[MUSIQUE] [MUSIQUE] La séquence d'aujourd'hui sera sous la forme d'un entretien avec Monsieur Ydo, Directeur du Bureau international d'éducation et donc elle portera sur l'éducation traditionnelle africaine mais aussi sur les liens entre cette éducation et la globalisation, les débats internationaux actuels sur l'éducation. Le Bureau internation d'éducation et l'antenne de l'UNESCO à Genève, et c'est une organisation très importante d'un point de vue international pour la réflexion sur l'éducation comparée. C'est la première organisation internationale fondée à Genève en 1925 pour travailler sur l'éducation internationale. Monsieur Ydo, merci de nous recevoir pour dialoguer avec nous sur l'éducation traditionnelle en Afrique. >> Le plaisir est mien. Merci à vous de cette visite. >> Alors, j'ai peut-être une première question sur les caractéristiques de cette éducation traditionnelle en Afrique. Vous savez, on parle beaucoup d'éducation traditionnelle, de quoi s'agit-il en fait? >> Merci beaucoup. On parle d'éducation traditionnelle, donc je situe ça au niveau temporel à tout ce qui a prévalu dans nos sociétés avant l'école moderne. Et cette éducation traditionnelle est basée vraiment sur le substrat culturel des populations, des communautés, notamment l'enseignement de certaines valeurs qui sont chères aux communautés traditionnelles comme la solidarité, le partage et tout ce qui concerne la non appropriation par opposition aujourd'hui aux sociétés où nous sommes devenus, chacun est devenu un peu égoïste. Il a des biens, il parle plus en mon, ma que en nous. >> Donc, il y a vraiment un aspect communautaire de cette éducation traditionnelle. >> Absolument. L'éducation traditionnelle était basée sur le fait que rien n'appartient à personne, tout nous appartient. Nous sommes tous responsables, nous avons donc un destin commun, un sort commun et par conséquent une responsabilité commune pour que la société soit plus harmonieuse et que nous vivions davantage ensemble. Donc, c'est cela le fondement de l'école africaine. Maintenant, il faut dire en termes de contenu aussi, cette école-là , elle avait elle enseignait des valeurs qui aujourd'hui sont à la mode, par exemple le changement climatique. Vous savez, dans nos villages traditionnels en Afrique, dans tous les villages, vous allez voir ce qu'on appelle une rivière sacrée ou bien une forêt sacrée. Une rivière sacrée c'est pour la protection des ressources halieutiques. Dans la rivière sacrée qui parfois est à côté du village, elle est poissonneuse à foison, mais personne n'a le droit de pêcher un poisson. Et la forêt sacrée, il y a des arbres, des plantes et des animaux dans cette forêt, personne n'a le droit d'y toucher. Donc, à y voir de près, de manière très lointaine, c'était leur manière de protéger l'environnement, les ressources halieutiques et les ressources environnementales. Et donc, tout ça, ça faisait partie de l'éducation traditionnelle dans les populations, dans les sociétés africaines. >> Mais alors, je comprends ce que vous me dites. Mais est-ce que vous pensez qu'il y a une possibilité d'articuler cet héritage pédagogique traditionnel avec l'école moderne? >> Mais oui. >> Est-ce que c'est vraiment possible? >> La difficulté se situe au niveau de qui donne l'éducation. L'école moderne à laquelle vous et moi avons été, c'est un professeur, un instituteur qui donne l'éducation. L'école traditionnelle c'est tout le village, c'est tous les vieux, tous les parents. Moi je me rappelle, parfois quand je sors, je fais une bêtise dans le village, il y a un homme, un âgé qui ne te connaît pas, il va te corriger sévèrement, parce que tu es un enfant, tu as fait une chose que tu ne devais pas faire. Et en plus, si tu arrives à la maison, que tu oses le dire à tes parents, ils vont doubler la punition. Donc, parfois mieux vaut se taire. Et là , ce monsieur, pour lui, il participe à ton éducation. Tu n'es pas son enfant mais il est responsable de ton éducation. Et là , aujourd'hui, c'est difficile, les droits des enfants. Quand on touche à un enfant qu'on ne connaît pas, tout de suite il y a des problèmes. Et donc, c'est difficile dans le contexte traditionnel aujourd'hui pour les parents et les vieux, la gérontocratie qui avait un rôle majeur, de continuer à contribuer à ça parce qu'il y a d'autres valeurs modernes qu'il faut respecter. Il ne faut pas gronder un enfant, il ne faut pas crier sur lui n'importe comment. Et ça, ça rend un peu difficile. >> Donc, il y a une tension en fait entre cet héritage traditionnel et les impératifs de la modernité. >> Exactement. Exactement, il y a... >> Mais peut-être... Maintenant, vous avez une fonction importante dans une organisation internationale qui est dédiée à l'éducation, qui est l'UNESCO, qui est sensée réfléchir sur l'évolution de l'éducation dans le monde. Est-ce que justement avec votre expérience au sein de l'UNESCO, vous pensez qu'on a fait des progrès pour réfléchir à intégrer, articuler cette tradition avec la modernité éducative ou est-ce qu'on est toujours en train de chercher ça d'un point de vue institutionnel? >> Oui, du point de vue institutionnel, il y a eu j'appellerais pas ça des erreurs, mais depuis l'aube des temps, au cours des périodes de colonisation et puis après immédiatement, les personnes qui ont été à l'école moderne et qui sont ceux-là qui ont travaillé sur les curricula de l'école moderne n'ont pas été suffisamment inspirés par la prise en compte des valeurs et cultures locales pour soustendre les propositions d'une école moderne, au point que à y voir de près, il y a eu un certain nombre de décisions, un certain nombre d'orientations qui ont été prises et qui n'étaient pas en phase avec le lien contextuel et culturel. >> Est-ce que vous pouvez nous donner un exemple justement d'erreurs qui ont été commises dans la planification de cette école moderne? >> Simplement, prenons le cas simplement de l'histoire. Un exemple. L'école à laquelle moi j'ai été, à l'école primaire, j'ai appris l'histoire de France, toutes les histoires des guerres, c'est une bonne chose, l'histoire de Napoléon, etc. Je connaissais tout ça au bout des doigts, et pourtant le roi Chaka Zoulou qui est à côté de moi et qui est connu traditionnellement comme un roi qui a fait de grandes... Soundiata Keïta... Je n'avais pas autant de connaissances de ces rois-là et de ce qu'ils ont pu apporter que ce que Napoléon et autres ont apporté. Je veux dire, c'était très important pour moi de connaître ce que Napoléon a apporté, c'est bien. Mais en même temps, il aurait été mieux d'avoir aussi autant de connaissances sur ce que ceux qui sont le plus proches de ma culture et qui ont fait des choses, comment cela a impacté ma société et comment cela peut impacter ma vie. Donc, il y a des exemples de ce type. >> Donc, les choix curriculaires, et c'est vrai ici on est au milieu. >> Au cœur. >> C'est le centre de compétences de l'UNESCO pour le curriculum. Donc, là ce que vous me dites, c'est qu'il faut renouveler le curriculum afin de retrouver la civilisation, la culture africaine dans les contenus d'enseignement, c'est ça? C'est important, ça? >> C'est important mais ça ne doit pas être l'un au lieu de l'autre. On doit pouvoir, autant c'est important de former des jeunes qui sont ancrés dans leur culture, mais ces jeunes-là doivent nécessairement être ouverts sur le reste du monde. Donc, comment arriver à former des citoyens ancrés et qui sont ouverts? Nous sommes dans un contexte de mondialisation. On ne peut plus former des gens juste pour leur culture. Et ça, ça m'amène moi, quand je regarde mon parcours, quand j'ai été exposé au monde occidental, il y a eu un certain nombre de... Regarde d'abord au niveau alimentation, moi j'avais l'habitude de manger mon gros foutou avec ma sauce pimentée. Quand je me suis retrouvée à Grenoble, mes études de troisième cycle, il fallait aller au restaurant avec d'autres. Déjà , c'était un premier choc. Ensuite, des choses banales comme une mise de table. Quand on met la table, on dit, la fourchette doit être à gauche. En général, on coupe la viande avec la main droite... Mais dans ma culture, c'est interdit de manger avec la main gauche parce que manger avec la main gauche ce n'est pas bon. Et le parent, quand il te voit faire quelque chose avec la main, on vient te taper, non, non. Et pourtant, là il fallait s'adapter à cela, c'est important. Le regard. Dans ma culture, quand je te parle, je dois te regarder, c'est un signe de respect. J'ai été sous d'autres cieux, en Asie, regarder quelqu'un c'est le défier. Quand il te parle, tu dois baisser la tête. Et donc, moi qui ai l'habitude de parler en regardant, j'arrive dans un nouveau contexte, en parlant en quelqu'un de plus senior que moi, je dois baisser la tête. Donc, ça ce sont des chocs culturels auxquels il faut s'adapter. Mais c'est enrichissant. >> Tout à fait. Je trouve justement, de nous partager votre expérience personnelle, c'est très important pour nous. Nous, dans le cadre de ce cours, on utilise beaucoup la métaphore l'école moderne en Afrique reste une aventure ambiguë, pour rappeler le titre d'un ouvrage. >> [INAUDIBLE]. >> Justement. Alors, comment vous, peut-être pour terminer cet entretien, est-ce que l'école moderne pour vous reste une aventure ambiguë et comment vous avez survécu à cette aventure ambiguë? >> Elle est une aventure ambiguë mais très utile. Et l'utilité c'est la finalité. Qu'est-ce qu'elle m'a permis de faire, et que peut-être n'aurais-je pas pu faire si j'étais resté seulement dans mon école traditionnelle. L'école moderne m'a permis d'apprendre d'autres cultures, d'être ouvert sur d'autres cultures. Mais j'ai un regret qui est que je ne me sens pas ancré dans ma culture. Je le reconnais. Et c'est un regret pour moi de ne pas suffisamment connaître ma culture. >> Par exemple, vous pensez que l'écriture dans votre langue maternelle, vous n'arrivez pas à écrire dans votre langue maternelle, c'est ça par exemple? >> Ça par exemple c'est un handicap. Et là , vous ouvrez une fenêtre pour que je vous parle d'autre chose aussi. L'école dans les langues maternelles justement, aujourd'hui nous avons des millions d'enfants africains qui commencent l'école dans une langue autre que celle qu'ils parlent à la maison. Donc, ces enfants sont handicapés dès leurs premières années d'apprentissage parce qu'il y a le blocage de la langue. Et si vous permettez, je vais juste donner une anecdote pour illustrer cela. J'ai été invité il y a huit ans à Bordeaux pour une conférence sur la qualité de l'éducation et on me demandait de préparer, j'ai préparé un petit papier sur Langue nationale comme médium d'enseignement pour améliorer la qualité. Et quand je suis rentré, il y avait 300 personnes dans la salle. J'ai pris la parole et j'ai commencé à parler dans ma langue maternelle pendant quelques minutes. Donc, toute la salle était là et me regardait avec des grands yeux. Bon, après, j'ai demandé, est-ce qu'il y a quelqu'un dans cette salle qui a compris ce que j'ai dit? Il y a un monsieur qui a levé le doigt, il dit, oui, j'ai entendu quand vous avez dit Yao Ydo, ça c'est votre nom. Vous avez dit UNESCO, c'est là -bas que vous travaillez, ça j'ai compris. Je dis, bon, et les autres? Personne n'a levé le doigt. Vous voyez, ce que je viens de vous dire, je viens de vous dire simplement que je suis de l'UNESCO mais que je m'appelle Yao Ydo et que dans un contexte où je me trouve, dans une classe au CP1, je disais, je suis Yao Ydo et je suis votre maître et nous allons passer neuf mois ensemble à apprendre. Je l'ai dit, vous voyez dans quelle situation vous vous êtes retrouvés? C'est la même situation que des enfants, le maître quand il arrive la première fois, il commence à parler en français, ces enfants sont totalement perdus, ils ne comprennent rien du tout, et pourtant ils doivent construire leur apprentissage là -dessus. Et donc, ça montre le handicap dès le début, et c'est important qu'on travaille. On sait que la langue c'est le meilleur support de toute culture. Mettre la langue de côté c'est avec tout ce qu'elle a comme culturel. Déjà , commençons par voir comment promouvoir le multilinguisme et l'éducation qui commencerait par les langues maternelles des apprenants, et [INCONNU] s'est engagé à y travailler. >> Monsieur YDO, merci beaucoup pour cet entretien qui nous a permis de comprendre qu'il est possible d'articuler traditions, pédagogies africaines avec la modernité. >> Merci. [MUSIQUE] [MUSIQUE]