[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour et bienvenue dans cette nouvelle vidéo intitulée L'échec du développement durable et ses raisons. A l'issue de cette vidéo, vous serez capable de un, connaître les raisons principales de l'échec du développement durable, deux, comprendre en quoi consiste l'effet rebond, et trois, comprendre les limites du recyclage. Quelles sont les raisons de l'échec du développement durable? Pouvez-vous revenir sur ces raisons? >> Oui, alors, pour ma part, il me semble qu'il y a deux raisons essentielles >> qui sont un peu sur les mêmes modes, même si les objets sont différents. Je dirais qu'il y a dans la notion même de développement durable, avec cette question de la substituabilité en fait empruntée du discours de l'économie néoclassique, il y a une mésappréciation, il y a une erreur quant à ce que sont et ce que peuvent les techniques. Et je dirais qu'aussi concernant l'harmonie entre les trois piliers qui est elle-même aussi présupposée par le développement durable, je dirais là aussi qu'il y a une mésappréciation, une erreur sur ce qu'est la raison économique et son impérialisme. Alors, commençons avec les techniques. Prenons un petit peu les choses avec du champ. Qu'est-ce que peuvent nous donner les techniques? Que peuvent-elles permettre? Et là, je dirais qu'il y a trois choses différentes. Le premier rapport des techniques, c'est de permettre de produire des biens ou des services existants avec des gains de productivité. C'est-à-dire de telle sorte que leurs productions parfois et leur usage puissent se faire avec une consommation de ressources moindre. Par exemple, une locomotive d'aujourd'hui a un rapport poids/puissance très différent par rapport aux toutes premières locomotives qui étaient très très lourdes pour une puissance réduite. Prenons un ordinateur d'aujourd'hui par rapport à un ordinateur d'il y a 15 ans, il va consommer moins d'énergie, et en même temps, il va permettre des calculs plus importants, avoir une mémoire plus ample, etc. Donc là, on est vraiment sur les gains de productivité en terme de production, mais aussi les gains en termes d'usage. Là plutôt par rapport à la question de la consomation énergétique. Or, et Jevons l'avait vu dès le XIXe siècle, ces gains de productivité machines, objet après objet ne se retrouvent pas du tout dans la consommation générale. C'est même rigoureusement le contraire. A partir du moment où j'arrive à produire des ordinateurs avec moins de ressources, et notamment moins de travail, moins d'énergie, moins de matière, à partir du moment où ils sont plus puissants, etc., cela signifie que le nombre d'acheteurs qui peuvent les acquérir augmente, que les usages qu'on peut en faire s'intensifient. Et donc, au bout du compte, les économies que j'ai réussi à réaliser à l'échelle de chaque unité me donnent le fait que je vends plus d'unités, et qu'au bout du compte, les flux de matière et les flux d'énergie sous-jacents explosent. Et c'est bel et bien ce qui se produit. Cela, c'est ce qu'on appelle l'effet rebond. Alors, on peut distinguer effet rebond direct et indirect. Mais peu importe, là on a bien affaire à l'effet rebond. Deuxième possibilité que nous octroient les techniques, c'est de permettre d'inventer des objets ou des services nouveaux. Alors, pas d'inventer de façon débridée. Tout ce qu'on invente, c'est toujours par rapport à des fonctions. La fonction transport, la fonction habitat, la fonction vêtements, la fonction nourriture, la fonction communication, on ne peut jamais inventer qu'à partir d'un socle anthropologique relativement stable. Mais évidemment, chaque fois que j'invente un objet qui n'existait pas avant, c'est autant de flux de matière, et autant de flux d'énergie nouveaux que je suscite. Quand j'invente un service, quand je marchandise quelque chose qui n'était pas, j'ai grosso modo le même résultat. Donc là encore, on voit que la deuxième possibilité que nous offrent les techniques débouche sur un surcroît de consommation de ressources en terme de flux de matière, en terme de flux d'énergie. Troisième possibilité qu'offrent les techniques, et là, ça pourrait être beaucoup plus intéressant. Peut-être que ça pourrait mieux répondre à nos problèmes. Mais on va voir, pas vraiment. Ce qu'on sait faire en matière technique est relativement génial aujourd'hui en matière de remédiation. On sait reconstituer certains écosystèmes marins ou terrestres, on sait créer des écosystèmes pour traiter tels effluents, pour traiter les déchets, les eaux usées d'une ville, etc., on sait faire des choses assez extraordinaires. Mais malheureusement pour nous, nous autres humains, chaque fois que nous agissons, c'est toujours à une échelle locale. Or, nous avons des problèmes globaux. Prenons un exemple. Prenons la question du changement climatique et du changement de la composition chimique de l'atmosphère. On a un énorme surcroît de gaz à effet de serre. En termes de carbone, on a 1 900 gigatonnes, c'est-à-dire milliards de tonnes, que nous avons fini par accumuler dans l'atmosphère avec, vous vous en souvenez, un taux de concentration qui est relativement faible, de 400 PPM, donc de 400 molécules de dioxyde de carbone dans un volume d'air d'un million de molécules. Et donc, évidemment, s'il fallait absorber cela, vous imaginez que déjà, il faudrait des structures gigantesques, il faudrait une énergie extrêmement importante. Et au mieux, on pourrait imaginer qu'on arriverait à absorber, disons peut-être 10 gigatonnes par an à un coût énergétique très probablement colossal à l'échelle de ce qu'avait été la consommation ou la production énergétique annuelle à la fin du XXe siècle. Mais autant écoper un paquebot en perdition avec un godet. Là, on ne sait pas faire. D'ailleurs, l'expression géo-ingénierie est une expression inadéquate. Il n'y a pas de technique d'une part à l'échelle globale. Et d'autre par, géo-ingénierie, ça voudrait dire que l'on sait manipuler le système Terre comme on sait construire un pont en se fondant sur quelques paramètres que l'on maîtrise parfaitement. Bien évidemment, ce n'est pas ce qu'on sait faire, en terme global. Donc là, non, les techniques ne nous sont pas d'un grand secours. Et en fait, c'est assez simple à comprendre. Les techniques sont des médiations. On pourrait très bien imaginer que finalement, allez délirons avec les tendances humanistes, dans quelques décennies, on soit remplacé par des robots, les robots utiliseraient des techniques, ce seraient des médiations entre eux et nous. Mais la chose qu'on ne peut pas imaginer, c'est que la nature disparaisse. Et donc en d'autres termes, les techniques ne sont que des intermédiaires. Alors, quand on parle de substitution du capital reproductif, c'est-à-dire de techniques d'artefact à la part du capital naturel que nos activités économiques détruisent, cette expression est stupide, elle n'a aucun sens. Il n'y a rien dans la réalité qui permet de lui donner un sens, c'est un fantasme d'économistes. En fait, ce qu'on substitue, ce sont des techniques à d'autres techniques. Et la substitution d'une technique à une autre nous permet tout simplement d'exploiter une part du capital naturel, un compartiment de la biosphère que nous ne savions pas exploiter autrefois. Prenons le gaz de schiste. Alors, en fait, surtout l'huile de schiste, elle est exploitée déjà au début du XXe, mais peu importe, à une échelle qui était très petite. On l'exploite désormais à une échelle plus grande parce qu'on a su unifier deux techniques. La fracturation hydraulique d'un côté, qui existait avant, et puis des forages horizontaux de l'autre. Et donc, on a substitué, ou en tout cas, on a plutôt ajouté cette technique à d'autres techniques. Et on est capable maintenant d'aller chercher les micro bulles de gaz qui se trouvent dans la roche mère ou les micro gouttes de pétrole de schiste, d'huile de schiste qui se trouvent aussi dans la roche mère. Cela ne contredit en rien la fidélité du système biosphère. Au contraire, c'est une façon de l'accélérer et de la pousser jusqu'au bout. Il y a une erreur de pensée sur ce que peuvent donner les techniques, et qui est au fondement de l'idée de substitution, et par conséquent de l'idée de développement durable qui, dans son acception faible, repose sur cette substituabilité du capital naturel par le capital technique. Alors, deuxième erreur, cette fois-ci, elle porte sur la raison économique. Parler de trois piliers, parler d'harmonie entre les trois piliers, c'est extrêmement naïf. Il suffit de regarder autour de nous. Rien aujourd'hui n'échappe à la rationalité économique. On ne juge plus une oeuvre d'art en fonction de qualités extrinsèques qu'on sent exposées dans un discours. On juge une oeuvre d'art en fonction du prix auquel on la vend sur un marché. La science qu'on produit, une grande partie de la science qu'on produit aujourd'hui, ce n'est pas de la science, ce sont des objets techniques. Ils sont financés pour le marché. Dans certains pays, c'est le cas aux États-Unis, on ne va passer une loi nouvelle sans qu'il y ait une analyse coûts-bénéfices. Donc, au jugement politique, on substitue un jugement économique, etc., etc. La raison économique s'instille, s'introduit partout et mange tout le reste. Comment voulez-vous qu'il y ait la moindre harmonie entre les trois piliers? Vous en avez un qui mange les autres. Et c'est bel et bien ce qui s'est produit et c'est la deuxième raison de l'échec du développement durable. >> Pouvez-vous nous dire qu'est-ce que c'est que l'effet rebond? >> Oui, bien sûr, j'ai distingué tout à l'heure, >> sans le préciser, effet rebond direct et effet rebond indirect. Je précise, ce n'est pas très difficile. Un effet rebond direct, c'est par exemple celui qu'indiquait au départ Jevons pour le charbon. Ce qu'il disait, c'est que plus les machines seront performantes, et au bout du compte, plus nous consommerons de charbon, ce qui s'est bel et bien produit. Là, on est dans un effet rebond direct. C'est-à-dire qu'effectivement, en abaissant le coût d'accès au marché d'un certain type de bien, on fait que ce même bien est consommé de façon plus importante. Et plus on abaisse le coût de l'accès au marché, plus on va le consommer. Évidemment, si on vous vend des cercueils au rabais, ce n'est pas pour autant que vous allez trucider tous vos parents, pour pouvoir bénéficier de cette offre de cercueils. Ça n'a pas de sens. Dans certains cas, il y a certains types d'objets, même si leur coût est plus bas, on ne va pas les consommer pour autant. Certes, mais du coup, on dégage une manne financière qu'on va investir dans d'autres objets qu'on a plaisir et utilité à consommer plus. C'est l'effet rebond indirect. >> Pouvez-vous nous dire, Dominique Bourg, quelles sont les limites du recyclage? >> Là aussi, c'est une limite non négligeable des techniques. Dans le développement durable, on attend du recyclage qu'il boucle l'économie. Mais c'est un leurre. Un très bon spécialiste de ce sujet, le Français François Grosse en a administré la preuve, et on va essayer de résumer ça de la façon la plus claire possible. En fait, à partir du moment où on est confronté à la consommation croissante d'une ressource, dans ces conditions, le recyclage devient inefficace. Prenons un exemple. Quand on recycle, on le fait après un temps de résidence du matériau qu'on recycle dans l'économie. Ce temps de résidence, il se situe grosso modo, en moyenne, ça va vraiment varier d'un produit à l'autre, d'un matériau à l'autre, entre 20 et 40 ans. Et là, on va simplifier, on va imaginer que pour le cuivre, le temps de résidence est 40 ans. Et donc, il y a 40 ans, on produisait huit millions de tonnes de cuivre. Donc, OK, on va en recycler 60 %, disons qu'il va nous rester cinq tonnes de cuivre. On va recycler cinq tonnes. OK? Sur les huit. Aujourd'hui, je vais réintroduire cinq tonnes dans le circuit économique d'aujourd'hui, 40, 45 ans après. Or, 40 à 45 ans après, on ne consomme plus huit tonnes de cuivre par an. On en consomme le double, 16 millions de tonnes. Donc, du coup, c'est sympatique. J'en ramène cinq, mais il faut toujours que j'aille en chercher 11. Donc, l'apport est très réduit. Et donc, du coup, si d'ailleurs on prend le chiffre global, sur la quantité de fer au XXe siècle, de consommation de fer, que l'on a évité avec le recyclage, c'est 5 %. En d'autres termes, tant que je suis confronté à un taux de croissance de la consommation d'une ressource qui se situe à au moins 1 %, si ce n'est même un peu moins, la part que je vais recycler est très petite. C'est-à-dire que le recyclage ne permet en aucun cas de boucler les flux. Pour que le recyclage s'approche du bouclage, il ne sera jamais total, puisqu'il y a une perte de toute façon, à différents niveaux, il faudrait que la quantité sur le long cours de matière soit à peu près la même. C'est-à-dire que ce qu'on consomme par an sur dix, 20, 30 ans soit relativement équivalent. En d'autres termes, qu'il n'y ait pas de croissance. Et c'est l'occasion de revenir sur l'économie circulaire. Si on veut qu'une économie soit vraiment circulaire, par rapport à ces ressources non renouvelables, il conviendrait que leur consommation ne croît plus ou extrêmement peu, d'une année à l'autre. Et ce ne serait qu'à cette condition-là que l'on aurait sur le plan des matières non renouvelables, quelque chose qui s'approcherait de la circularité. Là aussi, on voit une autre limite des techniques. Les techniques sont très importantes et d'ailleurs, on le verra peut-être tout à l'heure, si on veut imaginer ce que pourrait être une société qui n'aurait plus de degré de croissance que l'on connaît ou qui même ne croîtrait plus, qui même sur certains plans décroîtrait, là on pourrait s'approcher d'une économie circulaire. Et on aurait besoin d'autres formes de techniques, par exemple de low-tech, c'est-à-dire des techniques qu'on pourrait construire avec des matériaux, des métaux dont on sait qu'ils sont moins sous tension, ou plus aisément recyclables. Donc effectivement, il ne s'agit pas de dire qu'on peut se débarasser des techniques, ne pas en tenir compte, pas du tout, mais la relation aux techniques. Quand on veut approcher de l'idée d'une société durable, la relation aux techniques change vraiment beaucoup. Ce ne sont plus des fins en soi, leur usage, leur conception doit tenir compte de beaucoup plus de paramètres que ce n'est le cas dans une société de croissance. >> Nous avons maintenant terminé cette vidéo, >> et je vais maintenant passer aux points de conclusion. Dans cette vidéo, nous avons montré que sur le plan factuel, le développement durable est un échec, puisqu'aucun de ces deux objectifs n'a pu être rempli. D'un côté, nous avons des flux de matières et d'énergie qui ne cessent de croître. Et de l'autre, les inégalités entre individus et entres parties du monde se sont accentuées. Sur le plan conceptuel, le développement durable est un échec pour deux raisons. La première raison concerne l'idée de substituabilité directement empruntée à l'économie néo-classique. Le développement durable se trompe sur ce que sont et ce que peuvent les techniques. Les gains de productivité et en matière d'usage sont entièrement effacés par l'augmentation de la consommation. C'est ce que nous appelons l'effet rebond direct. En outre, les techniques permettent d'inventer des objets et des services nouveaux. Or, de nouvelles inventions, s'ajoutant à l'existant, impliquent des flux de matières et d'énergie additionnels. Il n'existe pas de techniques à l'échelle planétaire, c'est-à-dire à l'échelle de nos problèmes globaux d'environnement. Elles agissent au niveau local. Les techniques sont des médiations, des intermédiaires entre la nature et l'homme, elles ne peuvent en aucun cas se substituer à la nature. Une technique se substitue à une autre technique, permettant ou nécessitant ainsi d'exploiter de nouvelles ressources naturelles. La seconde raison concerne l'harmonie entre les trois piliers. Le pilier social, le pilier économique et le pilier environnemental. Il est très naïf de penser harmoniser ces trois piliers, alors que nous vivons dans un monde où rien n'échappe à la rationalité économique. Au jugement politique, artistique, juridique, etc., est substitué un jugement exclusivement économique. À propos de l'effet rebond, nous avons distingué l'effet rebond direct de l'effet rebond indirect. Le premier, l'effet rebond direct, signifie que les gains de productivité d'un bien occasionnent un accroissement de la consommation de ce même bien. Le second, l'effet rebond indirect, fait référence au fait que la baisse des coûts d'un bien, dont la demande n'est pas élastique, libère des flux financiers qui vont s'investir dans d'autres biens. Confronté à une consommation croissante d'une ressource, le recyclage est inefficace. Pour que le recyclage s'approche du bouclage, il faut que le taux de croissance annuel d'un flux entrant, par exemple l'acier, soit au plus égal à 1 %, voire inférieur à 1 %. Merci d'avoir suivi cette vidéo. [MUSIQUE] [AUDIO_VIDE]