[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour à tous et bienvenue dans cette vidéo intitulée : Le courant arcadien. Cette vidéo a deux objectifs. Le premier est d'être capable d'identifier le courant arcadien, et le second, de savoir les spécificités du courant arcadien ainsi que la pensée des trois philosophes en lien avec ce courant ; ces trois philosophes qui sont Bertrand de Jouvenel, Ivan Illitch et André Gorz. Arcadie est une région de la Grèce qui désigne dans la tradition le lieu de l'âge d'or, et le titre de l'un des ouvrages de Bertrand de Jouvenel utilise justement le terme Arcadie. Nous, nous désignons comme arcadien ce courant de l'écologie politique qui est avant tout préoccupé par le bien-être humain. Pouvez-vous nous décrire ce courant en matière d'écologie politique? >> Alors, c'est effectivement un des courants de l'écologie politique, le plus représenté en France, même s'il n'y a pas que des Français. De façon générale, le courant arcadien, eh bien comme le mot l'indique, c'est l'idée selon laquelle l'objectif de l'écologie politique, c'est d'aboutir à une existence de la plus grande qualité possible ;une existence individuelle, une existence collective, et on n'oppose pas l'un à l'autre, mais on insiste énormément sur l'épanouissement individuel au sein de communautés. Et donc encore une fois, c'est l'aspect qualitatif. C'est les aménités, c'est les plaisirs de l'existence, c'est le fait de pouvoir se développer de la façon la plus entière possible. Et de manière générale, ce que reproche ce courant à l'organisation actuelle des sociétés, c'est finalement d'être une organisation qui réduit, qui atrophie la vie. Et tout ça tout simplement en se fondant et en s'appuyant sur des instruments qui sont souvent des instruments purement quantitatifs, très techniques, pour ne pas dire technocratiques ; c'est tout ce que déteste finalement, et probablement à raison, ce courant de l''écologie politique. Comme je l'ai déjà dit, on est moins attentifs aux aspects flux de matières, flux d'énergie, climat etc., c'est vraiment la qualité de l'existence qui est l'objectif premier. Alors on va évoquer trois penseurs, même s'il y en aurait d'autres. On va tout d'abord évoquer Bertrand de Jouvenel, nous parlerons ensuite d'Ivan Illitch, et pour finir André Gorz. Commençons par Bertrand de Jouvenel, tout simplement parce que Bertrand de Jouvenel c'est à lui non pas qu'on doit absolument l'expression écologie politique, mais le fait de la mettre en relation avec notre question dans le cadre de ce cours. Alors, par écologie politique il n'entend pas un mouvement d'idées politiques, Bertrand de Jouvenel. Ce qu'il entend c'est en fait ce qui devrait se substituer à l'économie politique. Parce que ce qui fonde, ce qui permet d'organiser nos sociétés, c'est la mise en avant de l'économie et de la science économique ; laquelle science économique, dès ses origines se focalise sur le travail et met en quelque sorte de côté la question de la nature. On va le retrouver avec la question des externalités qui est définie d'une façon assez jolie. Une externalité eh bien c'est un dommage dont son auteur ne supporte pas la charge. Alors revenons quand même sur le personnage Jouvenel, parce que c'est un personnage, ce n'est pas n'importe qui en quelque sorte. Fils de grande famille, mais c'est quelqu'un qui va vivre à une époque assez troublée, qui va se retrouver à avoir interviewé Hitler, évidemment vous imaginez ce qu'on va lui reprocher ensuite après, surtout qu'il est assez naïf et comme il était bien reçu par Hitler, il le présente comme un personnage sympatique. Vous imaginez la réaction des Français en juin 40 lorsqu'ils se souviennent de cette interview. Et c'est quelqu'un qui va assez vagabonder, qui va vagabonder dans les disciplines, vagabonder politiquement. Même à un moment donné il va adhérer à un parti d'extrême droite, le parti de Doriot, il va osciller entre, enfin pas osciller, mais il va encore une fois vagabonder. Donc d'un côté c'est quelqu'un qui va explorer le libéralisme, mais ça va être un très, très bon connaisseur du libéralisme, il va même être un des membres de la Société du Mont-Pèlerin. Et en fait, c'est quelqu'un, si on le lit bien, qui est comme toutes les grandes figures de l'écologie politique, qui indirectement va prôner, même si on ne trouvera jamais le mot dans ses œuvres, une forme de décroissance. Prenons un simple exemple pour montrer à quel point ce n'est pas du tout quelqu'un qui est idéologue. Par exemple il va critiquer une conception purement libérale de la liberté, au sens du libéralisme économique, qui verrait dans l'expression de nos choix sur un marché le nec plus ultra de la liberté. Pour lui c'est absurde. Ce n'est qu'une toute petite frange de la liberté qui peut s'exprimer ainsi, et en fait au détriment, très souvent, du saccage de notre cadre de vie sur lequel chacun au bout du compte n'a que très peu d'influence. Il va critiquer les techniques, il va critiquer le progrès, il va critiquer le devenir abstrait de nos sociétés. Le fait que le recours à des instruments abstraits, par exemple le PIB, par exemple certaines techniques de production finissent par atrophier, par réduire la qualité de la vie de chacun. C'est quelqu'un qui va déplorer le fait que, eh bien les rues soient envahies par les automobiles et qu'elles ne soient plus les espaces des jeux des enfants. Donc c'est vraiment ce courant arcadien, et il en est une des très belles figures. Par ailleurs, c'est quelqu'un qui est très informé aussi sur un plan scientifique, peut-être même plus que les deux autres dont on va parler. Même si c'est pas très très sensible. Il va fustiger dans nos propres civilisations une espèce de quête obsessionnelle de la puissance en en montrant les dégâts. Donc on peut dire vraiment que c'est l'idée d'une écologie qui prend en charge et qui veut essayer de faire revenir au jour, de faire se redévelopper toutes les dimensions de l'existence, et c'est ça pour lui l'écologie politique. Alors abordons une deuxième grande figure. Alors Jouvenel était une figure internationale, mais là c'est Ivan Illitch, qui est né à Vienne, qui n'est donc pas français d'origine, ni suisse mais viennois. Mais c'est un grand personnage international. Il a été très critique. Et si l'on voulait ramener sa pensée à l'essentiel, on pourrait dire que c'est la critique des grandes machines. Machines au sens technique mais machines au sens d'organisation sociale, et c'est d'avoir montré la contre-productivité de ces grandes machines. Prenons le cas de l'automobile. Eh bien en fait nous dit-il, l'automobile ralentit nos déplacements. Pourquoi? Eh bien tout simplement parce que si on fait le ratio entre le nombre d'heures que l'on doit travailler pour pouvoir disposer d'une automobile, on arrive à une vitesse moyenne grosso modo de cinq kilomètres heure, donc la marche à pied, avec un impact terrible sur les écosystèmes. Alors lui aussi c'est vraiment, l'idée c'est l'épanouissement le plus entier de la personne, et avec toujours cette espèce de focalisation sur la question d'échelle, sur un aspect communautaire plus petit. Ça c'est vraiment le grand héritage d'Ivan Illitch, et là aussi c'est une des très grandes figures de l'écologie politique internationale. Passons à quelqu'un qu'Ivan Illitch a beaucoup influencé, qui est vraiment reparti de sa pensée, c'est André Gorz. Alors, par exemple je reviens quelques secondes à Ivan Illitch mais l'idée d'illitch, c'est justement d'opposer aux grandes machines ce qu'il appelle les outils conviviaux. Un outil convivial, c'est un outil qu'on peut comprendre, qui ne vous conduit pas à rendre votre vie plus abstraite, qui ne vous rend dépendant de personne d'autre, mais qui va vraiment vous permettre de développer votre autonomie. Gorz est exactement dans cette tradition, mais il est, Illitch connaissait évidemment bien la tradition marxiste, Gorz en est un petit peu plus proche, mais c'est pas marxiste, c'est marxien. Donc il va se revendiquer d'une certaine forme de socialisme, mais c'est en aucun cas le socialisme étatique. Si l'on reprend le triangle de Kolm avec les trois organisations possibles de la société, dans l'une on va mettre en avant le marché, dans l'autre on va mettre en avant l'état, eh bien lui il est dans l'autre branche du triangle. C'est mettre au contraire en avant l'autoproduction, la production par les personnes ou par un petit collectif. Et ça, c'est vraiment au coeur de la pensée d'André Gorz. Alors un autre aspect de la pensée d'André Gorz qui aujourd'hui continue à avoir une grande importance, qu'on continue à soutenir, c'est l'idée d'un revenu inconditionnel d'existence. Ça serait la manière la plus directe, la plus simple de s'échapper aux turpitudes de la société de consommation, de se donner les conditions d'un réaménagement de la sphère de l'autonomie. Donc on est très proches aussi, si vous voulez, à la fois on a la strate de l'autogestion, très forte dans les années 70, et là on la pousse avec des choses qui sont plus récentes, comme cette idée d'un revenu inconditionnel. C'est plutôt une idée qui va se développer dans la décennie 90 ou au début des années 2000. Pour lui, c'est la condition pour que les individus s'extraient de la grande machine sociale aliénante, et pour reprendre possession de leur propre existence. Et donc il va exposer une écologie expertocratique, une écologie obsédée par les chiffres, obsédée par la connaissance objective contre une écologie qui n'ignore pas, évidemment, les contraintes quand même du monde matériel, mais qui n'y voit qu'un moyen justement pour échapper à un certain style de vie, et il va voir, enfin essayer de montrer que, on peut, en produisant moins, et en s'éloignant du productivisme, eh bien on peut gagner en termes d'autonomie et on peut gagner en termes de qualité d'existence. Donc c'est vraiment le maître-mot de tous ces penseurs, c'est fuir une certaine forme de réductionnisme pratique c'est-à-dire des instruments qui ne se contentent pas d'être des instruments, mais qui nous amènent à réduire ce que l'on peut entendre par l'existence et surtout ce qu'on peut développer par l'existence de chacun de nous. C'est vraiment l'héritage très fort. On va retrouver ça chez des jeunes comme Guattari, d'une certaine manière, peut-être aussi quelqu'un comme Castoriadis, on va retrouver ça aussi dans des courants bien sûr anglo-saxons. Mais c'est ce courant très important, qu'on ne peut pas réduire aux autres, très spécifique de l'écologie politique, le maître-mot, la plénitude de l'existence, les aménités de l'existence, la recherche du sens, la recherche de l'autonomie. >> Voilà, nous arrivons au terme de cette vidéo. En conclusion, nous avons montré que ce courant très spécifique de l'écologie politique a pour objectif : un, d'aboutir à une existence individuelle et collective de la plus grande qualité possible, et que deux, ce courant attache peu d'importance au flux de matières et d'énergie. Ce qui importe c'est l'épanouissement individuel au sein de la collectivité, de la qualité de vie. Ce courant est rattaché à trois personnalités en particulier, Bertrand de Jouvenel, Ivan Illitch et André Gorz, qui chacun mettent au coeur de leur discours : La plénitude de l'existence, les aménités de l'existence, la recherche du sens et de l'autonomie. Merci d'avoir regardé cette vidéo. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]