[MUSIQUE] [MUSIQUE] Lorsqu'on parle de violence conjugale, il y a un débat récurrent qui demande si ce sont les femmes qui sont vraiment principalement les victimes, ou si les hommes seraient eux aussi autant victimes que les femmes ou en tout cas, si hommes et femmes auraient la même tendance à la violence dans le couple. On parle dans ces cas-là de la controverse assez fameuse entre Straus et Johnson. Et je voulais vous poser la question, Catherine Cavalin, vous qui avez travaillé plus précisément sur cette controverse, est-ce que vous pouvez nous la présenter? >> On peut la résumer à quelques traits qui sont un peu étonnants. D'abord, sa longueur, puisque que le début c'est 1975, et elle continue. Donc c'est une controverse qui a 40 ans, et ce qui est étonnant, c'est qu'elle est répétitive, c'est-à-dire qu'on pourrait imaginer que sur une longue durée elle ait pris des formes et des variations multiples. Elle a pris des formes multiples, mais les arguments sont toujours les mêmes. La première période c'est 1975-1995. Murray Straus fonde le Family Research Laboratory, et crée une enquête, le National Family Violence Survey, dans laquelle il montre avec avec un questionnaire particulier, la Conflict Tactics Scales, que dans le couple, les hommes et les femmes seraient, d'après lui, les auteurs à égalité de cette violence dans le couple, qu'il nomme donc Gender Symetry, la symétrie de genres des violences dans le couple. Et dans cette première partie, jusqu'en 1995, les mouvements féministes américains particulièrement actifs, surpris et mécontents de ces résultats, les contestent sur un plan qualitatif. Donc ça c'est la première partie de la controverse. Mais au fond, dans la deuxième partie, à partir de 1995 jusqu'à aujourd'hui, les arguments sont les mêmes, très répétitifs, dans une littérature qui se perpétue de façon étonnamment répétitive, et d'autant plus étonnamment répétitive que quand on lit cette controverse, tout le monde semble dire la même chose. A partir de 1995, le débateur qui s'oppose à Murray Straus s'appelle Michael Johnson. Et Michael Johnson et Murray Straus ont un même argument qui consiste à dire que les enquêtes en population générale soit les enquêtes dites de victimisation ou Victimisation Surveys aux Etats-Unis, soit les enquêtes à caractère plus socio-démographique, ne sont pas représentatives de ce qu'on peut observer dans les foyers d'hébergement par exemple où les femmes victimes de violence conjugale sont accueillies. Donc ils sont d'accord que ces enquêtes ne sont pas représentatives des violences les plus graves, les plus répétées, celles qui aboutissent le plus souvent à l'homicide, etc. Ils sont d'accord sur cela. Ils sont aussi d'accord sur le fait que les conséquences en termes de santé, arrêt de travail, dépressivité, prise de médicaments, hospitalisation, etc., les conséquences des violences dans le couple sont beaucoup plus lourdes dans leurs statistiques tous les deux. Ils montrent que ces conséquences sont beaucoup plus lourdes pour les femmes que pour les hommes. Et encore plus étonnant, parce que pour l'instant on a l'impression que tout le monde est d'accord, Murray Straus qui revendique l'idée de symétrie de genre, dit pourtant que en comparant avec une espèce de test méthodologique les réponses des hommes et des femmes dans le couple, que les hommes mentent ou en tout cas déguisent ou sous-évaluent les violences les plus graves dont ils sont les auteurs sur les femmes. Et au fond, Murray Straus très étonnamment, nous dit, pour interroger les femmes sur ce qui se passe dans le couple, sur ce que font et reçoivent en termes de coups les hommes et les femmes, il faudrait n'interroger que les femmes, elles sont fiables, on peut les interroger. Et malgré cela, le débat est extrêmement violent puisque Murray Straus revient sur cette idée que malgré toutes ces idées et même le fait que les hommes sous-évaluent leurs comportements les plus graves, les hommes et les femmes sont aussi violents les uns que les autres. Donc c'est très étonnant, et au fond, la solution de ce mystère, c'est qu'au fond, la définition de la violence pour les uns et les autres est profondément divergente. Et là où Murray Straus mesure, et d'ailleurs c'est ce que dit le titre de son questionnaire, le conflit, Michael Johnson veut véritablement mesurer les situations qui ne sont pas les situations qui ont une issue possible. Le conflit dans le sens où il peut avoir une négociation, une interaction. Et donc ils ne sont pas d'accord sur la définition de la violence. Et quand on regarde les questions du Conflict Tactics Scales, on en est effectivement frappé puisque l'introduction même auprès des répondants aux enquêtes de ce questionnaire consiste à dire : Dans votre couple, vous pouvez avoir de petits problèmes, des prises de becs, des petites... Et ensuite on leur pose des questions sur ce qui se passe dans le couple. Et des questions sur ce qu'ils font et sur ce qu'ils reçoivent. Avez-vous frappé? Avez-vous été frappé? etc. Un questionnaire très particulier qui dédramatise les violences, qui les réduit très certainement au statut plutôt de conflit que de violence. >> Et vous avez abordé un point très important lorsque vous faites une distinction entre conflit et violence. En quoi est-ce que cette distinction est importante pour vous qui travaillez sur la question des violences conjugales? >> C'est important, et effectivement cela renvoie à des problèmes sur la façon dont on mesure les violences, puisque si on se contente de poser des questions factuelles sur : avez -vous frappé, avez-vous crié, avez-vous jeté un objet? On peut très bien être dans une ambiguité entre une situation, un conflit au sens d'un événement qui durera peu de temps, qui n'est pas destiné à se répéter, et quelque chose qui peut s'inscrire dans une longue relation violente qui s'installe. Donc l'enjeu méthodologique c'est d'avoir non pas simplement la question comme le fait le Conflict Tactics Scales, avez-vous jeté un objet, avez-vous crié, mais aussi, dans votre couple, comment sont partagées les tâches, est-ce que le partage des tâches est consensuel entre l'homme et la femme? Donc un des élements de contexte biographique, affectif, sexuel, général, et aussi des élements de contexte sur la survenue même de violence. Qu'est-ce qui s'est passé après, quelles ont été les conséquences pour vous? Mais ça, la Conflict Tactics Scales laisse échapper cette dimension. >> Mais il me semble aussi qu'ils ne travaillent pas sur la même population, Straus et Johnson. >> Ils travaillent sur la même population, mais pas avec tout à fait les mêmes préoccupations. En tout cas, ils travaillent sur des populations adultes quand ils travaillent sur des enquêtes en population générale, mais Murray Straus, son point de départ, ce sont des populations plus jeunes. Et il explique même l'origine de ses projets de recherche en expliquant qu'il a observé le comportement de ses étudiants, qu'il leur a posé des questions sur les violences intrafamiliales. Donc ce qui l'intéresse au départ, et son laboratoire s'appelle Le Laboratoire de Recherches sur la Famille, ce sont les violences intrafamiliales et les violences que subissent les jeunes dans la famille et qu'exercent les jeunes entre eux dans les relations amoureuses. Et il me semble que cette échelle des Conflict Tactics Scales, est sans doute plus adaptée, et d'ailleurs le Laboratoire de Murray Straus l'utilise dans des enquêtes de Dating Violence auprès des étudiants, et plus adaptée peut-être dans des comportements qu'on mesure dans d'autres enquêtes aussi, de violence agie et subie dans les populations les plus jeunes à l'âge du début de la conjugalité et pas nécessairement dans des relations longues à des âges plus avancés. [MUSIQUE] [MUSIQUE]