[MUSIQUE] [MUSIQUE] La séquence d'aujourd'hui sera sous la forme d'un entretien avec monsieur Ydo, directeur du Bureau international d'éducation. Monsieur Ydo, merci de nous recevoir pour dialoguer avec nous sur l'éducation traditionnelle en Afrique. >> L'éducation traditionnelle, on acquiert cette éducation par initiation. Dans la société traditionnelle de chez moi, il y a des informations auxquelles certaines personnes ont accès. Seules les personnes initiées peuvent être invitées à participer à certaines réunions. Et pour ça, c'est un grade social qu'il faut avoir dans le cursus d'éducation. Et quand on est initié, on peut participer à certaines cérémonies. Et ça se passe soit dans les forêts sacrées, dans les bois sacrés, où on amène les gens pour les initier. L'autre chose qui est importante aussi, l'enseignement technique et la formation professionnelle. Pour savoir un métier, par exemple de forgeron, c'est par imitation. Il y a un forgeron qui est au coin du village, qui forge. Les enfants viennent s'asseoir autour de lui et ils regardent faire par imitation. Il n'a aucune pédagogie théorique. Les enfants le regardent faire. On acquiert les connaissances par regard et par imitation dans les sociétés traditionnelles. Les compétences sont acquises par imitation. >> Tout à fait. Au niveau des artisans ou des métiers, il y a quand même des liens entre certains métiers et certaines castes. >> Oui. >> Par exemple, le travail du fer n'est pas ouvert à tous les groupes. >> Absolument. >> Ça, c'est important, mais ça peut être un frein à la formation professionnelle. >> Absolument. Dans certaines sociétés, en fonction de certaines origines culturelles et linguistiques, il y a des fonctions auxquelles on ne peut pas accéder. Par exemple, ne peut être griot qui veut, ne peut être forgeron qui veut. Il faut descendre d'une famille ou bien d'un groupe ethnique où ce métier-là est reconnu et valorisé. Il y avait aussi ça qui permettait d'avoir une sorte de division dans l'acquisition des compétences. C'est important. Sur la question de la vision holistique de l'éducation, vous le savez bien monsieur Akkari, l'UNESCO, contrairement à d'autres agences, nous sommes l'organisation qui traite des question d'éducation du préscolaire jusqu'à l'enseignement supérieur en passant par l'éducation non formelle. Nous accompagnons nos États membres dans la planification et la mise en œuvre des programmes de tous ses secteurs-là . Et comme vous le savez également, l'UNESCO se bat pour promouvoir l'accès à l'éducation. Par exemple, les statistiques indiquent que plus de 38 millions d'enfants en Afrique sont hors des systèmes éducatifs, des enfants en âge scolaire. Comment faire pour que ces enfants puissent accéder à l'éducation, pour qu'elle soit plus inclusive? Notre défi c'est le préscolaire. Dans certains pays, moins de 3 % des enfants ont accès à une éducation préscolaire, alors qu'on sait son rôle dans la préparation des enfants avant qu'ils n'aillent à l'école. Et nous avons les enfants en situation de handicap. Les infrastructures ne siéent pas à leur formation. Ils n'ont pas accès à certains programmes à cause de leur handicap, qui peut être physique ou alors mental. Ça également, c'est un gros défi pour l'UNESCO, comment rendre l'école plus inclusive et comment la rendre plus holistique. Cela fait partie des domaines dans lesquels nous travaillons. Et sur la question de la qualité de l'éducation, aujourd'hui, un des défis majeurs pour les enfants dans les pays en développement c'est l'absence de compétences digitales. Aujourd'hui, et ça, c'est jusqu'aujourd'hui où je vous parle, il y a des millions d'enfants en Afrique et dans les pays en développement, qui commencent l'école, du CP1 jusqu'à l'université, sans avoir vu un ordinateur, a fortiori y toucher. Pour les compétences du XXIe siècle, comment on prépare ces enfants à cela? C'est un gros défi, quand on sait que les études sérieuses ont démontré que d'ici 30 ans, près de 70 % des emplois actuels vont soit disparaître, ou alors se transformer en des emplois pour lesquels on a besoin de compétences digitales. Donc, ces enfants-là qui quittent le CP1 jusqu'à l'université sans avoir touché à un ordinateur, comment on les prépare à cet avenir? C'est un énorme défi, et nous devons, l'UNESCO, s'y engager. Et le BIE va y travailler. Parce qu'il y a la question des infrastructures, il y a la question de connectivité et de l'énergie. Ce sont des défis au-delà des compétences de l'UNESCO. Mais nous avons des partenaires à travers la coalition mondiale pour l'éducation, que l'UNESCO a créée post COVID. Nous allons mobiliser des partenaires pour doter les pays d'infrastructures qui leur permettent d'assurer l'éducation à distance, de promouvoir les compétences digitales chez les enfants. Ce sont les défis du XXIe siècle pour les apprenants auxquels l'UNESCO devrait faire face. Et le BIE s'y emploiera avec les partenaires. La pédagogie qui a été appliquée et que j'ai subie, entre guillemets, c'était une pédagogie de mémorisation. Et les TIC sont aujourd'hui un formidable outil qui doit promouvoir la créativité. Comment bâtir une pédagogie davantage moins basée sur la mémorisation que le développement de l'esprit créatif et d'initiative chez les apprenants? On en a vraiment besoin, parce que jusqu'à l'heure où je vous parle, c'est toujours la pédagogie de la mémorisation qui est en cours dans les écoles. Un enfant écoute le maître religieusement, comme je l'ai fait en mon temps. Et ça fait très longtemps, mais jusqu'aujourd'hui, il écoute le maître, il prend note, il va bosser par cœur son cours. il revient, il le récite pendant les compositions, il a 20 et il passe en classe supérieure, il est considéré comme un brillant élève, alors qu'on ne donne même pas de place à sa créativité et à son apport à la construction du savoir. Alors qu'aujourd'hui, moi, mon profil quand j'étais à l'école primaire n'est pas le même que celui d'aujourd'hui. Parce que les enfants, ils ont tellement accès, exposés aux informations qu'ils ont des connaissances. Comment valoriser et promouvoir, exploiter cela en addition à la pédagogie? C'est un énorme défi. Juste une anecdote. J'ai un ami qui enseigne l'histoire au lycée de Bingerville en Côte d'Ivoire. Un jour, il vient me voir, il me dit : Ydo, il y a un élève qui a failli me honnir aujourd'hui. Je dis : Mais qu'est-ce qui s'est passé? Il me dit : J'ai donné une date pendant le cours d'histoire. Et il a levé le doigt, il était au fond de la classe. Il a dit que : Monsieur, cette date-là ne me semble pas être la vraie date. Pour ne pas perdre la face, il lui a demandé : Comment tu l'as su? Il a dit : J'ai regardé sur Google. J'ai vu que ce n'est pas la date. Et lui, il était très gêné, mais il dit qu'il a eu une pirouette en disant : Tu sais, en matière d'histoire, d'une maison d'édition à l'autre, tu peux parfois avoir des variations dans les dates, mais je vous demande tous de vérifier ça, et au prochain cours, on voit. Mais il me dit que quand il est sorti de la classe, il est allé voir le censeur pour lui dire : Cet enfant, on doit le mettre dehors pour deux, trois jours parce que le téléphone est interdit à l'école et que cet enfant l'a utilisé. Je lui ai dit : La question n'est pas interdire le téléphone, mais pour les pédagogues, la question doit être comment cet outil doit être utilisé de manière pédagogique pour compléter ce que tu fais. C'est faire la politique de l'autruche que de dire non. Mais plutôt, les pédagogues doivent réfléchir sur toute cette exposition des enfants à des connaissances à travers plein de réseaux, comment on peut les exploiter pour mieux accompagner le processus de construction du savoir. Une dernière illustration de cela, mon fils qui a 19 ans. J'étais à Abidjan il y a cinq ans. Je dis : Écoute, il faut que tu t'intéresses à l'histoire des grands hommes qui ont fait l'Afrique : Kwame Nkrumah, Nelson Mandela, Cheikh Anta Diop et tout ça. Mais ce sont des choses qui l'ennuient. Il me dit : Papa, qu'est-ce que je vais faire avec ces choses-là ? Il a une vision prospective de son avenir. Il veut apprendre des choses qui l'aident. Un jour, après la mort de Mandela, une semaine après, il me dit : Mais papa, Nelson Mandela, c'était un grand homme! Je dis : Je t'avais dit de t'intéresser, tu ne voulais pas. Comment tu l'as su? En fait, il est fan de Ronaldo, le footballeur. Et quand il était à Manchester, Ronaldo est parti en Afrique du Sud avec toute l'équipe de Manchester. Ils sont allés rendre visite à Nelson Mandela, et Ronaldo avait fait une photo avec lui à l'époque. Et quand Nelson Mandela est décédé, Ronaldo, sur sa page Facebook, il a mis cette photo et il a écrit toute l'histoire de Mandela derrière, ce qu'il a fait. Mon fils, comme il va tous les jours sur la page Facebook de Ronaldo, il a vu la photo et il a commencé à lire. C'est comme ça qu'il a appris l'histoire de Nelson Mandela. Ça veut dire quoi? Si on veut que les enfants apprennent, les nouvelles technologies, il faut réfléchir à comment les rendre moins barbantes. Là , il a appris quelque chose qu'il n'a pas appris à l'école, mais à travers sa curiosité dans les réseaux sociaux. Et donc, ça, ce sont des défis pour les pédagogues d'aujourd'hui. >> Merci beaucoup monsieur Ydo. Pour conclure cette séquence très instructive, je dirais qu'il y a toujours des possibilités de réformer la pédagogie en Afrique. Comme l'a dit monsieur Ydo, nous avons besoin de passer d'un modèle transmissif basé sur la mémorisation, à un modèle qui laisse de la place pour la créativité, pour la résolution de problèmes, et surtout pour l'usage réfléchi des nouvelles technologies. [MUSIQUE] [MUSIQUE]