[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour et bienvenue dans cette nouvelle vidéo intitulée : L'incapacité des démocraties de prendre en compte le long terme. L'objectif principal de cette vidéo est d'être capable d'identifier les deux raisons pour lesquelles les démocraties ne sont pas à même de prendre en compte le long terme. La première raison : la nature des menaces environnementales. La seconde raison : l'impossibilité de mobiliser notre sentiment moral. Nous avons vu que les démocraties ont échoué, mais pourquoi? Effectivement c'est une question très importante. D'un côté on a fourni un savoir gigantesque, on continue à le fournir, et on n'en tire pas les conséquences qui seraient à la hauteur de nos problèmes, c'est tout à fait juste. Alors, on a un peu fourni un premier élément de réponse, en rappelant que c'est le sang, c'est l'expérience, c'est les sensations, c'est le sentiment de bien-être, qui sont au fondement des mécanismes démocratiques. Or précisément, et nous y avons fait allusion dès le premier module, la caractéristique des problèmes d'environnement, c'est d'échapper à nos sens. Et maintenant regardons un peu les choses autrement, mais vous allez voir, c'est toujours le même, cette même considération autour des sens qui est tout à fait capitale. En fait, dans quelles circonstances nous autres humains, nous réagissons vivement et à la hauteur de la menace? C'est en général quand nous sommes confrontés à une menace immédiate qui saisit tout notre être, tous nos sens, on n'a pas à tergiverser, est-ce un mammouth, est-ce un serpent, est-ce un lion, je le vois foncer sur moi, je dégage. Et précisément c'est ce qui ne se produit pas en matière d'environnement. La menace paraît lointaine, elle paraît abstraite, il convient de l'interpréter, on peut la contester, et c'est fini. Il y a tout un rideau de distance entre nous et la menace, et nous ne réagissions plus ou en tout cas lorsqu'on réagit, c'est avec molesse, de la même manière que se présente la menace elle-même. Ça je dirais que c'est vraiment la première raison pour laquelle on ne bouge pas à la hauteur. C'est vraiment ce qui est concret, immédiat qui nous fait réagir. Dès qu'on sort de ces deux caractéristiques-là, eh bien nos réactions s'amolissent et/ou même parfois finissent presque par disparaître. Alors il y a quand même une autre situation dans laquelle on réagit et on réagit fortement. Et pour ce faire, je dois prendre un petit peu de champ, un petit peu de recul. Eh bien c'est ce qui va concerner ce qu'on appelle la Règle d'or. Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît. Et effectivement, cette Règle d'or, on l'a probablement héritée de l'évolution. Et personne ici-bas n'est capable de la violer sans devoir, fût-ce d'ailleurs de façon [INCOMPREHENSIBLE] c'est assez curieux, se justifier. Le meilleur exemple que je peux produire pour illustrer cette affirmation, c'est une des fables de La Fontaine, la fable du loup et de l'agneau. Vous vous en souvenez, on a un loup qui est à l'amont, un agneau qui est à l'aval, et le loup reproche à l'agneau de troubler son eau. L'agneau, même agneau n'est pas complètement idiot, il lui fait remarquer au seigneur loup qu'il ne peut pas troubler son eau puisqu'il se trouve à l'aval et lui à l'amont. Et alors vous vous en souvenez aussi, le loup dit, mais si c'est pas toi, c'est ton frère. Le pauvre agneau lui dit je n'ai pas de frère. Eh bien tu as des cousins. Et c'est des cousins, et il l'emporte, et il le croque dans la forêt. Et le loup est très, très humain. Il ne peut pas violer la Règle d'or sans devoir la justifier. Et celui qui a compris ça avant La Fontaine, mais qui en a tiré une règle de conduite, c'est Saint François, François d'Assise. Quand on lit les légendes de Saint François, les fioretti, il y a un épisode très intéressant avec frère Ange. Frère Ange a éconduit trois routards du prieuré. Les routards de l'époque, c'est pas celui du Guide. C'est des gens qui crucifient, qui violent, qui tapent, ce sont des brutes. Et donc il a pris un certain risque ; il est tout fier de raconter ça quand François rentre au prieuré. Et François, alors lui au contraire lui passe un savon comme c'est pas possible. Et il lui dit, tu vas aller rechercher ces routards, ces bandits, tu vas y aller en implorant pardon pour ton offense, en leur offrant le souper et le gîte. Évidemment, frère Ange y va, évidemment pas très tranquille, vous l'imaginez avec son bec enfariné, son sourire. Bien sûr. les routards en question n'avaient sans doute qu'une envie, c'est de lui faire la peu. Mais précisément comme il arrive tout de suite en implorant pardon, en amenant et en offrant le souper, la boisson et en les invitant à coucher au prieuré, il a cassé le mécanisme de justification de la violence. Et celui qui va retenir ça, c'est Gandhi. Évidemment, l'idée de Gandhi, ça peut être difficile, on peut le payer cher dans un premier temps, mais c'est d'interdire à celui qui vous agresse par sa propre attitude- et il faut un sacré courage- par sa propre attitude de justifier sa propre violence. Et ça c'est la non violence. Eh bien précisément, pour que ça marche là encore, il faut des individus présents les uns aux autres. Or les dommages que j'inflige à autrui en matière d'environnement, ce sont des dommages que j'inflige à des autres lointains, c'est des dommages que je ne vois pas. Et là je retrouve mon problème de l'abstraction. Et donc ça ne m'interpelle pas, ça ne m'oblige pas à me justifier, je ne me sens pas responsable. D'ailleurs, la preuve, quand bien même je m'appellerais Bill Gates, si je n'étais pas né, cela n'aurait rien changé à l'état du monde en termes de grand flux de matières et d'énergie, donc je n'ai aucune responsabilité. Mes flux de matières sont infinitésimaux par rapport à la globalité des flux de matières. Je ne me sens pas responsable. Et là aussi c'est le drame de l'environnement. C'est que notre sentiment moral n'est pas non plus interpellé. Il ne peut pas servir d'arme, de levier en tout cas pour les pouvoirs publics pour nous faire changer. Et ça c'est très important. Si en revanche quand je prenais ma voiture le matin- si tant est que j'en ai une et que je la prenne- et que je vois dans le sillage de mon automobile les victimes du changement climatique s'effondrer mortes par terre, je m'arrêterais. Il y en a certains qui redémarreraient, mais après un bon discours justificatif. La plupart des gens s'arrêteraient. Eh bien ça ne marche pas non plus dans l'environnement. Le côté lointain dans le temps, lointain dans l'espace, l'abstraction des dégradations environnementales, l'abstraction des individus qu'elles touchent font que je ne me sens pas obligé. La Règle d'or ne fonctionne pas non plus. Voilà la deuxième raison pour laquelle on ne bouge pas. >> Nous voici arrivés maintenant au terme de cette vidéo, >> et je vais présenter les quelques points qu'il s'agit de retenir. En conclusion, nous avons vu que d'un côté, les démocraties nous ont fourni un savoir gigantesque et continuent de le faire ; et de l'autre elles ne nous conduisent pas à en tirer des conséquences à hauteur de nos problèmes. Nous avons déjà fourni précédemment un premier élément de réponse en mettant en évidence l'incompatibilité entre le fait que, dans nos démocraties, ce sont nos sensations, notre sentiment de bien-être qui guident nos décisions politiques et le fait que les problèmes contemporains d'environnement, par leur singularité, échappent à nos sens. Les circonstances dans lesquelles l'humain réagit vivement et réagit également à hauteur de la menace sont un danger immédiat qui saisit tous nos sens. Or, en matière d'environnement, les menaces sont tout autres. Elles sont lointaines, abstraites ; elles doivent être interprétées à l'aide de médiations scientifiques. C'est pourquoi, concernant la menace actuelle, nous réagissions avec la même molesse. Il existe néanmoins une autre situation dans laquelle l'humain réagit fortement. C'est ce qui concerne la Règle d'or. En effet, personne n'est capable de la violer sans devoir se justifier. Pour que la Règle d'or fonctionne avec les problèmes d'environnement actuels, il faut des individus présents les uns aux autres, partageant le même espace au même moment. Or les dommages qu'un individu inflige à autrui en matière d'environnement sont des dommages infligés à des individus lointains, qui ne sont pas visibles. Et puisqu'ils sont abstraits, les auteurs des dommages ne se sentent interpellés. Ils ne ressentent pas le besoin de devoir se justifier. Notre sentiment moral n'est pas interpellé, il ne peut pas être un levier d'action pour les politiques publiques. Nous ne nous sentons pas responsables des problèmes actuels, puisque, pris individuellement, nous avons un impact minime comparé à l'impact global. En somme, le côté lointain dans le temps et l'espace, l'abstraction des dégradations environnementales et des individus qu'elles touchent, en mettant en défaut la Règle d'or, ne nous obligent pas à agir. Je vous remercie d'avoir suivi cette vidéo. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]