[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour, et bienvenue dans cette vidéo, intitulée Le courant institutionnaliste, quels correctifs apporter à nos démocraties représentatives? Deuxième parte. À l'issue de cette vidéo, vous serez capable de, un, connaître les différents aménagements représentatifs proposés dans la littérature. Le second objectif est de connaître les possibilités qu'offrent les modalités participatives de la démocratie, ou encore, les modalités directes évoquées précédemment. Le troisième objectif est de connaître les différentes propositions ni représentatives, ni participatives, présentes dans la littérature. Et finalement, le quatrième et dernier objectif est de connaître le thème de l'effondrement, entraînant, potentiellement, une discontinuité politique et institutionnelle. Alors, Dominique Bourg, vous nous avez exposé les difficultés posées par les aménagements représentatifs du système représentatif, quels seraient, alors, les autres solutions? >> Alors, les autres solutions on va envisager différents types. Et tout d'abord on va envisager les solutions participatives, ensuite on va envisager des solutions qui passent par le fait d'adjoindre au système représentatif d'autres dispositifs. Et puis enfin, on abordera cette question de l'effondrement et de son lien avec les solutions démocratiques. Alors, le premier auteur, peut-être, à avoir insisté sur le fait qu'aujourd'hui beaucoup de choses ne se décidaient plus dans le cadre des parlements, mais dans ce qu'il appelait la subpolitique, c'était Ulrich Beck en disant, dans sa Société du risque, finalement peut-être que des choses très importantes peuvent se décider dans des forums informels où on va mettre en présence des citoyens, des décideurs, notamment des décideurs technologiques, des industriels etc. OK. En tous cas, effectivement, de guerre lasse, face à l'incapacité des systèmes représentatifs à prendre en charge nos questions écologiques, d'aucuns ont suggéré que, finalement, ce qu'il fallait développer, c'était une démocratie participative. On a défini plus haut ce qu'on entend par démocratie participative. Et beaucoup d'auteurs ont emprunté cette voie. Alors je pense que ça n'est pas à négliger, qu'en soi c'est intéressant, et que de toutes façons, oui c'est une chose à faire, et que de toutes façons ça augmente la qualité démocratique de la décision. Mais, penser qu'on a affaire à, là, à une solution qui nous permettrait de nous sortir de l'ornière, c'est quand même aller vite en besogne. Donnons un simple exemple, qui est souvent d'ailleurs donné dans la littérature, et qui touche le Canada; lorsque certains peuples premiers ont pu reprendre possession de leur territoire, et du pouvoir de décider de l'avenir de leur territoire, eh bien ils ont conclu rapidement avec les compagnies pétrolières des accords pour pouvoir forer et en avoir les royalties. Donc non, la démocratie participative est une garantie de la qualité du processus ; mais Dieu merci, pour une démocratie c'est normal, ça ne garantit jamais effectivement, le résultat. En revanche, on peut aussi avoir des propositions plus fines, par exemple imaginer que, dans les commissions des lois, là où un nombre restreint de parlementaires réfléchissent à la loi, à la façon dont ils pourraient la faire évoluer, eh bien, il serait peut-être tout à fait intéressant de rendre, par exemple, obligatoire l'audition de représentants des ONG, de représentants de la communauté ou des communautés épistémiques scientifiques, parce que, souvent, nos élus ne sont pas très très au courant des aspects scientifiques des choses ; et là, au moins, ils entendraient autre chose que les lobbies industriels habituels et ils pourraient mieux pondérer leurs décisions. Je ne pense pas qu'il y ait deux solutions, mais c'est sans doute un élément intéressant, à faire entrer dans le processus de décision, que de recourir notamment aux procédures participatives. Rappelons la différence entre procédures participatives, et délibératives, ce qui est aussi important dans ce cas-là, c'est qu'elles ne soient pas que participatives, c'est qu'elles soient aussi délibératives. C'est-à-dire que de petits groupes d'individus, faisant fonctionner une forme d'intelligence collective, pèsent et argumentent vis à vis du pour, et vis à vis du contre. Alors troisième type de solution possible. Eh bien c'est, cette fois-ci, d'adjoindre au système représentatif, des dispositifs, des institutions, qui ne sont pas, quant à elles, représentatives. Un auteur français comme Pierre Rosanvallon propose, quant à lui, quatre mesures, quatre mesures non représentatives. La première de ces mesures et la plus attendue, bien sûr, c'est d'introduire dans la constitution des principes nouveaux, relatifs à la finitude du monde, et visant à contrer la myopie des démocraties. Deuxième mesure, l'Académie du Futur. Troisième mesure, alors c'est proche de ce qu'on appelle, nous, le Collège du Futur dans le livre, Sixième république écologique. Troisième mesure, c'est renforcer la fonction patrimoniale de l'État. L'environnement est le patrimoine de la Nation, et puis la Nation doit veiller aussi au patrimoine, plus global, et contribuer à ne pas le dégrader. Et enfin, le fait d'organiser des forums, c'est-à-dire de de revivifier, de solliciter la démocratie participative. Je voudrais revenir aux possibilités que j'ai moi-même portées, avec Kerry Whiteside, ou avec d'autres français, des constitutionnalistes, comme Marianne Cohen Day, comme Bastien François, des sociologues comme Sintomer, comme Fourniau, comme Blondiaux etc. Et notre idée était la suivante, c'était tout d'abord de dire que, eh bien si l'on veut effectivement que nos démocraties fassent mieux face aux questions environnementales, eh bien il convient déjà de les revigorer, de renforcer et de réanimer en quelque sorte la flamme représentative, la flamme participative. Mais aussi, et ça c'est très important, c'est tout d'abord de créer une nouvelle institution, qu'on pourrait appeler un collège du futur, où figureraient, pour un temps limité, de jeunes chercheurs, qui auraient pour but de faire une sorte de surveillance, de monitoring, de l'évolution des connaissances, à la fois donc en termes strictement environnemental, mais aussi plus général, concernant tous les sujets de long terme ; ça peut être, par exemple aussi la question des retraites, ça peut être la question, alors vraiment au plus long terme cette fois-ci, d'éventuelles modifications du substrat à la condition humaine ; et de ne pas y faire figurer que des chercheurs de sciences dures, mais aussi des chercheurs de sciences sociales, qui essaient d'explorer les conséquences possibles de tel ou tel choix, de tel ou tel scénario. De telle sorte qu'on ait une sorte de, d'instance de vigilance, de réflexion, qui sache, vraiment, et qui soit en capacité d'alimenter la réflexion des élus. Nous avons proposé aussi d'introduire dans la constitution des principes nouveaux. Et on avait proposé deux types de principes nouveaux ; un premier principe, qui serait un principe de finitude. C'est-à-dire un principe qui amènerait le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, à tenir compte du fait, qu'aujourd'hui, la question de la paix, et de la guerre, la persévérance dans l'existence des communautés politiques, n'a plus simplement affaire avec des enjeux limitrophes, politiques classiques, mais avec la gestion des ressources, la gestion des biens communs, comme l'état du climat, à l'échelle de la planète. Et ce serait donc un principe de gestion concertée de ressources finies pour chercher, autant que possible, à éviter la guerre. Et un second principe qui serait celui d'un retour à la création monétaire publique. Tant que ce sont les banques privées qui créent la monnaie, c'est un appel indéfini à une croissance indéfinie des flux de matières et des flux d'énergies. Maintenant revenons à une des propositions clés que nous avons faites, c'est la proposition d'une troisième chambre. Et cette troisième chambre ne serait pas composée d'élus, au sens classique ; les élus au sens classique sont là pour représenter les différentes parties, les différents groupes au sein de la société, de telle sorte que, dans le cadre du parlement, on arrive à trouver des solutions de consensus, des solutions intermédiaires, avec, en fait, des intérêts qui peuvent être contradictoires. Là non, si on met nos intérêts de long terme dans cette machine-là, ils sont brisés, ils n'existent plus. Donc, comment avoir une troisième chambre, qui puisse vraiment traiter des questions de long terme, sans évidemment les rabattre sur ces enjeux internes? Donc là on peut imaginer différentes compositions possibles. On peut imaginer que cette troisième chambre soit faite de personnalités qui seraient reconnues, qui pourraient l'être, en vertu d'un engagement affirmé, ferme, prouvé, vis à vis des questions de long terme. Voire de citoyens lambda, enfin on peut imaginer des compositions possibles, mais l'idée c'est que ce ne soit pas des élus au sens classique qui vont donc représenter certains intérêts au sein de la société. Et cette chambre s'appuierait sur ces principes constitutionnels nouveaux, évidemment, sur essentiellement ce Collège du futur et les connaissances qu'il serait capable de produire, et aurait un droit de veto par rapport à ceux des projets de lois qui paraîtraient contradictoires, par rapport à ces nouveaux principes constitutionnels, par rapport à ces grands enjeux de long terme. Alors évidemment, on reste dans un cadre représentatif. Ce droit de veto est un droit de veto temporaire, qui aurait simplement pour fait d'obliger le Parlement à revenir sur une question, mais en aucun cas de l'obliger à suivre l'avis de cette Troisième Chambre. Sinon, on sort du système représentatif, ce qu'on ne propose pas. Mais, on peut imaginer qu'avec la montée des problèmes, cette pression finirait par obtenir, accéder à une certaine forme d'efficacité. On aurait une espèce de jeu dialectique entre cette institution et les autres, avec un contexte de problèmes dont la dramaturgie, peut-on imaginer, deviendrait croissante, et qu'au bout du compte, ça finirait par faire vraiment évoluer les gens. Maintenant, entendons-nous bien. Nous sommes à une époque charnière. Nous sommes en quelque sorte dans l'entrée de l'Anthropocène. Quelles seront les institutions dans un siècle? Nous n'en savons rien. L'idée, c'était d'avoir un dispositif qui permette de les faire évoluer et pas plus. Et de s'adapter mieux à l'évolution de l'environnement, qui elle va devenir de plus en plus rapide dans les décennies qui viennent. Dans ce livre avec Julien Bétaille et d'autres auteurs, une VIe République écologique, nous n'avons cessé de parler de Troisième Chambre. Maintenant, OK, on peut aussi prendre certaines distances. Ça pourrait être la Seconde Chambre en replacement du Sénat, par exemple en France. Remplacement du Conseil des États, etc., en Suisse. Peu importe, l'idée, c'est d'avoir une instance qui est une Chambre, qui s'appelle Chambre, symboliquement, c'est très important, mais qui n'est plus une Chambre de représentants. Encore une fois, on peut moduler. Autre chose aussi assez importante, toujours dans ce même livre, il était question précisément d'une VIe République, donc un régime qui rompait avec le système et le régime présidentiel français. On revenait à un régime primo-ministériel classique. Mais, en revanche, le Président de la République pouvait se voir doter d'une fonction à peu près similaire, en tout cas parallèle de celle de la Troisième Chambre. C'est quelqu'un qui aurait, dans ce cadre-là, imaginons qu'on adopte ces institutions, il participerait au Conseil des Ministres, et donc il serait totalement au courant de tous les détails de la politique et des décisions du gouvernement. Mais, il ne pourrait pas diriger, ce ne serait pas le chef du gouvernement, fonction qui reviendrait alors au Premier Ministre. Mais, ce Président du long terme, de manière parallèle à la Troisième Chambre, ou à une Chambre du long terme, peu importe, incarnerait aussi la question du long terme avec la même possibilité de veto suspensif, contraignant le Parlement à revenir sur un choix antérieur, à réexaminer un projet de loi, avant sa promulgation. Il aurait lui aussi un rôle de contre-pouvoir, pour essayer de contrer, de l'intérieur du dispositif, la tendance au court-termisme de nos institutions. Maintenant, on peut imaginer, et c'est une hypothèse aujourd'hui qui dispose d'éléments relativement solides, que nos systèmes hyper complexes finissent par s'effondrer. Ça ne serait pas pour autant la fin de la démocratie. La démocratie, c'est une valeur en soi. Et d'ailleurs, beaucoup d'auteurs tablent sur une forme d'effondrement pour imaginer des institutions qu'on pourrait ensuite reconstruire. On va en évoquer deux et seulement deux. C'est par exemple quelqu'un comme Murray Bookchin, avec son municipalisme libertaire, avec l'idée qu'on ne peut vraiment prendre en charge ces questions qu'à une petite échelle, qu'à l'échelle des cités et de petites cités. On peut citer un autre Américain qui est William Ophuls, qui lui rêve de petites démocraties à la fois mi-jeffersoniennes, mi-rousseauistes, de petites communautés qui seraient beaucoup mieux en phase avec leur environnement immédiat et avec les contraintes qui lui sont propres, pour accepter comme la démocratie grecque où Démosthène finit par convaincre les Athéniens de ne pas tirer bénéfice, un bénéfice immédiat et pour eux-mêmes, de la surproduction des mines d'argent, mais pour fabriquer des bateaux, des trirèmes, qui vont leur permettre la victoire de Salamine. C'est un peu l'idée. Donc, on peut avoir cette chose-là. Et voyons bien ce qui se passe aujourd'hui. Là où ça bouge vraiment dans nos sociétés, c'est souvent à l'échelle de petites communautés qui vont expérimenter des genres de vie nouveaux, avec des procédures et des techniques qui peuvent être relativement différentes. L'idée, c'est que ces petites communautés ne se mettent pas imaginer la fin de ce monde dans leur coin, parce que là, il serait fini de notre avenir politique. Donc, la démocratie, répétons-le, c'est une valeur en soi. Le devoir qui est le nôtre aujourd'hui, c'est d'essayer de trouver les moyens pour la rendre moins inapte à réagir à des défis gigantesques. Et si par malheur elle n'y parvenait pas, l'inventivité démocratique doit être préparée dès aujourd'hui pour que nous inventions de nouvelles institutions, pour faire face à de nouveaux enjeux, dans un contexte qui aura profondément changé. >> Nous arrivons maintenant au terme de cette vidéo et je vais vous présenter les points de conclusion. Concernant les solutions participatives, Ulrich Beck est l'un des premiers à mettre en exergue le fait que beaucoup de choses ne se décident plus dans les Parlements, et que les choses importantes peuvent se prendre dans des forums qui réunissent des citoyens, des industriels, etc. C'est-à-dire, instaurer ce qu'on appelle une démocratie participative. Cela dit, nombre d'inventions décisives se décident plutôt dans les laboratoires et les conseils d'administration que dans des forums publics. Et par ailleurs, le problème récurrent de la démocratie participative est son articulation souvent opaque à la prise de décision publique effective. Mais, attention, la démocratie participative est une garantie de la qualité du processus démocratique, mais ne garantit jamais le résultat, Dieu merci. En revanche, il serait souhaitable, lors de l'élaboration d'une nouvelle loi en commission des lois, de rendre obligatoire la consultation de représentants d'ONG, de citoyens, de scientifiques, etc. On distingue généralement démocratie participative et démocratie délibérative. Dans une démocratie délibérative, les groupes d'individus consultés sont préalablement informés et pèsent le pour et le contre, pondèrent les arguments. Dans le livre Pour une VIe République écologique, Dominique Bourg et le collectif ont insisté sur les solutions non représentatives. Premièrement, ils proposent de revigorer nos démocraties en mobilisant notamment les procédures participatives et directes, et d'instituer un Collège du futur qui aurait pour but de faire un monitoring, une veille scientifique et réflexive de l'évolution des connaissances sur l'environnement et sur tout autre enjeu du long terme. Dans un deuxième temps, il propose d'inscrire dans les Constitutions deux principes nouveaux. Le premier principe est un principe de finitude pour une gestion concertée des ressources finies. Et le second principe est un principe autorisant à nouveau la création monétaire publique, afin de financer les investissements du long terme. Dans un troisième temps, ils proposent d'instituer une Troisième Chambre, composée de personnes reconnues pour leur engagement en faveur du long terme et de citoyens ordinaires. Cette Troisième Chambre aurait un droit de veto suspensif envers le Parlement. Il s'agirait d'une instance de contre-pouvoir pouvant contraindre le Parlement à réexaminer un projet de loi comme non conforme aux engagements du long terme. Bourg et le collectif ont aussi envisagé, en plus de la Chambre du long terme, un Président de la République ayant principalement en charge le long terme, qui ne gouvernerait plus, mais qui assisterait au Conseil des Ministres et y serait le garant du long terme, avec également un droit de veto suspensif. Ces propositions ont donc pour but de faire évoluer les systèmes démocratiques actuels et non pas de les remplacer. Il s'agirait d'ouvrir un transition démocratique. Concernant l'effondrement et son lien avec les systèmes démocratiques, il n'est pas impossible que nos systèmes hyper complexes finissent par s'effondrer, sans pour autant que ce soit la fin de la démocratie, puisque cette dernière est une valeur en soi. Beaucoup d'auteurs tablent sur un effondrement pour imaginer des institutions que l'on pourrait reconstruire. Dans tous les cas, les changements dans notre société aujourd'hui ont souvent lieu à l'échelle locale, dans de petites communautés qui expérimentent des genres de vie nouveaux. Pour conclure, rappelons-le. La démocratie est une valeur en soi et il est de notre devoir aujourd'hui de trouver des moyens pour la rendre moins inapte à réagir aux grands défis environnementaux. Et si par malheur elle n'y parvenait pas, l'inventivité pour les démocraties du futur doit être préparée dès aujourd'hui, pour que nous puissions inventer de nouvelles institutions capables de faire face aux nouvelles conditions qui seront les nôtres. Je vous remercie d'avoir suivi cette vidéo. [MUSIQUE] [AUDIO_VIDE]