[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour et bienvenue dans cette nouvelle vidéo intitulée Le courant institutionnaliste : quels correctifs apporter à nos démocraties représentatives? Le premier objectif est de connaître les différents aménagements représentatifs proposés dans la littérature. Le second objectif est de connaître les possibilités qu'offrent les modalités participatives de la démocratie ou encore les modalités directes évoquées précédemment. Le troisième objectif est de connaître les différentes propositions ni représentatives, ni participatives, présentes dans la littérature. Et finalement, le quatrième et dernier objectif est de connaître le thème de l'effondrement entraînant potentiellement une discontinuité politique et institutionnelle. Comment pourrait-on changer nos démocraties? Et pouvez-vous aussi nous faire un état des lieux des différentes idées proposées? Puisqu'on l'a vu, on n'a pas encore abordé le courant institutionnaliste. >> Oui, effectivement. Alors, ce que je voudrais faire, c'est peut-être un petit peu, au moment où en est, récapituler certaines choses. On a vu effectivement que nos démocraties étaient les principales responsables de l'état dégradé du système-Terre aujourd'hui. On a vu la part qu'elles y ont prise. On a essayé de comprendre les raisons pour lesquelles on était là, les raisons pour lesquelles les démocraties avaient tant de mal à réagir, à prendre en compte les enjeux de long terme. Rappelons l'essentiel. C'est l'occasion de rendre un hommage à un des grands penseurs de l'écologie politique, qu'avait été Serge Moscovici. Il n'y a pas de sens à opposer nature et société, notamment il n'y a pas de sens à opposer wilderness, une nature sauvage à une société. En fait, elles sont totalement imbriquées. Et l'évolution des sociétés fait que certains aspects de la nature vont apparaître ou pas. Or, notre société a fini par faire apparaître une nature totalement abstraite. Vous vous en souvenez, la grande caractéristique des problèmes environnementaux, c'est précisément qu'ils n'accèdent plus à nos sens, ou alors qu'ils nous mettent en relation avec la globalité du système-Terre. Là aussi, on ne perçoit jamais ce qui est global. On agit localement, mais on ne perçoit aussi que localement. On a vu les mécanismes démocratiques. Les mécanismes représentatifs reposent au contraire sur le sentiment du bien-être. On a vu que la globalité des territoires, enfin, la globalité des problèmes déjouaient l'approche territoriale, qui est nécessairement l'approche démocratique. Le fait qu'on ne ressente pas, bien évidemment, le citoyen comme juge, fondé sur sa sensation de bien-être, est en quelque sorte déjoué. On a vu le piège du temps, le piège de l'inertie. On a vu aussi en quoi le fait que nos problèmes relevaient essentiellement de questions de flux de matière et de flux d'énergie, alors même que nos démocraties ont dans leurs cahiers des charges, dans leurs gènes, le fait d'augmenter les flux de matière et les flux d'énergie nous a montré à quel point il était très difficile pour les démocraties de faire face aux difficultés qu'elles rencontrent et qu'elles ont, ne l'oublions pas, suscitées. Alors, pour aller un petit peu plus avant maintenant, je propose effectivement de revenir sur ce qui était proposé dans la tradition. Et puis, d'évoquer aussi certaines propositions spécifiques pour faire évoluer les démocraties, les rendre moins inaptes à prendre en compte les grands enjeux écologiques, les grands enjeux notamment de long terme. Je distinguerai tout d'abord ce qu'on pourrait appeler l'approche représentative, celle d'auteurs qui ne sortent pas du système représentatif, mais qui veulent en quelque sorte l'améliorer. J'évoquerai ensuite des auteurs qui vont sortir du système représentatif. Non, on n'y arrivera pas avec les démocraties représentatives. Évidemment, préservons-les, elles garantissent nos droits fondamentaux, mais développons plutôt une approche participative. Ensuite, j'aborderai une autre forme de solution, c'est-à-dire, le fait de dire non, il faut adjoindre aux institutions représentatives, tout en jouant aussi sur la dimension participative, mais adjoindre des procédures qui ne sont ni participatives ni représentatives. Et puis enfin, j'évoquerai cette question de l'effondrement de nos sociétés, et donc, de la relation entre démocratie et effondrement. Alors, commençons par, c'est là qu'on va développer l'histoire de l'écologie institutionnelle, quelles sont les grandes propositions qui ont pu être faites en matière d'évolution du système représentatif au sein des démocraties représentatives. Là, la première auteure qui vient à l'esprit, c'est l'australienne Robyn Eckersley. Elle parle quant à elle de démocratie désaffectée. Ce qu'elle veut dire par là, on est vraiment dans la droite ligne de l'éthique environnementale, elle veut dire que la démocratie doit aussi élargir son cercle. Elle doit englober tous ceux qui sont concernés par les risques. Donc, aussi bien les individus humains, au-delà des frontières politiques que les entités, les êtres, au-delà de la frontière, êtres humains, êtres non humains. C'est très ambitieux, mais finalement ce qu'elle propose pour réaliser ce programme est franchement très en deçà de l'ambition originelle d'une démocratie désaffectée. Elle propose pour l'essentiel les études d'impact, le principe de précaution et une agence ad hoc comme l'EPA aux États-Unis, une administration en fait en charge des questions de l'environnement. Franchement, on est quand même assez loin de l'ambition originale. Ce sont des choses qu'on connaît depuis 30 ans. Un peu moins pour le principe de précaution, mais qui ne bougent pas et ne transforment pas totalement la donne. OK, on vient de voir les propositions de Robyn Eckersley. On peut maintenant ajouter d'autres propositions. J'aurais pu le dire avant, mais je le rajoute maintenant. Dans les propositions qu'on peut faire pour amener un correctif au système représentatif, on a souvent recours à la constitution. Une des idées vraiment extrêmement courantes et tout à fait fondées, c'est de modifier certains passages des différentes constitutions. Par exemple, au monde, il y a aujourd'hui à peu près une soixantaine de constitutions, dans lesquelles on a intégré l'environnement et des principes liés à la question environnementale. On le voit bien, en soi, c'est intéressant, mais ce n'est pas suffisant. Autre petite institution nouvelle qui a été expérimentée par deux pays, c'est un médiateur, un ombudsman, ça a été fait en Hongrie, ça a été fait à Israël. C'est un personnage qui est sensé, à lui tout seul, interpeller les autres, représenter les générations futures. En général, ça se termine mal. On peut le supprimer, l'ombudsman. De toute façon, ce n'est pas très, très efficace et on peut bien le comprendre. Comment un individu seul, fût-il extrêmement doué, très diplomate, retors, tenace, va pouvoir à lui tout seul tenir tête à des intérêts extrêmement forts, puissants dans la société, et représentés par des représentants élus, légitimes. Ça ne paraît pas une mesure extrêmement intéressante. On peut trouver un système intermédiaire entre ce médiateur isolé et puis une Chambre dont on parlera tout à l'heure, une Chambre qui serait dévolue au long terme. C'est l'idée défendue par Graham Smith, d'une agence pour les générations futures. Alors là, on a un peu plus qu'une personne. On a évidemment une agence avec des moyens, elle peut avoir des ressources différentes. C'est effectivement un petit peu plus puissant, mais jamais une agence ne saurait avoir l'autorité d'une Chambre. C'est une mesure intéressante, mais il me semble qu'elle est un petit peu entre les deux. Elle est mieux que le médiateur, mais inférieure sur un plan symbolique, et du coup, aussi en termes politiques, sur un plan efficacité, à une véritable Chambre. Alors, là, je voudrais évoquer notamment, je vais prendre un peu de champ, un peu de liberté, notamment, les propositions d'Andrew Dobson, de Kristian Ekeli. Encore une fois, je prends un peu de champ. L'idée, ce n'est pas tellement de pointer tel ou tel auteur, d'autant que ces auteurs ont pu évoluer et voir eux-mêmes que les propositions qu'ils ont faites, à un moment donné, ne collaient pas. Une des propositions, c'est par exemple, c'est Andrew Dobson qui l'avait émise, c'est de permettre aux électeurs d'élire deux types de députés. Mais chaque électeur n'a qu'une voix. Soit il élit un député du long terme, soit il élit un député du court terme. Mais s'il élit un député du long terme, alors sa voix passe là et il ne pourra pas élire un député du court terme. On pourrait s'attendre à ce qu'il y ait une petite proportion d'électeurs qui acceptent de voter pour un représentant du long terme. Du coup, on aurait une toute petite proportion du Parlement, ce qui en fait n'aurait aucune efficacité, et quelqu'un comme Dobson l'a reconnu lui-même. Et puis, en plus, il ne suffit pas de se dire et de présenter sur une liste au long terme, pour avoir une véritable action au long terme. D'autres ont proposé d'autres choses, notamment Ekeli, mais d'autres aussi. Par exemple, d'imaginer un seuil et à partir d'un certain nombre de députés, ces députés pourraient obliger le Parlement à suspendre et à revenir et à réexaminer un sujet. Même difficulté, même si on abaisse le seuil, on pourra s'en servir pour d'autres choses. Ce n'est pas une garantie en quoi que ce soit. Le Parlement peut réexaminer et puis aboutir rigoureusement au même résultat. A été aussi proposée l'idée de dédoubler le Parlement, c'est-à-dire d'avoir une Chambre du Long et une dans la Chambre du court terme, le problème c'est quels sont les rapports entre l'une et l'autre. Dans la Chambre du long terme on pourrait très bien imaginer que finalement se feraient élire des gens qui n'auraient pas grand intérêt sur le long terme, et puis surtout comment l'électeur réagirait après. Si effectivement la dite Chambre du long terme avait un poids très important, il y a de fortes chances qu'elle ne soit pas réélue, surtout s'ils allaient à l'encontre des intérêts du court terme de la plupart des électeurs. Donc on voit bien que le système représentatif n'arrive pas à embrayer sur les questions de long terme, que c'est une chose très, très difficile, que c'est relativement aléatoire. Et on ne serait pas sûr avec ce genre de correctif des institutions d'aboutir à des votes efficaces réellement par rapport à nos enjeux de long terme, pour autant qu'ils sont toujours en contradiction avec des enjeux de court terme pour lesquels nos parlements ont été en fait institués. Alors évidemment le problème c'est que dans une démocratie c'est ouvert à tous les partis, évidemment tous les partis vont vouloir être élus, mais vous imaginez bien que par exemple les partis plutôt populistes, qui ont une vision quand même de la chose écologique relativement restreinte ont des élus. On nous dit, ça va être terrible parce que on risque d'avoir une proportion de ces élus qui finalement ne connait pas grand chose au long terme et au contraire vient pour le réduire et en réduire l'importance. C'est le cas d'ailleurs, vous avez aujourd'hui de pseudo-ONG écologiques qui sont là au contraire pour réduire le pouvoir de lobbys moraux sur la question écologique. Et dit-il il faudrait empêcher certains partis de présenter des candidats. Alors on voit bien qu'on sort totalement de la logique représentative et rien serait garanti avec ce genre de chose. De façon plus inventive, mais beaucoup moins précise, et sans d'ailleurs qu'on sache si on a affaire à une métaphore ou si on a affaire à une véritable proposition écologique, eh bien quelqu'un comme Bruno Latour a par exemple proposé un Parlement des choses, ou d'autres expressions qu'il emploie, une Chambre haute qui serait dévolue à la représentation des êtres non humains. Il en imagine, c'est d'ailleurs ce qu'il déclare, que les candidats les mieux placés pour représenter les non-humains, ce serait ceux qui en ont fait leur object d'étude, c'est-à-dire les scientifiques. Et là très franchement on peut avoir quelques doutes. Premièrement, revenons dans le passé, revenons à Rachel Carson dont on a déjà parlé dans ce cours et qui avait fustigé un emploi massif du DDT, en dénonçant les conséquences de cet emploi massif sur la faune et notamment aussi plus loin sur la santé humaine. Eh bien, qui auraient été alors les représentants des insectes dans cette fameuse Chambre haute dans ce Parlement des choses? Les entomologistes. Or, souvenez-vous les entomologistes, financés par l'industrie chimique, ont été les ennemis les plus déterminés de Rachel Carson. Mais prenons des raisons de fond. La première raison c'est qu'on ne peut pas envisager les intérêts des êtres non-humains comme on envisage les intérêts des êtres humains. Pour une raison très simple, en matière écologique très souvent les intérêts des non-humains c'est vie ou mort. Doit-on détruire les séquoias dans le Mineral King Valley pour y faire, y aménager une station de ski? Doit-on réduire la biodiversité dans cette portion de territoire parce que on y exploite les sables bitumineux? C'est toujours quasiment une question de vie ou de mort, il n'y a pas du tout la même latitude de négociation, et donc ça n'a pas de sens de vouloir un parlement. Un parlement c'est un lieu où on va trouver une position intermédiaire, on va trouver une sorte de compromis entre les intérêts contradictoires. Pour qu'on puisse trouver un compromis, il faut évidemment qu'on soit au-delà du tiers exclu, vie ou mort. Ça ne marche pas. Et ensuite, si l'on veut vraiment représenter, et c'est ce qui se passe dans une démocratie représentative, ça n'est jamais one shot. Vous élisez quelqu'un à un moment donné, mais en fonction de ce que cette personne aura fait, aura accompli, vous pourrez la réélire ou non, et c'est évidemment fondamental pour elle dans son premier mandat. Elle sait que si elle ne fait rien de ce pour quoi elle a été élue, elle aura quand même quelques difficultés à être réélue. Donc il y a une possibilité de retour dans une démocratie humaine que vous n'avez pas du tout vis-à-vis des êtres naturels. Évidemment si on abat tous les séquoias, on ne voit pas bien tellement en quoi ils pourraient ensuite revoter. Donc on est là franchement dans l'absurde. >> Voilà, nous avons maintenant terminé cette vidéo et je vais revenir sur les points importants qu'il s'agit de retenir. En conclusion, nous avons vu qu'il n'y a pas de sens à opposer nature et société. L'évolution des sociétés fait que certains aspects de la nature vont apparaître ou non. Or, notre société a fini par faire apparaître une nature totalement abstraite. Les grandes propositions faites en matière d'évolution du système représentatif sont les suivantes. Commençons par Robyn Eckersley. Robyn Eckersley propose une démocratie des affectés, autrement dit, une démocratie qui tient compte de tous les êtres affectés par les risques qu'elle engendre. Selon elle, la démocratie doit élargir son cercle, elle doit englober tous ceux concernés par les risques, c'est-à-dire les entités humaines et non humaines. Pour mettre en œuvre un tel projet, il convient de faire usage du principe de précaution, des études d'impact, et d'instituer une agence ad hoc, du type EPA aux États-Unis. Les outils préconisés par Robyn, néanmoins, sont en deçà de l'ambition de sa démocratie des affectés. Ces outils sont utilisés depuis longtemps déjà et ne réussissent pas à transformer notre situation. On a envisagé aussi des moyens assez classiques comme l'enrichissement de la Constitution, la mise en place d'un ombudsman ou la mise en place d'une agence dédiée aux générations futures. Passons maintenant à Andrew Dobson and Christian Ekeli. Ces deux auteurs ont composé quant à eux différentes façons de jouer sur le système représentatif et l'élection des représentants. Retenons ici une des propositions phares, donner à chaque électeur la possibilité de choisir avec son bulletin de vote un représentant classique, ou bien un représentant écologique, du long terme. Cependant, comment désigner des gens compétents dans le domaine et s'assurer que chaque parti soit en mesure de proposer un candidat? Ces représentants du long terme seraient probablement minoritaires et ils auraient donc peu de poids au sein du Parlement. Revoterait-on pour un député du long terme qui aurait été efficace et qui aurait donc contribué à nuire à nos intérêts du court terme? Passons maintenant à Bruno Latour. Bruno Latour propose quant à lui, quoique de façon plutôt métaphorique, d'instituer une Chambre haute ou un Parlement des choses qui serait dévolu à la représentation des non-humains. Les personnes les mieux placés pour siéger dans ce Parlement des choses seraient les scientifiques Néanmoins, au vu de l'affaire du DDT dénoncée par Rachel Carson, on peut douter du bien-fondé d'avoir des scientifiques comme représentants des entités non humaines. Sur le fond, cette proposition de Bruno Latour pose d'autres problèmes. Premièrement, on ne peut pas envisager les intérêts des non-humains comme on envisage les intérêts des humains, car généralement les intérêts des non-humains se résument à une question de vie ou de mort. Les compromis possibles entre ces deux types d'intérêt, humain d'un côté et non humain de l'autre, sont difficiles à trouver. Deuxièmement, les représentants, dans la perspective d'un réélection, doivent écouter, respecter les désirs de leur électorat qui pourrait ne pas les réélire. Cette dimension est inexistante dans le cas d'un Parlement des choses. Nous avons vu donc que les démocraties représentatives n'arrivent pas à intégrer le long terme. Il existe d'autres propositions encore telles que l'ajout et la modification de certains articles constitutionnels ou l'instauration d'un représentant des générations futures. Merci d'avoir regardé cette vidéo. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]