[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour à tous, et bienvenue dans cette vidéo que nous avons intitulée : Des interrogations de l'écologie politique sur la décroissance à l'état de la question aujourd'hui. Cette séquence a deux objectifs. Le premier est d'être capable de comprendre que la croissance se tasse et les raisons pour lesquelles elle diminue, et le deuxième est de comprendre en quoi la croissance ne délivre pas les trois fruits qu'elle délivrait pendant les Trente Glorieuses. Donc, à savoir, les trois fruits : l'augmentation du bien-être, la création nette d'emploi et la réduction des inégalités. Nous avons vu les échecs du développement durable, nous avons aussi vu les alternatives restées dans la même logique, donc devrait-on maintenant se tourner vers la décroissance? >> La question de la décroissance. Je dirais qu'en très peu d'années, en tous cas en moins de dix ans, la question se pose quand même très sensiblement différemment. Au début des années 2000, parler de décroissance, comme le dit un de ses défenseurs de l'époque, c'était un mot-obus, c'était un gros mot, et personne ne voulait en entendre parler. Je dirais qu'encore une fois, le contexte a quand même très profondément changé. Un des symptômes de ce changement a été la publication en 2009 de Prospérité sans croissance, de Tim Jackson, mais en fait c'est un rapport de la commission britannique sur le développement durable, et ce rapport prend acte de l'impossibilité de poursuivre indéfiniment la croissance et réfléchit sur les moyens d'ouvrir, d'organiser, une économie et une société qui ne serait plus une société avec un PIB en croissance et donc avec des flux d'énergie et des flux de matières croissants. Autre événement, c'est que finalement maintenant, depuis quatre décennies, depuis la fin des Trente Glorieuses, la croissance elle-même, dans les pays de l'OCDE, ne cesse, de décennie en décennie, de se tasser. Un économiste américain très connu, spécialiste des questions de croissance justement, Robert Gordon, a publié récemment un livre sur l'ascension et la chute de la croissance américaine, où il défend la thèse selon laquelle, au moins pour les siècles qui viennent, en tous cas au moins pour une longue période, la croissance est terminée. Et, je résume très rapidement son analyse, il ne prend absolument pas en compte les questions environnementales, il ne prend absolument pas en compte les limites planétaires dont nous avons parlé, mais, tout simplement, il réfléchit sur les moteurs antérieurs de la croissance et, systématiquement, même si je vais forcer un peu le trait en restituant son propos, eh bien au bout du compte, on trouve toujours une innovation technique dans nos capacités à capter l'énergie, alors sous la forme de la vapeur, le moteur à vapeur, le moteur à explosion, le moteur électrique. Même si il donne d'autres critères, même si il se réfère parfois à autre chose, au bout du compte on peut toujours trouver derrière ces fameux moteurs, qui nous ont permis d'accroître, encore une fois, notre aptitude à capter l'énergie, et du coup, de façon très directe, c'est intuitif, on peut le comprendre, nous ont permis d'accroître de façon substantielle nos capacités à produire. Si l'on regarde aujourd'hui ce qui se passe depuis plusieurs décennies, le début de la décennie numérique avec le premier robot installé par General Motors au début des années 1960, on est donc en fait à la sixième décennie de ce côté-là, d'implémentation du numérique, et on est en train de connaître une nouvelle vague du numérique, qui pourrait se traduire par des destructions d'emplois en masse, mais le numérique ne permet pas du tout, n'a pas permis et ne devrait pas permettre un quelconque rebond de la croissance. Le numérique, il ne nous nourrit pas, il ne produit pas d'énergie, il ne nous vête pas, il ne nous abrite pas, il ne nous déplace pas, il permet simplement d'optimiser nos capacités antérieures à produire, et d'ailleurs, en fait, avec une concentration de la richesse et une destruction nette d'emplois. Si, à ce genre de théorie, on ajoute ce qu'on a vu dans ce cours un petit peu, à savoir la question des limites planétaires, on voit très bien que nous allons assez rapidement nous confronter au mur des ressources. Je donnerai, ici, qu'un exemple : j'imagine que vous connaissez la marque de voitures électriques Tesla et son fondateur Elon Musk, eh bien, en prétendant, en 2016, produire 500 000 batteries pour 500 000 véhicules électriques, et les batteries d'un véhicule électrique c'est pas celles de nos montres, celles de nos iPhones ou celles de nos ordinateurs, c'est beaucoup plus gros, eh bien pour produire ces 500 000 batteries, il devrait absorber à lui tout seul, donc un seul opérateur industriel, toute la production mondiale de lithium. Alors, si on regarde les réserves de lithium, on peut se dire qu'il y en a encore pour beaucoup, mais si il fallait vraiment équiper plus d'un milliard d'automobiles, sans même parler des camions, de batteries, eh bien très franchement, effectivement il y aurait un énorme problème avec le lithium. Donc voilà, le contexte est différent. Maintenant, une fois qu'on a ce contexte, on voit très bien qu'on est obligés, on parle maintenant, la question est plus assagie, on peut parler publiquement de la fin de la croissance, même si nos amis les hommes et les femmes politiques, quant à eux, n'arrivent pas à enregistrer que c'est une question importante. On peut aussi constater que les trois fruits que la croissance a toujours donnés jusqu'à maintenant, elle n'est plus en mesure de les donner, et à des dates différentes mais en fait relativement anciennes. Commençons par le premier fruit de la croissance, celui qui était le plus important. Ce qu'a permis la croissance pendant les Trente Glorieuses, et ça c'est indéniable, c'est d'améliorer le bien-être des individus. Quand on part de relativement bas en terme d'équipement matériel, eh bien l'acquisition de richesses matérielles, d'équipements divers etc., effectivement, ont vraiment augmenté le confort de vie des individus. Mais une fois qu'on atteint un certain standard matériel, on voit, et ça, le premier à l'avoir constaté c'est l'économiste américain Richard Easterlin, dès le début des années 1970, on voit les deux courbes commencer à se disjoindre, on voit que celle qui retrace, avec le PIB, l'enrichissement matériel des individus continue à croître, mais que la courbe qui exprime ce qu'était autrefois la conséquence de la première, à savoir l'augmentation du sentiment de bien-être, s'aplatit, voire même, dans certains cas, redescend. Donc, premier fruit qu'octroyait la croissance, l'accroissement du bien-être des individus, elle ne le procure plus, et il y a aujourd'hui des myriades et des myriades d'études sur ce sujet. Second fruit que donnait la croissance, c'était la création d'emplois. Donc effectivement, on détruisait des emplois comme on en détruit, par exemple, quand on passe de la diligence au train ou à l'automobile, c'est sûr que on détruit des relais, des diligences, etc., mais au bout du compte on finit par produire beaucoup plus d'emplois. Alors, ça fait 20 ans que ce mécanisme destruction-création ne marche plus. Si on regarde les pays de l'OCDE, depuis 20 ans le PIB se traduit par une destruction nette en terme d'emplois. Donc 40 ans pour le bien-être, 20 ans pour la création d'emplois. Et puis troisième fruit qu'octroyait la croissance, à savoir la réduction des inégalités, alors là aussi c'est un fruit qu'elle ne donne plus. Là aussi c'est encore relativement facile à comprendre, et ça, ça fait à peu près trois décennies que la croissance, au contraire, s'accompagne d'une explosion des inégalités. Alors, deux raisons à cela : l'une, c'est une fiscalité très différente, néolibérale, qui avantage de façon systématique les plus riches, et on voit partout, effectivement, la pauvreté s'intensifier, s'étendre et s'accroître, mais il y a aussi le numérique. Le numérique, ça permet de créer de la richesse avec très peu de personnes. Je vous donne qu'un exemple. Prenons une chaîne hôtelière comme Hilton, c'est grosso modo 130 000 employés pour 9 milliards de chiffre d'affaire, et si on prend un des acteurs montants, justement, de l'économie numérique, alors là plutôt dans le style uberisation, par exemple Airbnb, le site de location chez les particuliers, c'est 500 employés, c'est pour le moment qu'un milliard de chiffre d'affaire mais on attend 20 milliards en 2020, donc le taux de croissance est fort, et c'est déjà 24 milliards de capitalisation boursière, et ça pour 500 personnes. Je vous rassure, les 500 personnes ne sont pas payées de la même manière. Donc là, on a une hyperconcentration de la richesse. Donc c'est le troisième fruit que donnait la croissance, elle ne le donne plus et, au contraire, elle donne son inverse. Donc finalement, aujourd'hui la croissance donne des fruits extrêmement amers tout en détruisant, pour un avenir pas si lointain que ça, ou en tous cas en les altérant très profondément, nos conditions de vie sur Terre, sans parler de la destruction du lien social. Franchement, je vous pose la question : ne faut-il pas être buté pour se refuser de s'interroger sur l'opportunité qu'il y aurait à poursuivre la croissance? Eh bien certes non, il n'y a pas d'opportunité. Nous allons devoir donc nous réorganiser, repenser, et c'est pas une chose simple, il suffit de réfléchir aux fonds de pension, ils ne tiennent que parce qu'on a une croissance du PIB. Imaginons qu'il n'y ait plus de croissance du PIB, eh bien c'est tout cet aspect-là de l'économie qu'il faut réorganiser. Donc, parler de décroissance, c'est nécessairement, évidemment, ne pas confondre décroissance voulue, celle qu'on peut organiser à partir de maintenant, avec une décroissance subie, dont la Grèce est un merveilleux exemple et là c'est une catastrophe. Donc soit on anticipe, soit on risque effectivement d'être confrontés à quelque chose de catastrophique, à quelque chose qui sera désolant, qui sera pourvoyeur, que sais-je, de dépression, alors que, au contraire, si on le prend à l'amont, si on voit simplement qu'il s'agit d'organiser différemment la société et qu'il faille privilégier les aspects qualitatifs vis-à-vis d'aspects quantitatifs, en ce sens-là la décroissance n'est pas une mauvaise nouvelle, elle peut-être une très bonne nouvelle, elle peut déboucher, au contraire, sur une société moins stressée avec, en fait, une amélioration de la qualité de vie, parce que la qualité de vie, au lieu de la croissance du PIB qui, on vient de le voir, ne l'exprime plus, deviendra l'objectif général, ce vers quoi on va tendre et ce en faveur de quoi on pourrait réorganiser l'économie. Et je ne finirai qu'avec un seul exemple : quand on voit aujourd'hui que les inégalités de richesse finissent par rendre les hyper-riches malheureux eux-mêmes, ayez pitié d'eux, mais en tous cas, ça devient absurde, et les études de Wilkinson et d'autres montrent combien, dans une société très inégalitaire, même les couches supérieures de la société finissent par en souffrir. Donc, effectivement, nous devons regarder cet objectif en face. Et je terminerai en disant que, depuis maintenant 40 ans, même plus, c'est un peu la leçon de toutes les écologies politiques. Elles ont toutes, à des degrés divers, quel que soit leur courant, attiré notre attention sur l'impossibilité qu'il y aurait à l'avenir à poursuivre la croissance et sur le fait qu'on pouvait vivre mieux en se donnant un objectif qualitatif et non quantitatif simpliste, toujours plus, toujours plus. >> Nous arrivons maintenant au terme de cette vidéo, et je vais vous présenter les points de conclusion. Dans cette vidéo, nous avons constaté l'affaiblissement de la croissance, et nous avons montré qu'elle ne débouchait pas sur les fruits qu'elle délivrait pendant les Trente Glorieuses. Une décroissance subie constituerait toutefois un traumatisme social, mais une décroissance assumée, organisée, répartie, en termes de flux de matières et d'énergie, est tout à fait envisageable et constitue très probablement un horizon incontournable. Je vous remercie d'avoir suivi cette vidéo. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]