[MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour et bienvenue dans ce cinquième module de ce cours qui s'intitule Frontières en tous genres, ce module portant plus particulièrement sur les frontières étatiques. Alors, les frontières étatiques font partie de cette grande famille des limites auxquelles s'intéresse ce cours, et toutes ces limites, toutes ces frontières ont cette caractéristique commune d'être étudiées du point de vue de leur genèse et de la façon dont elles participent du fractionnement du continuum de l'espace qui est l'espace des humains. Ceci dit, la frontière étatique est volontiers considérée comme étant l'archétype des frontières, au point même d'ailleurs que le terme soit parfois réservé aux frontières étatiques stricto sensu. Ça en est l'archétype, finalement, de toutes les limites. Aussi, une partie de cette présentation et de cette introduction du module s'attachera à montrer leurs spécificités, leurs particularités, leur saillance par rapport aux autres limites auxquelles s'intéresse l'ensemble de ce cours. La question, donc, de cette introduction, est de savoir ce qu'est une frontière étatique et ce qui la distingue fondamentalement des autres frontières ou limites dont il est question dans l'ensemble de ce cours. La première chose qui vient à l'esprit quand on parle de frontières étatiques, ce sont les murs, ce sont les sas, ce sont les discontinuités matérielles très fortes dont on connaît la popularité par les temps qui courent, et qui sont des murailles ou des points de passage qui contraignent la circulation des corps, des individus, des marchandises, comme on le voit très bien ici dans ces diapositives, dans ces photographies qui ont été prises à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, des murs et des sas, des points de passage frontaliers, des postes frontaliers. Quand on pense à la matérialisation ou la matérialité des frontières, on pense également aux bornes, aux plaques comme on voit ici à la frontière entre la Suisse et l'Italie ou à la frontière entre le Canada et les États-Unis, qui sont des formes plus discrètes de marquage matériel de la frontière mais qui sont des signes qui ne contraignent rien, qui ne contraignent pas la circulation des personnes ou des marchandises. Mais, de façon générale, quand on pense frontière étatique, on pense aujourd'hui, et de plus en plus, à ces formes matérielles d'expression, à ces signes matériels et aux contraintes, le cas échéant, qu'ils peuvent induire dans le franchissement de cette limite. Ceci dit, la dimension matérielle des frontières n'est qu'un aspect parmi d'autres et certainement pas une condition même de la frontière. La preuve en est que l'immense majorité des frontières étatiques de par le monde ne sont pas marquées par des murs, ne sont pas forcément traversées partout par des points de passage, ni même systématiquement bornées ou indiquées, signalées dans le paysage. Autrement dit, la matérialisation de la frontière étatique n'est qu'un de ses aspects seconds par rapport à un autre aspect qui est fondamental, qui est plus capable de définir ce qu'est la frontière étatique, c'est-à -dire quelque chose d'immatériel sur lequel on voit la frontière, on la met en œuvre, on la fait respecter. Et cette chose immatérielle, c'est le droit. La frontière, c'est d'abord et avant tout la limite sur laquelle vient buter le droit étatique. Aussi, s'il y a une matérialité des frontières, constitutive des frontières, ce sont moins les murs, les points de passage, les bornes que les documents qui permettent à la frontière d'exister, d'être reconnue comme telle, c'est-à -dire les traités internationaux, les cartes qui sont jointes à ces traités internationaux, qui sont des formes de matérialisation, certes, très différentes, certes, des murs et des sas mais qui sont, elles, des formes constitutives de la frontière elle-même. On en a besoin, quelque part, pour que la frontière puisse exister. On en voit un exemple avec un document qui est extrait d'un traité de paix qui a été signé en 1856 à l'issu de la guerre de Crimée, et qui, comme très souvent au XIXe siècle et au XXe siècle, représente sur une carte la frontière et la fait quelque part exister parce qu'elle a été reconnue par les institutions partenaires, les états, en l'occurrence, qui s'étaient faits la guerre les années précédentes. Autrement dit, la matérialité qui dérive des frontières modernes, c'est moins celle des murs et des bornes que celle des bornes qui les rendent opératoires. Et parmi ces bornes, on peut tout simplement penser aux passeports, qui sont des documents que l'on requiert de plus en plus, avec d'autres pièces d'identité le cas échéant, pour organiser le franchissement de la frontière, pour identifier les droits ou les non droits que pourraient avoir les porteurs ou les non porteurs de ce genre de documents.