[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] Les violences faites aux femmes font partie de ces problèmes qu'on redécouvre régulièrement et dont on a pendant longtemps pas parlé ou pas reconnu l'ampleur. Et les statistiques sont extrêmement importantes pour donner une matérialité à ce problème social et à permettre également une reconnaissance de ce problème public. Alors, Catherine Cavalin, vous êtes sociologue et spécialiste des statistiques sur les violences interpersonnelles et sur la santé. Et j'aurais voulu vous poser la question de savoir en quoi les statistiques permettent de rendre compte de la dimension genrée des violences? >> Alors, les statistiques et le genre ont une histoire sur les violences, une histoire relativement récente, >> qui date d'une vingtaine, d'une quinzaine d'années. Et qu'est-ce qu'elles apportent? On peut dire que d'abord, dans une première approche, elles apportent une large confirmation des travaux qualitatifs qui avaient été faits dans les 30 années qui avaient précédé. Ce qui est très important et très intéressant du point de vue des féministes qui ont promu ce problème comme un problème public avec des études qualitatives. Qu'est-ce qu'elles apportent en particulier pour les mouvements féministes, pour qui cette étude statistique n'était pas évidente? C'était le moyen discuté, non consensuel au sein des féministes, mais le moyen d'objectiver avec une certaine représentativité en population générale, l'enjeu c'était la représentativité, d'objectiver ce problème comme un problème largement prévalent et largement diversifié dans ses manifestations comme l'avaient montré par ces études qualitatives justement, notamment Liz Kelly dans son ouvrage de 1988. Le continuum des violences, des violences envers les femmes, largement prévalentes, très diverses, les statistiques aujourd'hui le confirment largement avec des sources très différentes. >> Et alors qu'est-ce qu'elles nous disent sur les violences faites aux femmes ces statistiques? >> Alors, ces statistiques dont sont très diverses, puisque les institutions, les chercheurs, les organismes, les différents acteurs qui produisent ces statistiques ont des intentions différentes, des propos politiques différents. Mais malgré tout, au-delà de cette diversité, elles nous disent des choses très largement convergentes. Alors, on sait qu'elles continuent d'être débattues, que toute publication de résultats sur ces sujets continue d'être non consensuelle parfois, mais malgré tout, quand on les étudie de près, elles disent des choses très proches qualitativement justement. Dans l'interprétation qualitative qu'on peut donner de chiffres qui sont parfois différents, on trouves de larges convergences. Alors, si j'essaie d'en résumer une petite liste, on peut dire que les études statistiques des 20 dernières années convergent vers une prévalence largement dominante des violences subies par les femmes par rapport aux violences subies par les hommes en matière physique et sexuelle ; sur le fait que les auteurs de violences agies, d'auteurs de violences donc qui sont plutôt des hommes qui agissent sur des hommes et sur des femmes. Le fait aussi que les femmes subissant des violences ce sont dans des situations le plus souvent d'intimité, c'est-à-dire que les violences sont exercées plus particulièrement dans le cadre intime que dans l'espace public, malgré ce que peuvent en dire, voilà, l'imagination publique qu'on peut en avoir. Et que du coup, dans ces situations de violences dans l'intimité, les femmes sont plus souvent exposées à des violences répétées, à des situations longues de violences. Donc je parlais de chiffres non consensuels malgré tout, parce que après toute publication d'enquête, on continue de dire, certains continuent de dire que peut-être mon objectif c'est violences envers les femmes et on oublie d'objectiver les violences dont les hommes seraient victimes. Malgré tout, on peut dire que après avoir travaillé beaucoup de bases de données, après avoir cherché moi-même où étaient ces hommes victimes de qui, d'hommes ou de femmes, je peux dire que dans l'intimité, sur les violences physiques et sexuelles, j'ai du mal à les trouver et même sur des enquêtes qui étaient très ouvertes, qui n'ont pas un propos militant, féministe, qui étaient très ouvertes à la découverte des violences dont les hommes seraient victimes, on a du mal à les trouver. C'est le cas de l'enquête Cadre de vie et sécurité en France aujourd'hui, où au bout de neuf ans d'enquête on a quelques dizaines d'hommes victimes de violences physiques et sexuelles dans le couple, c'est tout, sur 13 000 enquêtés par an. >> Donc on peut dire aujourd'hui que ces enquêtes, malgré les différences parfois importantes de résultats, permettent finalement de confirmer comme vous le disiez au départ >> ce que les féministes avaient montré de longue date sur les violences faites aux femmes. J'aurai une question plus technique peut-être pour quelqu'un qui a participé aux enquêtes. Justement on dit ça, il y a des différences très importantes d'une enquête à l'autre sur les prévalences. Quelles seraient en fait ou quelles sont aujourd'hui les bonnes pratiques pour pouvoir compter ces violences et inversement est-ce qu'il y a des mauvaises pratiques? >> Alors, on ne peut pas décerner de médaille de la bonne ou de la mauvaise enquête, les chiffres sont différents et tous méritent des interprétations, donc tous les chiffres sont compréhensibles. Malgré tout, on a compris un certain nombre de choses par les multiples comparaisons, extrêmement pointilleuses entre les résultats et en comparant les méthodes, et notamment on a compris l'importance dans l'ensemble de dispositifs d'enquête de tout ce qui compose les enquêtes. Du premier contact qui est pris avec l'enquêté jusqu'à l'interprétation finale des résultats, tout compte finalement. Alors, si on résume un petit peu ces bonnes pratiques, les tirages d'échantillons en amont des enquêtes sont extrêmement importants, puisque selon l'intention de représentativité que l'on a il y a un enjeu crucial, technique sur la nature de l'opération statistique du tirage d'échantillon. On a compris également en comparant parfois des enquêtes qui évoluent ou des enquêtes entre elles que la formulation des questions n'est jamais neutre, y compris avec une petite virgule rajoutée dans une question qui peut changer une prévalence qui était plus masculine ou plus féminine, on en a des exemples tout à fait expérimentaux, quasi expérimentaux. On peut dire également que et notamment par rapport à un questionnaire qui s'appelle le conflict tactics scale, qui est utilisé dans une source américaine qui existe depuis 1975, que on a tout à fait intérêt pour pouvoir interpréter les résultats, pas seulement produire des chiffres, avoir des éléments sur le contexte de survenue des violences, les violences sont des relations sociales et comme toute relation sociale elles surviennent dans des contextes sociaux. Les enquêtes doivent préciser ces contextes pour rendre les résultats lisibles. Les conditions d'entretien également sont très importantes. Dans quelles conditions place-t-on l'enquêté pour répondre? Le confort relatif ou pas, dans quel ordre lui pose-t-on une question, avec quelle vitesse le précipite-t-on vers une réponse? L'enquêté, homme ou femme, ne répond pas de la même manière selon qu'on organise le questionnaire d'une manière ou d'une autre. La formation des enquêteurs est également très importante. Ce qui se passe aussi après l'enquête. Finalement les arguments sur lesquels je suis revenue maintenant sont plutôt techniques, méthodologiques, ils sont aussi éthiques on l'a compris. Et sur la mesure des violences, la mesure statistique des violences, finalement on touche du doigt, d'une façon plus aiguë des problèmes qui sont des problèmes pour toute enquête statistique, donc les violences sont aussi un domaine utile pour la statistique pour comprendre ce qu'elle a à faire sur des domaines qui sont aussi banales que le revenu ou la consommation, en tout cas considérés comme banales par les statistiques. Merci beaucoup Catherine. >> Merci. [MUSIQUE] [MUSIQUE]