[MUSIQUE] Vous avez eu des exposés, des présentations sur les questions de morale et d'éthique d'un point de vue occidental, ou de plusieurs points de vue occidentaux puisqu'il y a, en Occident, toutes sortes de manières d'aborder les choses. Nous avons jugé intéressant de vous présenter, également, un point de vue non-occidental sur la question. Il y a d'autres cultures qui ont, évidemment, réfléchi aux questions de morale et d'éthique, aux fondements de la morale, par exemple. Et donc aujourd'hui, je vais essayer de vous résumer en quelques mots le point de vue confucianiste sur cette question. Confucius a vécu de -551 à -479 avant Jésus-Christ. C'est une immense figure dans la culture chinoise. C'est probablement le penseur chinois le plus connu. Il joue un petit peu, dans la culture chinoise, le rôle de Jésus-Christ et de Socrate en même temps. À savoir qu'il est à l'origine de la pensée chinoise, de la philosophie chinoise, mais sa pensée, qui a une dimension éthique, une dimension morale, et même une dimension religieuse importante, elle est également à l'origine de toutes les dimensions, de toutes les représentations morales, religieuses en Chine ancienne. Il y a plusieurs types de confucianisme. Le mot confucianisme est d'ailleurs un mot occidental, qui n'a pas vraiment d'équivalent en chinois classique. Peu importe ici. Même si ces confucianismes sont parfois contradictoires, il y a toutes sortes de manière d'interpréter les paroles du Maître, Il y a un point sur lequel ces différents courants, qui sont tous dans l'héritage de Confucius, se rejoignent, c'est la vision fondamentale selon laquelle un des buts de la morale c'est de maintenir, de garder, d'apporter de l'harmonie à la société. L'harmonie, c'est une valeur très importante du confucianisme. Les confucianistes insistent sur la nécessité d'être en harmonie avec soi-même, en harmonie avec les autres, en harmonie avec le monde. L'harmonie, c'est tout d'abord le fait de vivre en groupe avec les autres, dans une relation qui est aussi apaisée que possible. La vie en groupe, ça présuppose un certain nombre de règles, un certain nombre de lois, des hiérarchies, de l'obéissance. Et tous ces sujets là ont donné lieu à beaucoup de réflexion de la part des confucianistes. On dit souvent, en Occident, que la morale chinoise est avant tout une morale de communauté, de groupe, plus qu'une morale individuelle. Et, dans une certaine mesure, c'est quelque chose qui est tout à fait juste. On peut faire un petit peu la comparaison avec un orchestre : du point de vue chinois, la personne qui se comporte de façon morale, c'est plutôt l'acolyte qui, dans un orchestre, joue sa partition en obéissant au chef, en étant attentif à ce qui se passe autour de lui plutôt que l'individualiste qui essaierait de produire sa propre musique. Donc il y a une sorte de sacrifice, en quelque sorte, sacrifice relatif des aspirations individuelles au profit du groupe ou de la communauté. Ça ne veut pas dire que l'individu ou le bonheur individuel soient complètement oubliés. Pas du tout. Simplement, on considère en Chine ancienne, dans le confucianisme, que l'individu ne peut tout simplement pas se réaliser hors du groupe. En termes un peu anachroniques, on pourrait dire qu'il y a une sorte d'aperception sociologique. On considère qu'essentiellement, l'homme est un animal social. Si j'en viens maintenant à des questions qui sont plus proches de notre sujet, il y a dans la morale chinoise traditionnelle un aspect qui est extrêmement intéressant dans une perspective de philosophie comparée, c'est celle des fondements de la morale. Comme vous l'avez vu, on peut fonder la morale de toutes sortes de façons. Une façon qui est très importante dans le christianisme, c'est la référence au divin. Vous avez probablement entendu parler de la station d'Ivan Karamazov : Si Dieu n'existe pas, tout est permis. Ce qui est une façon de fonder la morale sur le divin, la transcendance. On trouve d'autres façons de fonder la morale, par exemple dans le kantisme, ou dans d'autres courants de pensée. Je me focaliserais ici plutôt, à des fins de comparaison, sur le christianisme. En Chine ancienne, selon les confucianistes, la façon de fonder la morale est assez simple, puisque certains penseurs croient pouvoir constater chez l'Homme, des germes de moralité dans les personnes elles-mêmes. Ces germes de moralité ce sont en fait des sentiments, des émotions, par exemple le sentiment de compassion. Je me permets de vous lire un petit extrait du philosophe Mencius, qui est un disciple de Confucius, qui a vécu environ deux siècles après lui, et qui montre bien quelle est l'idée que j'essaie d'expliquer ici. Ce qui nous fait affirmer que tout homme est doué de compassion, c'est que toute personne qui apercevrait aujourd'hui un petit enfant sur le point de tomber dans un puits éprouverait en son cœur panique et douleur, non pas parce qu'il connaîtrait ses parents, non pas pour acquérir une bonne réputation auprès de voisins ou amis, ni parce qu'il détesterait l'entendre pleurer. Il ressort de cette constatation qu'il serait inhumain de ne ressentir aucune commisération comme ce le serait de n'éprouver aucun sentiment de honte ou d'horreur, comme il serait inhumain de n'avoir aucun esprit de renonciation et conciliation. Sans conscience du bien et du mal, on ne serait plus une créature humaine. Donc là, l'expérience de départ, l'expérience qui interpelle Mencius, donc c'est ce sentiment qui peut être extrêmement évanescent, cette petite étincelle d'humanité qui fait que, quand je vois un enfant qui court un danger, j'aurais un petit réflexe, une impulsion à faire quelque chose, ou en tout cas un sentiment par rapport à cette situation. Ensuite, peu importe ce qui se passe. Evidemment pas pour l'enfant, mais peu importe d'un point de vue de la démonstration. Ce qui compte, c'est ce petit moment où je réagis. Donc ce moment de commisération, de compassion, montre pour les confucianistes qu'il y a dans l'homme, dans la nature humaine ces germes de moralité sur lesquels on fondera, donc, toutes les grandes catégories du Confucianisme : l'amour, la piété filiale, la bienveillance, etc. Pour contraster, donc, cette morale de Mencius avec la morale chrétienne, c'est donc une morale qui ne se fonde pas sur une transcendance, mais qui se fonde tout simplement sur la nature humaine à savoir ces émotions, ces sentiments fondamentaux, qu'on a nécessairement si on est humain. Un autre sentiment fondamental, c'est l'amour qu'on éprouve pour ses parents. Selon les confucianistes, là aussi, c'est une des valeurs tout à fait fondamentales qui est absolument nécessaire, qui définit l'humanité. Sans cet amour, on n'est tout simplement pas humain, et cet amour commande, on construit sur cet amour naturel une valeur très importante du confucianisme qui est la piété filiale, qui impose toute sorte de devoirs, du respect, de l'obéissance vis-à-vis des parents. Et cette piété filiale, c'est un des socles, véritablement, de la pensée chinoise ancienne. Avec des aspects positifs, il est évidemment tout à fait bon de s'occuper de ses parents, et puis les aspects qui le sont parfois un petit peu moins, la piété filiale pouvant aboutir à un excès d'obéissance ou un excès de respect de l'autorité. La morale confucianiste a donc un aspect tout à fait naturel, maintenant, le fait de reconnaître qu'on a ces dispositions, en quelque sorte virtuelles ou naturelles, ne suffit pas encore à faire de nous un être moral. Il y a une différence entre avoir ces germes de moralité et puis être un humain moral au sens confucianiste, au sens exigeant du terme. Pour cela, pour transformer donc cette virtualité en quelque chose de réel, en une morale exigeante, il y a tout un travail d'éducation qui est nécessaire, et l'éducation est une valeur qui est véritablement centrale dans le confucianisme. C'est même une des valeurs centrales de la culture chinoise en général. Je parle d'éducation, je pourrais presque, de façon un peu péjorative, parler de dressage. Parce qu'il s'agit vraiment de mettre l'enfant, quand il grandit, dans un milieu favorable de lui faire lire les bons textes, de le faire réfléchir aux bons exemples. En quelque sorte, c'est petit à petit, d'inculquer en lui de façon graduelle, de façon presque inconsciente pour lui, tous les mécanismes, tous les bons réflexes qui feront que, petit à petit, il va devenir une personne morale. Il y a ici un contraste qui est assez important avec la vision qu'on a en Occident de la moralité. En Occident, on considère souvent que la moralité nécessite un choix : il faut un choix moral pour être une personne morale. Je simplifie un petit peu ici. En Chine, la vertu, elle est au delà du choix. C'est-à-dire qu'une fois que la personne a été bien dressée, bien éduquée, elle adoptera spontanément, naturellement, sans réflexion, sans choix individuel, le bon choix, la bonne attitude dans la société. On a donc une opposition entre une morale qui est plutôt une morale qui, à partir de dispositions naturelles, une morale qui nous apprend à nous comporter spontanément d'une manière bonne, à une morale en Occident, une morale parmi d'autres, qui est plutôt, elle, de nature individuelle. Pour terminer, j'ajoute un point. Ces différences, ces oppositions que j'ai faites, ce sont des oppositions qui sont surtout des oppositions dans la manière de représenter les choses. Ce qu'on constate, si on s'intéresse à la manière dont les enfants étaient effectivement éduqués dans les familles chinoises traditionnelles, et puis la manière dont un enfant pouvait être éduqué en Occident, par exemple dans un milieu religieux, les différences ne sont pas si importantes que cela. Sociologiquement, il y a des dimensions d'éducation et de dressage dans les deux façons de voir les choses. [MUSIQUE]