[MUSIQUE] [MUSIQUE] On va commencer cette première leçon par une séquence plutôt théorique, une séquence plutôt générale qui porte sur la façon dont on réfléchit en géographie sur l'espace, sur les rapports entre le genre et l'espace. C'est une question plutôt nouvelle au sein de la géographie, qui émerge dans les années 1970, mais qui est devenue aujourd'hui très importante. Alors peut-être pour ceux d'entre vous qui ne sont pas très familiers avec ce concept, il faut dire deux, trois choses sur le concept de genre. On dit souvent que le genre, eh bien c'est la dimension sociale des rapports de sexe. C'est-à -dire que d'un côté il y a ce qui est biologique, ce qui est inné, ce qui est naturel, ce serait le sexe, qui relèverait des hormones ou des gènes, et puis de l'autre côté il y aurait le genre qui serait la dimension sociale, culturelle, historique, acquise des identités de sexes. Par exemple. c'est pas dans la biologie que les petites filles s'habillent en rose, c'est quelque chose qui est lié à l'éducation, et donc ça relève du genre et d'ailleurs c'est les petits garçons qui s'habillaient en rose jusqu'à une période récente. C'est ce qui a fait dire à Simone de Beauvoir, enfin ce qui a fait écrire à Simone de Beauvoir cette fameuse phrase, dans son livre sur le deuxième sexe en 1949 où elle dit : on ne naît pas femme, on le devient. On naît femme sur le plan biologique mais on le devient sur le plan social. C'est-à -dire en termes de genre, en apprenant un certain nombre de règles de comportement, dont serait par exemple de l'habillement. Il faut comprendre également que, parler de genre c'est nécessairement parler non seulement du féminin mais également du masculin. Les hommes aussi ont un genre ; et c'est surtout parler des rapports entre les uns et les autres. Le genre, c'est ce qu'on appelle les rapports sociaux de sexe et ces rapports sont inscrits dans des rapports de pouvoir. C'est-à -dire il y a une asymétrie de pouvoir entre les hommes et les femmes qui est quasiment un universel anthropologique. Et c'est dans cette inégalité, dans cette tension qu'on peut comprendre la place des uns et des autres. Alors depuis quelques années, on commence à parler de la théorie du genre. J'ai mis des guillemets parce que non, le genre n'est pas une théorie. On dit souvent ça pour dénigrer l'approche du genre. En fait le genre, c'est un concept. Il y a beaucoup de façons de réfléchir à ce propos et ce n'est pas une théorie. Alors c'est un champ d'étude, c'est une approche, c'est une façon de réfléchir sur la société, et cette approche a séduit beaucoup de géographes qui se sont tournés dans cette direction, surtout d'abord dans le monde anglo-saxon, dans le monde anglophone. Qu'est-ce que c'est faire une géographie du genre? Eh bien une géographie du genre, ça peut vouloir dire trois choses différentes. La première chose, la première approche, c'est de se dire que l'espace est structuré et organisé par le genre et par les rapports de genre. Par exemple, il y a des lieux qui ne sont pas mixes. Des lieux réservés aux hommes, des lieux réservés aux femmes ou des lieux réservés à certains types de rapports entre les hommes et les femmes. Et donc on peut expliquer l'espace par les catégories du masculin, du féminin et par les rapports entre les femmes. Et donc dans ce cas-là les géographes appellent le genre pour rendre compte de l'organisation de l'espace. Mais inversement, et c'est le deuxième point, le genre est aussi impliqué dans la construction du féminin ou la construction du masculin et l'organisation des rapports entre le masculin et le féminin. C'est-à -dire que le genre participe à la définition de ce que c'est qu'être un homme ou de ce que c'est que être une femme, et donc à ce moment-là c'est l'inverse, c'est la géographie qui est appelée au secours des étudiants pour mieux comprendre comment se construit le féminin ou comment se construit le masculin. Et souvent les deux fonctionnent ensemble. Pour vous en donner un exemple, je vais vous raconter une petite histoire qui m'est arrivée à moi et à mon fils il y a de ça maintenant une dizaine d'années. On est à Paris, on est en 2003 ou 2004, mon fils a trois ans ou quatre ans, c'est l'heure de l'inscrire à la maternelle, et c'est moi qui suis allé l'inscrire à l'école. Donc vous nous imaginez nous rendant à l'école maternelle pour les inscriptions. Il n'y avait quasiment que des papas qui étaient là , non que des mamans pardon, c'est un lapsus révélateur, il faudrait qu'il y en ait plus. Donc que des mamans qui étaient là et puis moi qui entre dans la salle où mon fils allait être scolarisé, et puis je vois inscrit au tableau par la main de la maîtresse à la craie, d'un côté les noms des garçons inscrits en bleu, et puis de l'autre côté les noms des filles inscrits en rose. Alors je tique un petit peu, je ne dis trop rien. Et puis, et la maîtresse nous explique que les garçons sont inscrits en bleu en colonne parce qu'ils vont s'asseoir à gauche de la classe et que les filles, leur nom est en rose parce qu'elles vont s'inscrire à droite de la classe. Alors là je trouvais ça quand même très, très bizarre. Je suis allé voir la maîtresse et je lui ai demandé, mais pourquoi vous faites ça? Elle m'a répondu, c'est pour leur apprendre la différence. C'est-à -dire que effectivement, ça va pas de soi pour un petit garçon ou pour une petite fille de savoir qu'on est un petit garçon ou une petite fille et surtout que c'est la bonne façon de séparer en deux la société. Et donc c'est ce qu'on va leur apprendre à l'école, et une façon de l'apprendre à l'école, c'est de les séparer. Alors c'est de les mettre d'un côté les petits garçons, qui vont comprendre qu'ils sont ensemble des petits garçons, et puis de l'autre côté de la classe, il y a les petites filles, qui vont comprendre qu'elles sont ensemble des petites filles. Et c'est une ségrégation. C'est un dispositif spatial au sein de l'école qui sépare les garçons des filles, et qui sert à produire du masculin et du féminin, et en même temps bien sûr l'organisation de l'école est assurée par le féminin et le masculin. Vous voyez même qu'on peut opérer cette ségrégation entre les garçons et les filles au sein des écoles mixtes. Les écoles mixtes sont, la mixité des écoles est obligatoire en France depuis 1972 je crois. Avant, les écoles n'étaient pas mixtes, mais vous savez très bien que même dans une école mixte, le mélange du féminin et du masculin, ce mélange spatial du féminin et du masculin n'est pas évident. Un directeur d'école disait par exemple que les garçons et les filles dans la cour d'école, c'est comme la vinaigrette. La vinaigrette ça se mélange bien, l'huile et puis le vinaigre tant qu'on touille, mais dès qu'on arrête de touiller, ça se sépare. Et donc on peut mélanger les garçons et les filles à l'école dans la salle de classe, mais dès qu'ils sortent dans la cour d'école, eh bien ils se séparent. Les garçons jouent avec les garçons, les filles jouent avec les filles. Et là aussi c'est très spatial, parce que généralement les filles vont se disperser dans les coins de la cour, où elles vont jouer à des jeux plutôt tranquilles, plutôt statiques où on discute, et les garçons, ça va être un grand tourbillon de courses plus ou moins violentes, au milieu de la cour d'école. Vous voyez à travers cet exemple comme le genre produit de l'espace, et l'espace produit du genre. Les deux fonctionnent de la même façon. Et puis en fait, troisième point, c'est aussi une question d'épistémologie ou aussi une question de, comment faire de la géographie. On peut penser que, il existe une façon féminine ou féministe de faire de la géographie. Pendant longtemps, trop longtemps sans doute, les géographes ont été des hommes, des hommes blancs, et ils ont fait une géographie qui était peut-être liée à leur genre, qui était biaisée par leur genre, et que, il y aurait une autre façon de faire une géographie, qui pourrait être faite par des femmes ou par des hommes qui choisiraient une démarche qui serait moins masculine ou moins masculiniste. Et ces mouvements féminins, féministes au sein des géographes ont demandé à ce que la géographie soit une science moins sûre d'elle, moins dominatrice, plus proche des intérêts et des émotions réels des sujets sur lesquels on travaille. Et donc il s'agirait par exemple de quitter la position de surplomb, de neutralité ou d'objectivité qui est souvent celle du géographe, qui parle des choses en les regardant de loin, et par exemple aller accepter d'être au même niveau, d'aller se mêler aux gens sur lesquels on est en train de travailler. Faire une géographie féministe, c'est aussi bien sûr commencer à se préoccuper des femmes, dont les géographes avaient, jusqu'à une date récente très peu parlé. Alors pour vous donner quelques exemples de cette géographie féministe ou de cette géographie qui prend en compte la question du genre, voici quelques ouvrages importants qui sont sortis dans les années 90 en anglais. Un grand auteur important, c'est Doreen Massey qui a sorti ce livre, Space, Place and Gender. Une revue très importante également, dont le premier numéro est sorti en 1994, qui s'appelle : Gender, Place and Culture. Un journal de géographie féministe, A Journal of Feminist Geography, qui est sans doute la revue majeure dans le champ aujourd'hui, et puis un glossaire important, un dictionnaire des mots de la géographie féministe, qui s'appelle : A Feminist Glossary of Human Geography, qui a été édité par un autre grand nom de la géographie féministe de langue anglaise qui est Linda McDowell. C'est le moment de faire une petite précision entre géographie féministe et géographie du genre. Ce sont deux choses différentes. La géographie du genre, c'est une géographie qui a un objet, puisqu'il s'agit de travailler sur ce qu'est le genre et son impact géographique, alors que la géographie féministe, elle se définit plutôt par un type d'approche ou un type de méthode, la théorie du féminisme. Ces approches sont arrivées un peu plus tard en France, et c'est dans les années 2000 qu'on voit arriver les premières références sur le genre et la géographie ou la géographie du genre. Le premier est un colloque sur le genre des territoires, qui a été publié en 2004. Et puis quasiment la même année sort le numéro spécial d'une revue de géographie qui s'appelle la revue Géographie et cultures, et qui porte sur le genre, construction spatiale et culturelle. Je vous en reparlerai de ce numéro, parce que j'ai écrit un article, moment de honteuse publicité, mais c'est surtout parce que, ce sera une des lectures qu'on va vous recommander un peu plus tard. Et le troisième ouvrage que vous voyez à l'écran, Genre et construction de la géographie, correspond à la publication très récente d'un colloque en 2013. Tout cela vous montre que le genre constitue dans la géographie francophone une actualité scientifique de premier plan. [MUSIQUE] [MUSIQUE]