[MUSIQUE] [MUSIQUE] Alors, dans cette leçon nous allons présenter ce qu'est l'effectuation. Ses principes, comment elle fonctionne. Tout commence dans les années 90 avec les travaux d'une jeune chercheuse indienne, qui s'appelle Saras Sarasvathy. Cette chercheuse démarre un doctorat, elle est ancienne entrepreneuse et elle pose une question, finalement relativement simple, qui est, quelle est la logique qu'utilisent les entrepreneurs, pour fonctionner, pour avancer, pour créer des entreprises et des produits? C'est une question que l'on se pose depuis assez longtemps, mais elle souhaite se la poser avec un regard neuf. Pour cela, elle va en fait mettre au point un protocole et elle va s'intéresser aux entrepreneurs qui ont réussi à créer des entreprises. Des PME et dans certains cas de grandes entreprises. Elle s'intéresse en particulier à ceux qui l'ont fait plusieurs fois, qu'elle va appeler des entrepreneurs experts, experts dans l'art, si l'on peut dire, de créer des entreprises, de les faire grandir, parfois jusqu'à des tailles très importantes, cotées en bourse et avec un développement international. La difficulté qu'elle rencontre, et qu'elle perçoit très vite, c'est que quand elle veut comprendre la logique que ces entrepreneurs utilisent, elle ne peut pas simplement leur demander, aller les voir après leur réussite et leur dire, quel est votre secret? Alors, ça se fait beaucoup mais elle sait bien que, longtemps après la réussite, les entepreneurs, c'est bien naturel, ont un peu tendance à oublier des épisodes pas forcément très glorieux, ou difficiles et à mettre en avant des facteurs qu'ils croient être l'explication de leur succès mais qui, en pratique, ne le sont pas. Donc, elle ne peut pas juste leur demander de raconter leur histoire et den tirer les enseignements. Elle ne peut pas non plus les observer, puisque par définition, elle s'intéresse à des gens qui ont déjà réussi, qui ont pu connaître des difficultés, mais qui ont déjà réussi, donc le film a déjà été tourné, en quelque sorte, et elle met au point un protocole relativement simple, qui consiste à confronter ces entepreneurs à des situations typiques de l'entrepreneuriat, comme le lancement d'un nouveau produit, une réunion avec un nouveau client, ou la recherche d'un nouveau marché. Elle met donc au point une série de problèmes, elle invite ces entrepreneurs à réfléchir à haute voix à ces problèmes et donc, à mettre en lumière le mécanisme, le raisonnement, la logique qu'ils utilisent, pour régler les problèmes auxquels sont confrontés les entrepreneurs et les moyens qu'ils utilisent pour progresser. Ces travaux mettent en lumière une logique particulière utilisée par les entrepreneurs, qu'elle va nommer effectuation. Pour comprendre ce qu'est l'effectuation, commençons par un exemple relativement simple, qui a priori n'a rien à voir avec l'entrepreneuriat, imaginez que vous décidiez d'inviter des amis à dîner. Vous avez en fait deux approches pour préparer ce repas. La première, qui est la plus classique, consiste à choisir les plats que vous allez servir, pour l'entrée, le plat principal et le dessert. Une fois que vous avez déterminé les plats que vous allez réaliser, vous allez trouver une recette. Cette recette va vous dire comment faire et notamment, quels ingrédients acheter ou obtenir, pour pouvoir réaliser ces plats. Vous choisissez donc les plats, vous définissez les recettes et sur la base de ces recettes, vous achetez les ingrédients nécessaires à leur réalisation. Dit autrement, dans cette approche qui est encore une fois, la plus classique, les objectifs que l'on se définit, en l'occurrence ici, les plats à réaliser, définissent les ressources dont on a besoin pour pouvoir les réaliser. Il y a une deuxième approche, qui est moins courante mais, finalement, que l'on est souvent amené à employer en pratique, qui est simplement, quelques heures avant que vos amis n'arrivent, d'ouvrir le frigo et de regarder ce qu'il y a dedans et de faire avec. L'approche, là, est inverse par rapport à l'approche précédente. On part des ressources dont on dispose, en l'occurrence ce que l'on peut avoir dans le frigo ou dans le placard, et c'est ce que l'on a sous la main qui va définir ce que l'on peut faire. Avec, bien évidemment, les contraintes puisqu'il y a plein de choses que l'on ne pourra pas faire mais, pour peu que l'on ait quelques ressources, les possibilités sont très nombreuses et la créativité en cuisine est bien connue. Que peut-on faire s'il manque quelque chose? Vous avez, sur la base de ce qu'il y a dans votre frigo, quelques idées, mais il vous manque quelques ingrédients. Eh bien, la première solution est d'aller frapper à la porte d'un voisin en lui demandant si il ou elle dispose de cet ingrédient, et pour peu que le contact soit bon, vous pouvez même inviter ce voisin ou cette voisine à vous rejoindre pour le repas. Une autre possibilité est de téléphoner à l'un de vos amis qui doit vous rejoindre pour le dîner en question, et lui demander d'apporter l'ingrédient qui vous manque. Cette deuxième approche, encore une fois dans laquelle les moyens disponibles sont les points de départ et ces moyens déterminent ce que l'on peut faire ensuite, c'est l'approche entrepreneuriale que l'on observe, elle correspond donc à ce que Saras Sarasvathy appelle l'effectuation. Alors, d'où vient ce terme d'effectuation? Comme l'exemple du repas l'a suggéré, en résumé on a donc deux approches possibles. La première, c'est partir d'un objectif et déterminer les moyens pour atteindre cet objectif ; dit autrement, on va rechercher les différentes causes qui permettent d'obtenir un effet désiré. Cette approche est donc dite causale. Les effets entraînent une cause que l'on a souhaité initialement, ou un objectif. Le deuxième procède en fait à l'inverse, donc on part des moyens dont on dispose pour obtenir des objectifs, ou pour définir des objectifs possibles. Dit autrement, on détermine des effets possibles d'une cause donnée. Cette approche est donc dite effectuable et c'est donc de là que vient le terme d'effectuation, c'est, encore une fois, les moyens dont on dispose qui définissent les objectifs que l'on va pouvoir atteindre, ces objectifs n'étant pas encore connus au moment où l'on regarde ce que l'on a sous la main ou dans le frigo pour reprendre l'histoire du repas entre amis. Cet exemple du repas entre amis peut être généralisé à l'entrepreneuriat au sens le plus large et en fait, ce que Sarasvathy va montrer, c'est que l'effectuation met en avant quatre principes, lorsqu'elle observe comment les entrepreneurs raisonnent et ces quatre principes sont les suivants. Le premier s'intitule un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, c'est une manière de dire que l'entrepreneur va d'abord regarder ce qu'il a sous la main pour savoir ce qu'il peut faire, plutôt que d'essayer d'obtenir d'autres ressources hypothétiquement, parfois difficilement obtenables, à partir desquelles réaliser un objectif donné. Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, définit donc une approche qui est, on part avec ce que l'on a sous la main et on fait avec ce que l'on a, qui est finalement une proposition assez raisonnable, quand on sait que les entrepreneurs ont des contraintes en termes de ressources. Le deuxième principe de l'effectuation s'intitule la perte acceptable et ce que ce principe dit, c'est que les entrepreneurs décdent de ce qu'ils vont faire, non pas en calculant le gain attendu, on a cette image d'un entepreneur un peu rationnel, qui va dire est-ce que je fais ça? Si oui, je veux d'abord voir combien ça va me rapporter et si j'estime que c'est suffisant, alors je vais me lancer dans l'aventure. En fait, ce que Sarasvathy et l'effectuation observent, c'est que les entrepreneurs ne fonctionnent pas du tout comme ça, ils sont plus intéressés par ce qu'ils pourraient perdre en engageant une certaine somme, que ce qu'ils pourraient gagner. Donc, la notion de perte acceptable, c'est de dire pour faire quelque chose, je vais accepter éventuellement de perdre du temps, de l'argent, mais pas plus, donc de limiter ce que je suis prêt à perdre, parce que je peux me le permettre, sans nécessairement savoir ce que je vais avoir après. Le troisième principe est celui du patchwork fou. Alors, un patchwork, c'est un travail dans lequel un certain nombre de personnes se mettent ensemble pour coudre des morceaux de tissus récupérés, dans du bric-à-brac éventuellement, et cette image, finalement, correspond bien à l'approche entrepreneuriale, donc troisième principe d'effectuation, c'est de dire que la progression d'un projet entrepreneurial se fait simplement par le fait que des gens rejoignent le projet, apportent des ressources et que, finalement, l'entrepreneur s'appuie sur la capacité de ses parties prenantes, des clients, des fournisseurs, des amis, à rejoindre le projet, à lui apporter les ressources et donc, à permettre de nouvelles possibilités. Le quatrième principe de l'effectuation est celui de la limonade. En anglais, on dit que si la vie vous envoie des citrons, faites de la citronnade, ou de la limonade. Plus généralement, ce principe énonce que le projet entrepreneurial est aussi fait de surprises, alors certaines sont bonnes, d'autres sont moins bonnes. Il y a des coups du sort, certains favorables et d'autres qui ralentissent le projet. Ce que montre, ce qu'observe l'effectuation, c'est que l'entrepreneur tire parti de sa surprise, encore une fois, qu'elle soit bonne ou mauvaise, plutôt que d'essayer de les éviter systématiquement. Or beaucoup d'aventures entrepreneuriales, de grandes entreprises, ont été créées sur la base d'une surprise, dont l'entepreneur a été capable de tirer parti. Alors en résumé, dans cette leçon, nous avons vu que l'effectuation, la logique utilisée par les entrepreneurs experts, donc les entrepreneurs qui créent plusieurs entreprises, pas forcément de très grandes entreprises mais certains d'entre eux ont créé ces grandes entreprises, en utilisant l'exemple du repas entre amis, on a mis en avant cette logique, qui comporte donc un certain nombre de principes et donc, au lieu de partir d'un objectif et de déterminer les moyens nécessaires pour atteindre cet objectif, les entrepreneurs procèdent à linverse, ils partent des moyens dont ils disposent, qui sont parfois très limités, pour déterminer les objectifs possibles, ce qu'ils peuvent faire, qui, donc, est déterminé par ce qu'ils ont sous la main, en quelque sorte. Les entrepreneurs inversent donc l'approche habituelle, qui est de définir un objectif et ensuite, d'aller chercher les ressources et cela constitue l'effectuation.