[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] Les disparités régionales sont un classique des grands ensembles, des grands espaces et même de tout espace. En Chine, par exemple, il y a un gradient de richesse et de développement décroissant d'est en ouest. Aux États-Unis d'Amérique, les centres sont sur les pourtours du territoire. Au Brésil, c'est la portion sud-est du territoire qui correspond à ce qu'on appelle le nord économique et social. Dans l'Union européenne, comme on le verra dans le premier temps de cette séquence, on trouve bien une logique centre-périphérie, on trouve bien des Nords, c'est-à -dire des espaces développés qui concentrent les centres de décision et les richesses et on trouve bien des Suds, c'est-à -dire des espaces moins prospères, plus inégalitaires, moins développés et qui dépendent de décisions qui sont prises ailleurs. Au sein de l'Union européenne, ces disparités font-elles plus clivage qu'aux USA? Qu'au Brésil ou en Chine? Eh bien, non. Néanmoins, à la différence de ces derniers, l'Union européenne n'est pas un état-nation. Elle est une association volontaire d'états-nations aux héritages, aux langues et aux cultures politiques spécifiques. Comme toute entreprise, la construction européenne est réversible et périssable. Et ce qui pousse depuis un petit demi-siècle les européens à s'associer par-delà ces héritages, pourrait ne plus paraître pertinent un jour. Aussi, bien plus que les disparités socio-spatiales, y a-t-il des divergences au sein de l'Union européenne qui pourraient aboutir à la fin de celle-ci? Et si oui, est-ce que ce serait ces divergences-là qui dessineraient d'authentiques lignes de clivage. C'est à cette question que nous consacrons ensemble le second temps de la séquence. Nous commençons donc par le début. Regardez cette carte du PIB, le produit intérieur brut dans le monde. On voit bien que l'UE et les pays qui la composent sont l'une des régions du monde les plus riches et les plus productrices. C'est d'ailleurs un élément que considèrent les chercheurs quand ils se demandent si les européens influencent le monde ou bien au contraire, si les européens y sont marginalisés. Pour autant, vous le voyez toujours, de nettes disparités socio- économico spatiales caractérisent cette Union européenne. Les grandes disparités sont au nombre de trois : Ouest-Est, Nord-Sud, centre-périphérie. La carte du produit intérieur brut, le PIB, par habitant les dessine très clairement. La disparité Ouest-Est est la plus persistante, peut-être la plus visible, la plus immédiatement perceptible. Dans la quasi-totalité des régions des anciens pays communistes, l'Est, le produit intérieur brut par habitant ne dépasse pas 75 % de la moyenne du PIB par habitant de l'Union européenne. Si vous prenez un tableau du produit intérieur brut par habitant des 28 pays de l'Union européenne. Regardez bien, les dix derniers sont d'anciens pays communistes. Seule la Slovénie, ancien pays de l'Est, fait mieux que le Portugal qui est le moins prospère des pays d'Europe de l'Ouest. La crise actuelle, celle qui commence en 2008, a mis en lumière deux des causes les plus fortes de cette situation. D'une part, leur croissance économique n'est pas tirée par l'innovation et les secteurs technologiques de pointe, d'autre part, ces pays entrés dans l'UE dans les années 2000 ont une économie certes en rattrapage mais largement dépendant des capitaux, des inventions et des centres de décision des entreprises du reste de l'Union européenne. Pour autant, là aussi, jouons sur les échelles. L'observation à l'échelle des pays montre des différences au sein de ce groupe. Regardez, la Bulgarie et la Roumanie sont plus pauvres tandis que la Slovénie et la Pologne, y sont plus riches. Passons maintenant à la seconde disparité qui est une disparité Nord-Sud. La carte du PIB par habitant, à l'échelle des pays, montre clairement ce gradient Nord-Sud au sein de l'Europe de l'Ouest qui est globalement très prospère et dont l'indice de développement humain, l'IDH, est l'un des plus élevés au monde. Les PIBs par habitant du Portugal, de Malte, de Chypre, de Grèce, d'Espagne et d'Italie y sont moins élevés que dans le reste de cette Europe de l'Ouest, comme en témoigne la carte sur le chômage des jeunes actifs. La crise ouverte en 2008 frappe bien plus durement ces pays qu'on vient de nommer 53 % des jeunes actifs, vous vous rendez compte, 53 % des jeunes actifs sont au chômage en Espagne, il sont 57 % en Grèce. Les chiffres que je vous donne sont ceux de 2013-2014. Rapporté à l'ensemble de la population active, la chômage officiel dépasse le quart de la population active dans ces deux pays que sont l'Espagne et la Grèce. Alors que au Luxembourg et en Allemagne, il ne dépasse pas 6 %. Néanmoins, à une échelle plus fine encore, remarquons l'existence de disparités régionales dans chacun des pays. On peut en tirer trois conclusions. Premièrement, chaque économie nationale est elle-même structurée par un couple Nord-Sud, il peut d'ailleurs y avoir des Nords et des Suds au sein d'un même pays, c'est-à -dire en fait, que dans chaque pays, vous avez une articulation entre des régions plus développées, qu'on peut appeler des poumons, et d'autres régions qui sont relativement moins développées mais qui sont irriguées par ces poumons. Ces poumons appelons-les les Nords, eh bien, c'est le deuxième point ici, tous ces Nords sont structurés part un ou plusieurs centres métropolitains qui concentrent et accumulent de plus en plus d'activité, sur un rayon d'action de plus en plus étendu. De plus en plus étendu dans leur pays, à l'échelle de l'Europe et parfois à l'échelle du monde. Deux de ces régions métropolitaines européennes sont en effet des centres d'échelle mondiale, Londres et Paris. Ce sont ces deux régions métropolitaines d'échelle mondiale qui connectent l'ensemble de l'espace européen à l'ensemble de l'espace mondial. L'ensemble de ces Nords dessine un cœur, qu'on appelle un centre, et ce centre est transnational et européen. Il va du grand Londres à la Lombardie. Certains collègues géographes disent même jusqu'à la Vénétie et il passe, il prend en écharpe, vous le voyez, les régions rhénanes et alpines. Alors, on parle de mégalopole européenne, et cette expression quand elle a été forgée dans les années 90, elle a été employée par analogie, avec les deux mégalopoles identifiées par Jean Gottman, ce grand géographe français qui a émigré aux États-Unis, qui avait identifié deux mégalopoles. L'une sur la côte est des USA et l'autre au Japon. La question qui nous intéresse ici c'est la suivante : est-ce que ces disparités socio-économico spatiales créent du clivage? Depuis le début de la crise de la zone euro en 2008, la question s'est vraiment posée. En effet, dans plusieurs pays de ce centre géo-économique, il y a eu un débat sur la légitimité de la présence, dans cette zone euro, de certains pays des Suds au motif que ces états et leurs sociétés se comporteraient comme ce que les économistes appellent des passagers clandestins de la monnaie unique. Vous savez passager clandestin ça veut dire je profite des avantages de la monnaie unique sans en payer les contraintes et le prix. Il y a même eu un débat très sérieux en 2009, en 2010, sur une expulsion de la Grèce. Symétriquement, dans certains pays des Suds, des courants d'opinion ont accusé ces pays du centre, en particulier l'Allemagne, de les mettre sous tutelle en complicité avec la Commission européenne et de leur imposer un diktat économique pour sauver l'euro. Dans l'ensemble, le débat sur la résolution de la crise dans la zone euro est un débat sur quelle politique économique est la plus pertinente. Et ce débat traverse tous les pays, non seulement la zone euro mais même de l'UE. Une solution à deux volets a été adoptée en 2012 par l'Union européenne et cela à l'écrasante majorité des états membres et du parlement européen. Le premier volet, c'est ce qu'on appelle le mécanisme européen de stabilité, en abrégé MES. C'est un fonds de garantie des dettes souveraines et c'est également un fonds par lequel on peut prêter aux états qui n'ont plus la confiance des marchés financiers. Ce fonds, le MES, est abondé par les états membres de la zone Euro proportionnellement à leur PIB, c'est-à -dire à leur richesse. Le deuxième volet, il est décliné dans un nouveau traité, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, TSCG, à qui les journalistes ont donné un petit nom : pacte budgétaire. Les états s'engagent au désendettement. Les états s'engagent à la discipline budgétaire, sous peine de sanctions possibles et acceptées à l'avance. Ce traité confirme et creuse le sillon hors d'eau libérale tracé par les traités de Maastricht sur l'Union économique et monétaire, c'était en 91, et par le pacte de stabilité et de croissance institué dans le traité d'Amsterdam de 1997. Et oui, l'ordo-libéralisme c'est une doctrine politico-économique qui nous vient de l'Allemagne des années 50. Alors, évidement, elle ne plaît pas à tout le monde cette doctrine. Elle ne plaît pas en particulier à ceux qui, d'inspiration keynésienne, du nom de cette économiste, Keynes, qui est pour les politiques de relance, ou bien qui sont d'inspiration souverainiste, c'est-à -dire pour une sortie plus ou moins de l'Union européenne avec un avantage donné à la souveraineté des états. Bref, il y a ceux qui critiquent cette orientation ordo-libérale, notamment parce qu'elle considère parfois qu'elle est inspirée par une vision allemande de l'économie. Il y a même un célèbre sociologue, Ulrich Beck, qui est un sociologie allemand qui est connu pour son illustration et sa défense d'un cosmopolitisme européen, qui a pu en 2013 publier un essai qui s'appelle Non à l'Europe allemande, essai dans lequel beaucoup d'européens se sont reconnus. La crise rappelle donc que l'Union européenne est une association volontaire d'états-nations, les états-nations c'est-à -dire des communautés, des pays si vous voulez, qui se sont historiquement construits sur la croyance de leur peuple en la souveraineté de leurs pays et dans l'importance de leurs territoires nationaux. Or, à la différence d'un état-nation, l'Union européenne n'est qu'un régime politique. C'est une communauté de droit si vous préférez. Elle n'existe cette union que par ses institutions et par ses politiques publiques. Si vous changez le régime en France, que vous passez de la république à la monarchie, de la cinquième à la sixième, il y a toujours la France. Si vous retirez les institutions de l'Union européenne, il ne reste pas de peuple européen. Alors, si l'adhésion à ces institutions européennes et à ces politiques publiques européennes cesse au nom d'une vision alternative de l'intérêt national, eh bien l'objet construction européenne peut disparaître quasiment du jour au lendemain. Différents travaux scientifiques tendent à montrer deux faits. D'une part, l'européanisation des modes de vie est une tendance qui s'inscrit dans la longue durée. Un peu partout en Europe on a tendance à vivre de manière de plus en plus semblable, c'est ça que ça veut dire. D'autre part, cette européanisation des modes de vie elle va de pair avec la persistance de cultures politiques nationales, et chacune de ces cultures politiques nationales dépend d'une hiérarchie particulière des valeurs. Par exemple, chaque pays européen se caractérise par une forte homogénéité à lui-même dans sa tolérance soit aux inégalités soit aux immigrés. Ce n'est là qu'un des exemples qui permet de conclure que les opinions publiques et le débat politique se déploient encore beaucoup plus sur le plan national que sur le plan européen. Bien entendu depuis 1945, au sortir d'un épisode de barbarie inouï, le discrédit durable du nationalisme rend possible la construction européenne. Néanmoins, dans une Union européenne en paix mais dont un grand nombre de pays est en crise structurelle, le poids des cultures nationales pourrait jouer en faveur d'une préférence pour des solutions et des politiques à l'échelle de l'état-nation ce qui aurait pour conséquence une forme de fossilisation de la construction européenne. L'espace de l'Union européenne est notamment structuré par trois grands types de disparité socio-économique. Une première disparité persiste entre sa partie occidentale plus prospère et sa partie orientale moins prospère. La deuxième disparité, elle est entre des nords et des suds et, attention, elle se manifeste à deux échelles, d'une part à l'échelle des pays et d'autre part à une échelle régionale interne aux pays. La crise a révélé que les pays du sud de l'Europe ont des bases économiques plus fragiles que ceux du nord de l'Europe. Néanmoins, la crise a également révélé que dans tous les pays l'écart se creuse entre les nords, c'est-à -dire des régions structurées par la métropolisation qui concentrent le dynamisme et les facteurs de croissance d'une part, et d'autre part des suds moins dynamiques et qui dépendent de ces nords. Enfin, la troisième disparité est une disparité transnationale entre un cœur de l'espace européen qui est un des centres d'impulsion de la mondialisation, et des périphéries européennes. Ces disparités cependant font d'autant moins clivage qu'un processus de convergence et de rattrapage est à l'œuvre à l'échelle de toute l'Europe et puis que l'UE, quand même, demeure en dépit de la crise, un pôle de prospérité à l'échelle du monde. Par contre, dans une Union européenne en paix mais en crise structurelle, le chômage, la très faible croissance, c'est sûr que le poids des cultures nationales peut jouer en faveur d'une préférence pour des solutions et des politiques à l'échelle de l'état-nation, et donc d'une fossilisation de la construction européenne. Une telle évolution serait paradoxale à une époque où cette construction européenne suscite un intérêt et une curiosité grandissants dans de nombreuses régions du monde. [MUSIQUE] [MUSIQUE]