[MUSIQUE] [MUSIQUE] Nous allons maintenant nous intéresser à ce que l'on nomme la féminisation des migrations, un phénomène qui fait référence au nombre croissant de femmes qui migrent, mais également aux transformations liées au rôle et à l'insertion des femmes dans le processus migratoire. Pour comprendre ce phénomène, il faut tout d'abord remonter à un constat qui a été fait dans les années 80 par la sociologue Mirjana Morokvasic : il existe une forte invisibilisation des femmes migrantes dans les études sur les migrations. Morokvasic et d'autres chercheuses ont en effet montré à cette époque qu'à l'instar du travail, les migrations étaient pensées uniquement au masculin, sans considérer les femmes. Par conséquent, l'homme était pensé en tant que référent universel. Du fait de cette invisibilisation des femmes dans le travail et les migrations, on parle ainsi d'une double absence des femmes. Cet oubli des femmes, selon Mirjana Morokvasic, voire leur quasi absence selon Laura Oso Casas caractérisent ainsi l'étude des migrations jusqu'aux années 70-80. Comment peut-on expliquer cet oubli? Plusieurs raisons ont été évoquées dans la littérature académique. Pia Eberhardt et Helen Schwenken mettent en avant certains facteurs déterminants pour expliquer cette invisibilisation. Elles notent par exemple une forte exclusion des femmes du monde académique, des usages hiérarchiques des méthodes d'enquêtes, des biais genrés dans les sources historiques et les données, un intérêt prépondérant pour les hommes en tant que sujet d'études, tout en reléguant les femmes à un sujet de recherche inintéressant. Ces facteurs ont ainsi participé à penser uniquement les personnes migrantes au masculin à travers les figures de travailleur, d'époux ou encore de père. Cette invisibilisation des femmes a fait rimer migration économique avec migration masculine. La migration des hommes a dès lors été associée à des raisons économiques ou professionnelles, réduisant la migration des femmes, dans les rares cas où elle était évoquée, à des raisons sociales. Les femmes ont ainsi été soit invisibilisées, soit décrites comme passives, suiveuses, recluses, économiquement inactives ou dépendantes de leur mari. On comprend donc comment le champ des migrations fut marqué par une vision genrée du rôle des femmes fidèle à une division stéréotypée du travail. Avec l'essor des critiques féministes, les années 80 vont constituer un premier tournant dans la problématisation de la figure de la femme migrante. En écho à la forte présence statistique des femmes dans les migrations internationales, les premières recherches féministes ont tenté de déconstruire le rôle stéréotypé des femmes dans les migrations, en mettant l'accent sur leur participation économique au-delà des schémas classiques. Dans le même temps, une redéfinition du travail s'opère au-delà des activités économiques dites formelles, en considérant également le travail informel et non déclaré. Cette redéfinition a permis de dépasser la naturalisation du travail domestique et de souligner l'importance du rôle économique des femmes, entrepris dans le travail de reproduction et de production. C'est donc en ce sens que les recherches féministes ont permis de visibiliser les migrations des femmes et d'autre part de souligner l'importance du rôle social et économique des femmes dans les processus migratoires. Cette ouverture conceptuelle dans les études sur les migrations féminines coïncide avec la densification des flux migratoires féminins. On constate en effet dans les années 80-90 que les femmes ne migrent plus uniquement avec leur famille. Elles migrent de plus en plus en tant que pionnières de la migration familiale, et deviennent par la même occasion la pourvoyeuse financière de la famille restée au pays, voire dans certains cas la nouvelle cheffe de la famille. La visibilisation du rôle actif des femmes dans les migrations ainsi que le nombre croissant des femmes migrantes dans les années 90 vont dès lors traduire un phénomène nouveau : celui de féminisation des migrations. Cette notion traduit à la fois un changement quantitatif, c'est-à-dire le nombre croissant de femmes migrantes par rapport aux hommes, mais surtout des transformations qualitatives dont l'insertion des femmes dans les processus migratoires, un phénomène qui touche principalement les pays des sud mais également les pays des nords. Pus concrètement, sur les 250 millions de personnes migrantes dénombrées par la Banque mondiale en 2015, incluant les flux sud-sud, sud-nord, nord-sud ou nord-nord, on compte aujourd'hui 49 % de femmes, un pourcentage en croissance quasi continuelle depuis les années 80, qui est soutenu par une large proportion de migration économique. Quels sont les effets de cette féminisation des migrations pour les femmes? Il faut souligner d'entrée que ces effets sont complexes. Ils sont parfois ambivalents, voire contradictoires. Ils dépendent de nombreux facteurs tels que l'origine des femmes, leur statut, leur emploi, leur insertion dans le pays de destination, leur statut juridique, leurs réseaux ou encore leurs ressources. Les recherches s'accordent toutefois sur le fait que la migration produit à la fois des formes d'empowerment, c'est-à-dire des formes d'autonomisation, mais également des nouvelles formes de vulnérabilité et d'exploitation. Cette tension entre empowerment et exploitation se traduit par exemple dans les enjeux de mobilité sociale et de déclassement social, les enjeux de qualification, déqualification, requalification dans le monde du travail, les stéréotypes sexistes, racistes et classiques également. On comprend donc au final que le phénomène de féminisation des migrations rend compte de transformations tant quantitatives que qualitatives. Un phénomène qui permet également de prendre en compte des nouvelles formes d'opportunités économiques et politiques vécues par les femmes dans leur mobilité, et à l'inverse de considérer les nouvelles formes de vulnérabilité et d'exploitation subies par ces femmes. Une tension structurante que l'on retrouve par exemple dans le marché transnational du sexe et dans l'économie mondialisée du travail domestique, comme nous le verrons dans les prochaines séquences. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]