[MUSIQUE] [MUSIQUE] Qu'est ce l'impact social? Si l'on essaie de dessiner à grands traits les frontières de l'impact social, on se rend vite compte qu'il couvre un vaste champ et que parler d'impact sociétal serait probablement plus parlant. En s'inspirant de l'avis des agences de valorisation des initiatives sociales et économiques, on peut malgré tout tenter de cartographier plus précisément les domaines que l'action d'une organisation pourra concerner. Nous en avons retenu cinq. Un, l'individu, deux, la société, trois, la politique, quatre, l'économie, cinq, l'environnement. L'individu, on pourra avoir notamment un impact sur son cadre et ses conditions de vie, sa santé et son autonomie. On pourra également parler de capabilité au sens d'Amartya Sen, à savoir les capacités d'agir qui donnent à l'individu la liberté de choisir sa vie. La société, c'est l'impact social, pourra s'exprimer en termes de lien social, d'équité territoriale ou d'égalité des chances. Pour l'aspect politique, l'action d'une organisation pourra avoir une influence sur le développement de l'esprit critique, essentiel en démocratie, ainsi l'action d'Amnesty International, ou déboucher sur des décisions politiques, ainsi l'action d'Unis-Cité qui a débouché sur la création, par le législateur, du service civique. Pour ce qui est de l'économie, l'organisation pourra par exemple contribuer à épargner des coûts à la société, à augmenter l'emploi de catégories de populations précarisées ou à développer le capital humain sur un territoire. Enfin, pour ce qui est de l'environnement, l'impact de l'organisation pourra être direct, si son cœur d'activité se situe sur le champ de la préservation de l'environnement, ou indirect, par un rôle de sensibilisation assez problématique. Précisons que l'impact social pourra se situer à des horizons de temps divers, court, moyen ou long terme, et que les effets d'une action pourront être positifs comme négatifs, même si c'est a priori plutôt rare. Se poser la question de l'impact social amène à différencier réalisation et impact. C'est un point capital qui doit être parfaitement clair pour vous. Par exemple dans le cas du projet GRILLOT, ce qui importe en termes d'impact n'est pas la nombre de barres que vous aurez vendues, cela ce sont des réalisations, mais le taux de conversion entre barres classiques, sucrées et riches en matières grasses, et barres à faible teneur en sucres et graisses. Avec la notion d'impact social, on s'intéresse au changement qui est généré par ce qui est réalisé, pas à la réalisation elle-même. Pour bien mesurer votre impact social, il est indispensable de vous poser quatre grandes séries de questions avant de vous lancer dans une telle démarche. Un, pourquoi? Pour qui? Dans la phase de lancement de votre projet, vous avez comme principal objectif de convaincre un financeur, un partenaire ou bien encore un jury de concours. Mais travailler sur la mesure de votre impact social peut malgré tout être d'ores et déjà envisagé comme un outil de pilotage et de décisions stratégiques. Deux, quoi? Vous pouvez vous poser seulement la question de l'impact de votre action sur vos bénéficiaires directs, ou bien élargir le spectre à l'ensemble de vos parties prenantes. Souvenez-vous du témoignage de François Perrault qui mentionnait l'impact du programme Affordable Housing sur les revendeurs de matériaux, il aurait été dommage de ne pas le mesurer. Trois, quand? Vous êtes a priori dans le cas d'une analyse projective, posant des hypothèses et fixant des objectifs en termes d'impact social futur. Si vous avez réalisé un pilote de votre projet, c'est peut être une analyse rétrospective, c'est-à -dire étudier l'impact social que vous avez effectivement créé. Idéalement, il faudrait commencer par une analyse projective, pour ensuite réaliser des analyses rétrospectives, ceci dans un processus itératif, les analyses rétrospectives pouvant amener à revoir les hypothèses envisagées initialement. Par ailleurs, il faut parfois un certain temps pour que le changement ait le temps de se produire. Les effets sur la santé des barres GRILLOT ne pourront pas être mesurés à court terme, bien sûr. Quatrième grande série de questions, les moyens et les ressources. Il faudra vous concentrer sur ce qui est intéressant pour votre projet, et quoi qu'il en soit, être réaliste sur ce qui est faisable, avec les moyens dont vous disposez, en termes de temps, en termes de d'hommes, en termes de conséquences, en termes de budget, mais aussi en termes de disponibilité de données. Ces quatre questions sont les clés du choix d'une méthode de mesure de l'impact social pertinente dans votre contexte spécifique. Pertinence, faisabilité, mais aussi traçabilité. Tout choix, toute hypothèse, tout calcul devra pouvoir être aisément traçable. Pertinence, faisabilité, traçabilité, trois impératifs que vous devrez garder à l'esprit tout au long du processus. Il nous faut maintenant identifier les effets de l'action pour les parties prenantes. L'acteur clé de toute démarche de mesure d'impact social, ce sont les parties prenantes de l'entreprise, définies par Edward Freeman, père de la théorie du même nom, comme un individu ou un groupe d'individus en relation avec l'entreprise, qui peut affecter ses décisions ou être affecté par elle. Vos premières parties prenantes, en tant qu'entreprise sociale, sont a priori vos bénéficiaires, ceux pour lesquels vous avez créé le service ou le produit. Ce sont donc les effets que votre action a sur vos bénéficiaires qui devront être prioritairement regardés et étudiés. Si vous en avez le temps et les moyens, il est cependant très intéressant d'aller au-delà et de s'intéresser à l'impact que vous avez sur l'ensemble de vos parties prenantes. Le premier travail consiste dans ce cas à identifier et hiérarchiser ces parties prenantes. Prenons l'exemple du projet KERI&CARE que ceux qui ont suivi le MOOC, l'entrepreneuriat qui change le monde, ont eu l'occasion de découvrir. La mission sociale de KERI&CARE, développer un réseau d'entreprises d'insertion, sous la forme de salons spécialistes des cheveux frisés et crépus à des prix raisonnables, en permettant l'insertion professionnelle de femmes issues de l'immigration subsaharienne. Pour la finale du concours de la Global Social Venture Competition ou GSVC, Kérima, porteuse du projet, a du se poser la question de ses parties prenantes et des impacts que son activité a sur elles. Elle a ainsi identifié comme parties prenantes, au-delà de ses bénéficiaires directs que sont les femmes en insertion employées dans les salons de coiffure, les familles de ces femmes, les salariés permanents, les pouvoirs publics, les clients du salon. Puis elle a réalisé pour chacune de ses parties prenantes ce que l'on appelle la cartes des impacts dans le vocabulaire de l'approche SROI, Social Return on Investment, dont je vous parlerai tout à l'heure. La carte des impacts fait apparaître pour chaque partie prenante ses contributions au projet, ses réalisations concrètes et enfin les effets que le projet a sur elle, encore appelés les résultats ou bénéfices. Faisons un zoom sur l'une de ces parties prenantes : les familles des femmes en insertion. La carte des impacts fait apparaître comme contribution au projet, le soutien que ces familles apportent aux femmes en insertion, comme réalisation, le fait de donner de la valeur au travail en insertion, comme effets sur elles, le soutien financier, l'aide dans la résolution de problèmes, les bénéfices pour la scolarité des enfants. Vous pourrez utilement nourrir votre carte des impacts grâce à divers types de ressources dont les études que produisent les réseaux professionnels. Par ailleurs, dans le cas où un pilote existe, il vous est fortement conseillé d'interviewer vos parties prenantes, pour préciser votre carte des impacts. Cette étape de concertation et de dialogue est extrêmement riche d'enseignements. Elle vous permettra d'appréhender les résultats générés au-delà des objectifs initiaux de votre organisation et d'éventuels effets négatifs. Souvenez-vous à nouveau de l'exemple des revendeurs que vous a raconté François Perrault. Vous pourrez être amenés à revoir les effets que vous pensiez avoir sur vos parties prenantes. Ils nourriront également les étapes suivantes de votre démarche d'évaluation, sur le choix des indicateurs notamment. Vous pourrez avoir recours à différentes méthodes en fonction de vos contraintes et des bénéficiaires concernés. Cela ira de simples coups de téléphone jusqu'à des entretiens individuels, à l'envoi d'un questionnaire ou l'organisation d'une discussion collective. Si la partie prenante n'existe pas, les générations futures par exemple, vous devrez lui trouver des porte-paroles. Il nous faut maintenant choisir des indicateurs. Vous avez cherché à identifier les changements générés par votre projet sur vos principales parties prenantes. L'enjeu va être maintenant de mesurer ces changements, ce qui n'est pas une chose très intuitive. Pour ce faire, il va vous falloir choisir les indicateurs pertinents. Revenons à l'exemple de KERI&CARE. Pour la GSVC, Kérima a choisi de faire un zoom sur ses bénéficiaires et sur les trois effets de son action qui lui semblaient les plus pertinents, à savoir, un, l'obtention d'un diplôme d'État de coiffure, deux, l'amélioration de leur situation individuelle, trois, l'intégration durable sur le marché du travail. Quels indicateurs élaborer pour mesurer objectivement ces changements? Pour le premier, l'obtention d'un diplôme d'État de coiffure, c'est assez simple, puisque ce sera le nombre de femmes en insertion qui ont obtenu le CAP de coiffure à la fin de la formation. Pour le second, l'amélioration de leur situation individuelle, on sera obligé de faire un détour par une démarche d'entretien, démarche qualitative donc, pour chiffrer le résultat. Ce sera le nombre de femmes qui déclarent que KERI&CARE les ai aidées à améliorer leur situation personnelle. Enfin pour le troisième, l'intégration durable sur le marché du travail, il a fallu réfléchir à ce qui permettra de mesurer le changement de la façon la plus fiable et c'est le nombre de femmes en insertion qui ont trouvé un travail à temps plein, cinq ans après leur période de réinsertion au sein de KERI&CARE, qui a été retenu. Qu'est-ce qu'un bon indicateur, donc? Nous avons retenu une grille de cinq critères : utilité, disponibilité, acceptabilité, fiabilité, comparabilité. Faisons passer l'indicateur, obtention d'un diplôme d'État de coiffure, par cette grille d'analyse. Utilité, cet indicateur est au cœur des objectifs du projet KERI&CARE. Il est utile, voire quasiment indispensable. Disponibilité, la donnée peut tout à fait être disponible, mais elle suppose un suivi des femmes en insertion. Acceptabilité, elle est acceptable puisqu'elle ne suppose pas de collecter des informations personnelles que la loi interdirait de conserver. Ce n'est par ailleurs pas une information confidentielle. Il faudra toujours se poser la question du respect de la Loi informatique et libertés en France, et plus largement des lois en vigueur sur votre d'intervention. Enfin, certaines données pourront être jugées comme inacceptables par vos parties prenantes parce que considérées comme trop personnelles. La fiabilité, la donnée sera parfaitement fiable si elle est bien collectée et bien traité, ce que rien n'empêche à priori. Enfin la comparabilité, qui est un critère optionnel, tout dépend de ce que l'on souhaite en faire. S'il doit donner lieu à des comparaisons internes ou externes, il faudra vérifier que le critère s'y prête. Là c'est bien sûr le cas, on pourra comparer la proportion moyenne de salariés en insertion ayant obtenu un diplôme d'État à l'issue de leur parcours avec les salariés de chez KERI&CARE qui ont obtenu ce diplôme. Mais attention aux comparaisons hâtives. La question des indicateurs est une question à la fois complexe et sensible, et il vous faudra aussi, au-delà de la vérification de ces cinq critères que je viens d'évoquer, garantir dans le temps la collecte des données. Car sans données, pas d'évaluation. Il faudra également éviter d'avoir une batterie d'indicateurs trop larges. Pour une communication externe, simplifiez la lecture en regroupant les indicateurs de façon thématique, voire ne retenez que les indicateurs les plus significatifs. Vous devrez enfin et surtout accepter de mesurer une réalité humaine et sociale complexe que l'on peut répugner à mettre en chiffres. Typiquement, il est évident qu'évaluer le bien-être n'est pas aisé, mais qu'une amélioration en la matière peut faire partie intégrante de la mission sociale de nombreuses entreprises sociales. C'est ce chemin, mesurer le non-mesurable, qu'il convient sans doute d'emprunter pour aller vers des évaluations les plus riches possible, qui deviendront de vrais outils de pilotage et d'amélioration des pratiques de l'organisation. Ceci, en conclusion, signifie que vous ne devrez pas viser une liste exhaustive d'indicateurs parfaits. Mais comme pour l'ensemble de la démarche engagée, vous devrez pouvoir argumenter vos choix et être transparents sur leurs avantages et leurs limites.