer de distinguer les deux éléments. >> Je trouve que l'analogie est claire. La météo est assez parlante, donc je suis sûre que les participants arriveront à bien comprendre cette différence grâce à cette analogie. Une dernière question, si vous voulez bien. Vous avez un petit parlé des nouvelles technologies, mais est-ce que vous pouvez un petit peu développer l'impact de ces nouvelles technologies sur la surveillance sanitaire aujourd'hui? >> Effectivement, les nouvelles technologies, au sens large du terme, sont vraiment en train de fortement modifier la surveillance. Je dirais qu'il y a plusieurs éléments, il y a deux éléments. Ça élargit la source d'information, les sources d'information se multiplient, notamment parce qu'on a de plus en plus accès à différents types de données, à travers notamment les médias sociaux, par exemple, ou bien certaines applications, là on le vit, par exemple, avec certaines applications qui nous aident à tracer les cas de Covid, ou bien toutes les traces digitales qu'on laisse à droite à gauche, qui peuvent, quand on les analyse, se transformer en signal potentiellement intéressant pour la surveillance. Donc ça c'est le premier point, c'est que c'est une nouvelle source de données. L'autre élément sur les technologies de l'information, et je dirais que c'est peut-être encore plus important, parce que le fait qu'on ait une évolution technologique qui nous change les sources de données, ça c'est quelque chose qu'on connaît de longue date. Je pense que la grande révolution qu'on vit maintenant c'est surtout comment l'information est disséminée, comment est-ce qu'elle circule. Je pense qu'on l'a vécu pleinement avec le Covid, avec cette sorte d'infodémie, donc on a énormément d'informations qui circulent sur les médias, à travers les médias classiques, sur les médias sociaux, sur les sites Internet à travers différents réseaux, et ça c'est vraiment, je dirais, une chose nouvelle, c'est qu'on a des données de surveillance, des analyses de surveillance qui circulent, qui génèrent de l'information et dont il faut tenir compte, par exemple quand on informe la population sur un problème de santé. Si je reviens un petit peu au point que j'évoquais sur la définition de la surveillance, il faut toujours penser à notre public cible. C'est qui qu'on veut informer, puis comment est-ce qu'on veut l'informer? Et puis c'est vrai qu'avec les nouvelles technologies de l'information, cette information circule sans passer par les canaux standard, classiques, de référents habituels, ça change vraiment la donne et il faut en tenir compte comme lorsqu'on informe sur le sujet. Les challenges en lien avec les technologies de l'information c'est qu'il y a la protection des données. Je dirais que c'est un élément qui est de plus en plus important. J'ai évoqué ces nouvelles sources d'information ; un autre élément qui est important c'est qu'on peut de plus en plus souvent facilement faire du lien entre ces données, on peut faire du linkage entre les données, ça donne de l'information, mais on risque de briser la protection de l'information, de certaines données, identifier des personnes, et donc ça c'est un élément qui est extrêmement important auquel il va falloir être extrêmement attentif. L'Europe s'est dotée d'un nouveau système de protection des données dans le domaine de la santé, en lien notamment avec le développement de la santé digitale, et c'est clair qu'il va falloir faire extrêmement attention par rapport à ça. L'autre élément qui est un challenge en lien avec le développement de ces nouvelles sources de données et en lien avec ces nouvelles technologies, c'est la question de la qualité des données, et puis qu'est-ce qu'on mesure exactement. Alors, c'est clair qu'il y a du signal dans ces informations, si je pense notamment aux médias sociaux où il y a beaucoup d'informations. Des fois, on ne sait pas très bien ce qu'on mesure, et ça c'est vraiment la partie qui est très compliquée. Traditionnellement, quand on avait un système de surveillance, on définissait l'objet qu'on voulait mesurer, on développait un outil pour mesurer la chose, et puis, à partir de là, on dégageait de l'information. On savait ce qu'on mesurait, puis on savait plus ou moins la qualité de l'information. Ça prenait du temps, ce n'était pas forcément simple. Là, on gagne du temps, mais par contre on n'est plus très bien sûrs des fois ce qu'on mesure, la qualité des données n'est pas toujours complète. Puis l'autre chose qui est extrêmement compliquée, des fois, à définir par rapport à ça, c'est : c'est quoi notre population source? Si vous pensez à un média social comme Twitter, par exemple, c'est quoi la population qui est derrière? Et ce n'est pas forcément simple d'essayer de définir qui sont ces gens-là, est-ce que ça change au cours du temps? Ce n'est pas une population fixe dans un espace donné, et ça c'est plutôt une vision traditionnelle et ancienne un peu de la surveillance. Et c'est ça un tout petit peu dont il faut tenir compte avec ces nouvelles technologies. >> Je vous remercie Arnaud. On a terminé cette discussion, c'était vraiment passionnant. Je vous remercie beaucoup pour votre échange et le contenu que vous avez partagé avec nous. J'espère que vous, participants, vous avez apprécié cette discussion. Vous avez pu voir certains concepts fondamentaux de la surveillance sanitaire, vous avez pu comprendre également que la qualité des données est vraiment fondamentale. Quand on s'applique à récolter et ensuite à analyser les données, il faut être certain qu'elles sont de qualité. Également, la diffusion, la transmission, le professeur Chiolero a vraiment insisté là-dessus. il faut pouvoir s'adapter au public cible auquel s'adresse notamment cette information qu'on va diffuser, et l'impact des nouvelles technologies est assez important mais, encore une fois, cela vient avec des limites, à n'en pas douter, évidemment de pouvoir s'adapter au public, mais aussi de pouvoir vérifier que les différents médias sociaux correspondent à l'objectif qu'on s'est assigné au niveau de la surveillance sanitaire. Je vous remercie et je vous retrouverai très bientôt. [MUSIQUE] [MUSIQUE]