[MUSIQUE] [MUSIQUE] Les réponses que l'Europe apporte aujourd'hui aux défis qu'elle doit affronter dessinent les différents scénarios de son avenir et cet avenir se joue à l'échelle mondiale. Comme organisation régionale d'un type inédit par son degré d'intégration et la variété de ses ambitions, l'Europe fait aujourd'hui l'objet de diagnostiques et d'interprétations qui sont contradictoires. Doit-on et peut-on parler d'une puissance européenne qui aurait selon l'une des définitions de cette notion la capacité d'imposer sa volonté aux autres? Cette puissance, peut-on la mesurer à l'aune des critères habituels? Les critères de la performance économique, commerciale ou financière, de l'influence politique, laquelle est souvent appuyée sur les capacités militaires, ou encore du rayonnement culturel et de l'attractivité d'un modèle de civilisation, que l'on résume parfois sous l'expression de soft power. L'Europe n'est pas un Etat. Dès lors, doit-on comparer terme à terme ses performances avec celles des autres grands pôles régionaux qui structurent aujourd'hui l'espace mondial? Ce qu'il faut considérer ici, ce sont les atouts et les faiblesses de l'Europe, ses succès, ses échecs dans les évolutions actuelles du jeu mondial. S'il y a une puissance européenne, l'examen de ses caractères laisse apparaître des contrastes majeurs propres à conforter les arguments tant des optimistes que des déclinologues. Mais pour déterminer la place, le rôle, l'influence de l'Europe dans le monde, on doit garder à l'esprit qu'elle demeure une mosaïque d'Etats souverains ayant mis en commun une part de leur souveraineté et que l'évaluation de sa puissance relève donc du rapport changeant entre le tout et ses parties. L'Europe comme groupement d'Etats est dotée aujourd'hui d'attributs de puissance dont certains sont sous-estimés et d'autres encore en devenir. Si l'on entend parler aujourd'hui d'un déclin européen, d'un risque de marginalisation de l'Europe face à ses compétiteurs sur la scène du monde, une vieille histoire au demeurant, c'est peut-être que les ressources dont l'Europe s'est dotée sont insuffisamment ou maladroitement exploitées à l'heure de la mondialisation. On entend parfois que la crise financière puis économique survenue en 2008 a révélé des faiblesses structurelles en Europe qui expliqueraient la lenteur de la sortie de crise. Qu'en est-il vraiment sur le temps long? L'Europe prise dans son ensemble reste aujourd'hui le premier pôle économique et commercial du monde. Pour se maintenir, c'est sa compétitivité et ses capacités d'innovation que l'Europe doit entretenir. L'Europe présente aujourd'hui plusieurs faiblesses. D'abord, les européens sont de moins en moins nombreux. La part de l'Europe dans la population mondiale a diminué au cours du dernier demi-siècle de même que celle des Etats-Unis et du Japon. L'Asie est forte certes de ses deux poids lourds démographiques que sont l'Inde et la Chine mais c'est aujourd'hui en Afrique que la croissance démographique est la plus forte. L'Europe est donc moins peuplée mais elle est plus riche. On peut résumer ainsi une tendance que certains géographes ont appelé le déclin doré, golden decline, où la croissance de la richesse disponible par habitant demeure solide. L'Europe demeure aujourd'hui le premier pôle de puissance économique au monde et cette position a été somme toute peu affectée par la crise. L'Europe concentre comme les Etats-Unis 19 % du PIB mondial et elle reste le premier pôle de commerce mondial malgré des échanges qui sont déficitaires avec l'Asie ou avec la CEI. Dernier point, l'Europe conservera-t-elle son statut de poids lourd de la mondialisation économique et financière? On note en effet un recul de la compétitivité de l'Europe dans l'économie mondiale et un tassement relatif des investissements européens dans l'innovation et la recherche comparé aux efforts que produisent les puissances asiatiques. La puissance économique de l'Europe est donc incontestable même si la gouvernance économique mondiale tente à inclure toujours plus les puissances émergeantes ou même émergées comme l'a montré la création du G20. Mais l'Europe est-elle un acteur global au sens plein du terme? Pour parler de puissance européenne, il convient d'évaluer la capacité de l'Union européenne à faire entendre sa voix dans les affaires du monde, à faire connaître ses priorités, voire à les imposer. L'Europe cherche-t-elle seulement à défendre des valeurs ou à faire progresser et à défendre ses intérêts? Et quels sont-ils ces intérêts? L'espace européen continue-t-il d'attirer les hommes et les investissements? L'analyse dite réaliste des relations internationales mesure bien souvent la puissance d'abord par le calcul des capacités militaires. En chiffres absolus, l'Europe réalise 18 % des dépenses mondiales en matière de défense contre 40 % pour les Etats-Unis. Surtout, les évolutions récentes montrent une diminution sensible des dépenses militaires de l'Europe contre une augmentation forte de ces efforts de la part de la Chine et de la Russie. Si l'Europe s'est dotée depuis 20 ans d'une politique de sécurité et de défense commune, ses capacités de projection ne reflètent pas le volume de ses équipements. L'Europe demeure une puissance militaire émergeante dont la crédibilité est limitée par plusieurs choses. D'abord, la suprématie de la décision nationale en matière de défense et de politique étrangère. Ensuite, l'absence d'une doctrine claire exprimant les intérêts européens, laquelle n'a pas été renouvelée depuis la stratégie européenne de défense publiée en 2003. Enfin, dernier point, les incertitudes en matière de gouvernance, notamment dans les rapports entre l'Europe de la défense et l'OTAN. Conséquence de ces limites, l'Union européenne reste un acteur militaire modeste à l'échelle mondiale. Elle est engagée surtout dans des opérations de maintien de la paix ou de sortie de guerre dans les régions de sa périphérie, en Afrique ou en Asie centrale. Si l'on considère les dernières opérations entreprises par la France et la Grande Bretagne en Libye ou par la France au Mali et en République centrafricaine, elles procèdent d'abord d'une décision nationale et impliquent peu les autres européens. Pour illustrer la manière dont l'Europe essaie d'exercer son influence sur la scène du monde, comparons comment l'Europe et la Chine conduisent leurs relations avec les pays du continent africain. Est-ce par exemple par l'aide au développement que l'Union européenne est à même d'exercer une capacité d'influence dans le monde? L'Europe est aujourd'hui le plus important donateur au monde pour le développement, particulièrement en direction de l'Afrique en raison notamment de son passé de colonisateur. Mais cette aide au développement est souvent conditionnée par des réformes politiques ou par des réformes démocratiques. La Chine de son côté a également développé une politique d'investissement et de développement mais celle-ci est fondée sur la stricte poursuite de ses intérêts stratégiques sans poser aucune condition. Il apparaît deux choses. D'abord dans un certain nombre de domaines, l'idée d'une marginalisation de l'Europe dans les affaires du monde reste largement à relativiser. Ensuite, il apparaît que l'Europe ne dispose pas, ou pas encore, de tous les attributs classiques de la puissance en raison même de son mode de gouvernance. Or, si l'Europe a tenu son rang au cours du dernier demi-siècle pourtant marqué par le déclassement d'anciennes grandes puissances européennes comme la France ou le Royaume-Uni, c'est précisément en raison du mouvement d'intégration économique et politique qui se poursuit aujourd'hui. En considérant le poids de l'Europe dans la population mondiale et sa part dans le PIB mondial depuis 1950, on constate que l'Europe dite communautaire s'est maintenue au même niveau. Ce sont ses élargissements successifs qui ont permis à l'Europe d'atteindre et de maintenir une masse critique, 500 millions d'habitants, 20 % de la richesse mondiale, aujourd'hui nécessaire pour compter dans les affaires du monde. Si l'élargissement de l'Europe semble aujourd'hui marquer le pas, néanmoins, l'extension de la zone euro se poursuit puisque seuls 18 des 28 Etats de l'Union européenne utilisent aujourd'hui la monnaie unique. Le succès et la crédibilité de l'euro comme devise de rang mondial est un facteur de puissance indéniable. L'euro représente la deuxième monnaie de réserve et près d'un quart des réserves mondiales de change. Y a-t-il enfin une contradiction dans les termes à vouloir caractériser l'Union européenne comme une puissance dite normative? On emploie parfois aussi le terme de puissance civile. On entend par là la capacité de l'Europe d'influer sur son environnement économique ou géopolitique en s'efforçant de généraliser des règles de comportement qui seraient applicables aux autres Etats. Et ces règles, suivant la définition du politologue Zaki Laïdi, sont négociées plutôt qu'imposées, elles sont légitimées par des instances internationales et elles sont opposables à tous les Etats sans distinction. Dans le domaine du commerce, de l'environnement, de l'aide au développement, les partenaires de l'Europe savent qu'ils doivent composer avec son environnement réglementaire souvent plus exigeant que le leur. La notion de puissance normative fait aujourd'hui débat. Et la capacité de l'Europe à imposer ses normes au reste du monde semble marquer le pas depuis quelques années comme l'a montré par exemple la conférence de Copenhague sur le climat en 2009. On y a vu comme un échec des européens à convaincre leurs partenaires américains et chinois de renégocier un accord international sur le climat. On s'accorde toutefois à voir dans l'élargissement réussi de l'Union à l'Europe centrale et orientale l'une des manifestations concrètes de cette puissance normative de l'Union exercée à sa proche périphérie. En conclusion, loin d'être en voie de marginalisation, l'Europe possède de sérieux attributs de puissance. Mais elle est une puissance incomplète. L'Europe demeure un acteur économique et financier incontournable dans le monde. L'Europe demeure ensuite un acteur diplomatique et militaire mineur à l'échelle globale mais de plus en plus crédible dans sa proche périphérie. L'Europe apparaît enfin comme un acteur atypique dans les relations internationales dont le comportement tend à privilégier le compromis et le contrat sur le simple rapport de force. Reste à savoir si ce contractualisme européen participe réellement de son attractivité. Comment dès lors se représenter l'influence qu'exerce l'Europe sur le reste du monde? Les indicateurs synthétiques utilisés en cartographie ne reflètent pas toujours la réalité perçue mais ils permettent de distinguer plusieurs espaces que l'on peut représenter sur une carte. L'influence de l'Europe est maximale dans la périphérie immédiate, dans un arc qui va de la Turquie à l'Afrique du nord en passant par les Balkans occidentaux. Elle est aussi forte dans une vaste auréole qui regroupe l'Afrique de l'ouest et la Russie mais qui exclut les marges occidentales de l'espace post soviétique ainsi que le golfe arabo-persique. Les pays émergés comme l'Inde et le Brésil retiennent des niveaux appréciables d'influence européenne tandis que celle-ci demeure faible dans les autres pays développés, en Amérique du nord, au Japon, en Australie, avec des valeurs minimales atteintes en Asie orientale. C'est donc sur cet axe asiatique en Chine, en Corée, en Asie du Sud-Est que se posent aujourd'hui les plus grands défis à la puissance européenne. [MUSIQUE]