[MUSIQUE] [MUSIQUE] Dans cette deuxième séquence, on va se demander quelles sont les femmes dont parle la géographie. Parler du genre normalement c'est pas seulement parler des femmes, c'est aussi parler des hommes, mais c'est vrai que la géographie qui s'intéressait au genre s'est surtout penchée sur la question de la place des femmes. Alors de quelles femmes? Eh bien pendant longtemps, on a eu tendance, parce que c'etait peut-être plus facile, de parler des femmes des autres. C'est-à -dire des femmes qui vivent dans d'autres pays, dans d'autres civilisations, qui ont d'autres religions, avec cette idée que les femmes en Occident, eh bien la question est réglée pour elles, la question de l'égalité, la question du respect, ça ne pose plus de problème, et que les difficultés, les injustices, les oppressions de sociétés misogynes, patriarcales, ce n'est plus notre affaire, mais l'affaire des autres. Et donc on va chercher dans d'autres cieux, sous d'autres latitudes, au-delà de certaines frontières, des situations qu'on est prêt effectivement à dénoncer, des pays pour lesquels on est prêt, de l'extérieur à être féministes. Et là , vous avec un exemple d'un de ces pays cibles, qui est l'Arabie Saoudite où effectivement les inégalités sont très frappantes entre les hommes et les femmes. Vous avez ce graphique ici qui l'illustre. C'est une société qui est marquée par le fait que les hommes et les femmes n'ont pas les mêmes droits, pas les mêmes responsabilités, pas les mêmes libertés. Et donc ce schéma illustre le caractère réduit des droits des femmes saoudiennes. Peu de choses leur sont permises, peu de choses leur sont possibles. En revanche, beaucoup de choses sont difficiles ou sont interdites. Vous noterez en passant que parmi ces choses possibles ou interdites, beaucoup ont trait à la géographie, c'est-à -dire à la place dans l'espace ou à la mobilité. Comme aller à la plage, se promener, aller au restaurant, conduire, voyager etc. Vous remarquerez également que l'illustration très frappante qui a été choisie pour illustrer ce graphisme est celle d'une femme en burqa. Il s'agit aussi d'espace, puisque si cette femme porte cette burqa c'est qu'elle est dans l'espace public. Parce qu'évidemment, à l'intérieur de la maison, elle ne porte pas cette burqa. Et cette burqa est la condition pour que cette femme accède à l'espace public. Et bien sûr du point de vue occidental, l'existence même de cette burqa est considérée comme problématique. Le devoir des occidentaux, le devoir des féministes serait donc de libérer ces femmes saoudiennes de leur oppression ou de leur burka. Alors ça pose un problème cette configuration. Ça pose un problème parce que, sans s'en rendre compte, on est en train de reproduire une attitude qui est une attitude coloniale. C'est un grand classique de l'idéologie coloniale, que l'homme blanc va aller sauver la femme de couleur de l'homme de couleur qui l'oppresse ou la domine. Vous avez tous en tête la figure du harem. Et c'est vrai que c'était une des raisons qui était donnée à l'impérialisme français ou britannique dans le Proche-Orient ou dans le Moyen-Orient, c'était qu'il fallait les libérer, les femmes de ces pays qui étaient maltraitées par leurs époux. Et donc ça a fait dire à une des spécialistes des études subalternes qui s'appelle Gayatri Spivak que oui, il y a cette tendance, white man are saving the brown women from brown men. Les hommes blancs se sentent le droit ou l'obligation d'aller sauver la femme de couleur de l'homme de couleur, alors que peut-être, on devrait commencer par balayer devant notre propre porte. Un exemple de cette difficulté ou de cette propension qu'on a à s'occuper des problèmes des autres plutôt qu'à considérer nos problèmes propres a été donné à l'occasion du débat sur le voile en France, débat long et compliqué qui a fini par se terminer par l'interdiction du voile intégral dans l'espace public en France. Et effectivement, il s'est trouvé que, on avait une assemblée qui était constituée à 80 % d'hommes. Et s'il y en avait autant, c'est parce que, il y avait peu de femmes candidates, mais c'était aussi parce que la loi sur la parité, qui oblige à ce qu'il y ait autant d'hommes que de femmes à l'assemblée n'était pas respectée. Les partis politiques préféraient payer plutôt que de tenter de l'appliquer. Donc on avait une assemblée qui était en un sens très sexiste. Et c'était une assemblée d'hommes blancs, peut-être pas tous individuellement sexistes, mais en tout cas structurée de façon très sexiste, qui se permettait de dire à des autres, c'est-à -dire à des musulmans, ce que eux devraient faire pour faire respecter l'égalité au sein de leur société. Alors c'est pour éviter ce travers que je vous propose, dans le cadre de ce MOOC de travailler ici en Occident sur le quotidien ou le passé de nos sociétés plutôt qu'à aller chercher à critiquer ce qui se passe ailleurs. Et il y a des enjeux, bien sûr en Occident. Tout n'est pas réglé en Occident, la situation des hommes et des femmes n'est pas la même, comme l'illustre ce rapport de l'OCDE publié en 2012, et qui porte sur les inégalités entre les hommes et les femmes. Souligné, il est temps d'agir. Bien sûr il est temps d'agir, et va trouver dans ce rapport un certain nombre de descriptions, d'éléments de mesure entre ces inégalités entre les hommes et les femmes. Un premier exemple que j'ai déjà évoqué en évoquant l'Assemblée nationale française c'est la proportion des femmes dans les grandes assemblées parlementaires. Et donc là vous avez les chiffres pour l'ensemble des pays de l'OCDE. Il n'y en a pas un seul dans lequel il y a plus de femmes députées que d'hommes députés. Le meilleur score, c'est celui de la Suède, qui arrive péniblement à 45 %, mais la moyenne, vous le voyez dans l'OCDE, elle est de 25 % ; 25 % de femmes dans les parlements. Donc on a là bien un phénomène d'illégalité, bien un phénomène de sexisme, qui pose différents types de problèmes. D'une part c'est injuste en soi, et puis ensuite on peut se dire que, avoir un parlement qui est essentiellement masculin eh bien peut-être il y a certains types de problèmes ou certains types de questionnements qui vont être peu posés ou mal posés. Mais on n'arrive pas à cette parité. Cette absence des femmes dans les parlements, c'est aussi une absence de femmes dans la scène publique ou dans l'espace public, qu'on peut comprendre également en termes de géographie. Deuxième exemple donné par ce rapport de l'OCDE, ce sont les inégalités de travail entre les hommes et les femmes. Alors vous voyez sur ce schéma, représenté graphiquement, le nombre d'heures de travail effectuées en plus par les uns et par les autres. En bas, figurées en bleu, ce sont les heures de travail rémunéré, et puis sur la partie supérieure du diagramme, ce sont les heures de travail non rémunéré. Et on s'aperçoit effectivement que systématiquement, le travail rémunéré des femmes est supérieur, non pardon, le travail non rémunéré des femmes est supérieur à celui des hommes, puisque ça va de quelques centaines de minutes pour les pays les plus égalitaires à de l'ordre de 300 minutes pour les pays moins égalitaires. Eh bien ce sont les heures ou les minutes de travail fournies par les femmes en plus de celles fournies par les hommes. Ça se lie ainsi, par exemple dans le cas de l'Inde. Pour ce qui est du travail non rémunéré, les femmes travaillent 300 minutes de plus que les hommes. Et vous avez en-dessous les heures qui sont indiquées pour le travail rémunéré. Et donc on s'aperçoit que les femmes dans l'ensemble travaillent plus que les hommes parce que, elles ajoutent au travail à l'extérieur le travail à l'intérieur, c'est la double peine. Et que du coup, non seulement elles travaillent plus que les hommes mais elles travaillent pour un travail qui est moins rémunéré que les hommes. Elles travaillent plus et elles sont moins payées. Et vous remarquerez donc que ça vaut pour tous les pays de l'Occident. On parle également volontiers d'un plafond de verre. Le plafond de verre c'est cette réalité qui fait que, c'est très dur pour une femme dans un milieu professionnel, une entreprise ou une administration, de réussir à monter dans la hiérarchie. C'est comme si elle buttait sur un plafond invisible, un plafond de verre qui l'empêche de connaître des promotions que ses collègues masculins connaissent plus volontiers. Et ça sera vu par le fait que, au sein d'une entreprise ou d'une administration, plus vous montez dans la hiérarchie, moins il y a de femmes. Alors c'est très bien illustré par ce graphique qui nous a été fourni par les services de l'égalité de l'Université de Genève, où vous voyez de gauche à droite, eh bien on va monter dans la hiérarchie puisqu'on passe des étudiants en première année aux étudiants en thèse aux assistants aux maîtres de conférences aux professeurs. Et vous voyez qu'il y a de plus en plus de bleu, c'est-à -dire de plus en plus d'hommes, et de moins en moins de femmes, c'est-à -dire de moins en moins d'orange, c'est un phénomène de ciseau. On parle également de leaking pipeline, c'est-à -dire de tuyau qui fuit. C'est comme si au fur et à mesure que l'eau s'écoule dans le tuyau, il y a des fuites, mais ces fuites ne concernent que les femmes. Au début on a un liquide qui est un harmonieux mélange d'hommes et de femmes, et puis plus on monte dans la hiérarchie, plus les femmes semblent disparaître par des sortes de fuites. Je suis frappé par le fait que, on est là , enfin c'est des métaphores spatiales. Vous voyez que sur l'illustration qui est choisie par l'OCDE, il y a comme ce gouffre, ce trou entre deux espaces différents. Les femmes ont du mal à se déplacer parce qu'il y a ce problème de ce gouffre entre deux espaces, l'un étant supérieur à l'autre. Et la métaphore du plafond de verre ou du leaking pipeline sont aussi des métaphores géographiques. Alors pour réfléchir sur cela et sur cette géographie, un concept intéressant, en plus de celui du plafond de verre ou du leaking pipeline nous est proposé par un géographe français spécialiste de géographie sociale, qui s'appelle Guy Diméo, et qui écrit en 2011 un livre sur les murs invisibles, sous-titré : Femmes, genre et géographie sociale. Alors qu'est-ce que sont ces murs invisibles pour Guy Diméo? Il nous explique que dans l'espace sur lequel il travaille, c'est-à -dire la communauté urbaine de Bordeaux, eh bien il y a des lieux où les femmes ne vont pas. Où elles ne vont pas pour diverses raisons qui ont trait à la sécurité, à l'impression d'être à sa place, à l'impression d'être bienvenue, et que donc c'est comme s'il y avait des murs dans cette ville qui les empêchent de se déplacer, qui les empêchent d'aller dans un quartier ou dans un autre, et qui limitent leur mobilité. Ces murs sont invisibles dans la mesure où on ne sait pas qu'ils sont là , on ne voit pas qu'ils sont là , mais ils ne sont pas transparents pour autant. Car le quartier qui est d'ailleurs le mur, au fond la femme ne le connaît pas. Elle connaît le mur qui l'empêche d'aller dans ce quartier mais l'opacité du mur l'empêche de savoir ce qu'est la réalité de ce quartier. C'est ce qui distingue le fameux plafond de verre des murs invisibles. Les murs invisibles de Diméo sont des murs dont les hommes ignorent l'existence, dont les femmes n'ont pas forcément non plus une claire conscience, mais qui les empêchent de se déplacer, et qui les empêchent de connaître même certaines parties de l'espace urbain. [MUSIQUE]