[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] Traditionnellement, les normes, attitudes et pratiques en vigueur dans une équipe de travail sont régies par la majorité. C'est en effet la majorité qui généralement dispose des meilleures informations et qui est donc normalement la plus à même de remettre des récompenses ou des sanctions. Les travaux de Serge Moscovici en psychologie sociale apportent un éclairage original sur cette question en venant enrichir notre compréhension des phénomènes d'innovation et de changement dans le cadre de relations de groupe. À une vision unilatérale de l'influence qui prévalait jusqu'ici, Moscovici propose une vision plus dynamique et symétrique considérant que tout membre d'un groupe, quelle que soit sa position, est à la fois source et récepteur potentiel d'influence sociale. Selon cette conception, une minorité dans un groupe peut donc aussi conduire à une innovation en introduisant par exemple des modes de pensée ou comportements nouveaux ou en modifiant des visions préexistantes. En particulier, des innovations significatives peuvent se produire lorsque la majorité n'a pas de réponse a priori par rapport à un problème qui lui est posé. Elle peut dans ce cas laisser le champ libre à d'autres initiatives et interprétations. C'est ainsi qu'une minorité, dotée d'un savoir-faire spécifique, pourra dès lors exercer une influence sur la majorité si elle dispose d'une norme de rechange. Elle s'efforcera alors de la faire connaître en adoptant un comportement affirmé et déterminé. Nous sommes alors dans le cas d'une majorité anomique et d'une minorité nomique, où l'innovation va s'opérer par influence minoritaire, mais encore faut-il comprendre comment s'opère une telle dynamique et la façon dont une minorité peut réussir, sans pour autant recourir à la force, à créer de l'innovation qui soit acceptée et reconnue par tous. À l'appui de l'observation et de différentes études de cas, il est possible d'identifier un certain nombre d'actions qui peuvent contribuer à augmenter les chances de succès d'une dynamique collective, source d'innovation. Il convient tout d'abord de valoriser les différences. La dynamique d'un groupe doit dans un premier temps viser à préserver les normes, valeurs et compétences associées aux différents membres de l'organisation ou du groupe de référence. Le management doit notamment veiller à limiter le risque de domination culturelle d'une partie du groupe sur l'autre. Il importe également de développer son esprit d'ouverture. Dans ce type d'approche, il est essentiel de développer une compréhension mutuelle entre les membres d'un groupe. Une façon de favoriser cette compréhension peut être, au-delà des réunions de groupe, d'améliorer la connaissance des profils existants et des compétences à disposition, afin de favoriser les interactions et les échanges entre les personnes. L'objectif ici est de mieux évaluer les futures combinaisons possibles de ressources disponibles qui pourraient être utiles dans le cadre de projets communs. Autre point important, le fait de mobiliser les équipes autour d'un problème d'ordre général d'intérêt supérieur. Si l'on veut favoriser l'intelligence collective et l'innovation, il est essentiel que la coopération entre les membres d'un groupe repose sur des compétences de résolution de problème, d'intérêt général supérieur. Il importe ici de mettre en avant un enjeu concret, réel et légitime, qui pourrait affecter l'avenir de l'équipe, comme par exemple une menace de disparition, un changement d'organisation, une question de survie économique ou d'obsolescence d'activité. Naturellement, ces événements ne sont pas toujours prévisibles ou souhaitables mais ils illustrent la portée du problème où une dynamique de groupe peut prendre forme et se développer. On retrouve ici l'idée de problématisation développée par des auteurs comme Callon et Latour en sociologie de l'innovation. Il s'agit ici de faire prendre conscience à un certain nombre d'acteurs qu'ils sont concernés par un problème d'ampleur et que tous peuvent trouver intérêt à coopérer dans le cadre d'une solution commune. Il convient aussi de favoriser un mode de participation spontanée, consensuelle plutôt que normalisée, en s'intéressant avant tout aux problèmes à résoudre et non pas au processus de résolution. Il s'agit dans ce domaine d'éviter d'appliquer des procédures et techniques existantes qui limitent bien souvent la créativité et donc l'innovation. Autre action utile, le fait d'équilibrer coopération et hiérarchie. Bien qu'il soit indéniable que le succès d'intégration dépende des contributions de chacun, il est nécessaire d'éviter le statu quo. D'ailleurs un processus caractérisé par la recherche de solutions acceptables sous forme de compromis ou de consensus mou, pour éviter les désaccords, peut conduire à des résultats contraires à ceux escomptés. Il est donc essentiel que le nouveau groupe repose sur un système d'autorité unique. Cela ne signifie pas que la majorité doit se comporter comme un conquérant, bien au contraire. Elle doit d'abord assurer la cohérence et fournir un cadre de collaboration. De même, les membres du groupe minoritaire doivent être considérés comme une minorité influente et doivent être intégrés au projet, à l'instar de ce que suggèrent Callon et Latour en matière d'intéressement, lorsqu'ils évoquent l'importance de l'engagement des acteurs dans toute dynamique collective importante et innovante. Autre élément important, admettre ses propres faiblesses pour légitimer les contributions de l'autre. Dans ce type de situation, la majorité doit savoir reconnaître des insuffisances ou des limites pour mener à bien le projet. En effet, c'est la condition indispensable pour qu'une véritable collaboration entre les parties puissent s'opérer et conduire à des initiatives fortes de la part de la minorité. On pourrait ici, en référence aux travaux de Callon et Latour, parler de phase d'enrôlement qui doit notamment permettre aux différents acteurs de pouvoir légitimement se positionner et avoir un rôle, une place, dans la construction de solutions communes. Autre point également à signaler, il est important ici de favoriser les initiatives en matière de dynamique collective. Il est également essentiel de laisser la place aux initiatives de tous et notamment celles de la minorité. La raison principale est d'éviter le risque que la majorité existante domine le reste du groupe et empêche dès lors l'ensemble des participants de contribuer utilement au projet commun. Enfin, il convient de transformer les actions et initiatives en mobilisant l'ensemble de l'équipe ce qui passe notamment par la valorisation de certains acteurs clés représentatifs, issus des différentes sensibilités du groupe. L'objectif est ici de rendre la solution envisagée crédible et légitime par tous pour renforcer le sentiment d'identification et d'appartenance au projet et plus généralement à l'équipe. Ainsi, en matière de dynamique de groupe et d'innovation, il s'agit plus largement de prendre en compte le contexte dans lequel s'inscrit le travail de groupe ou l'équipe. Existe-t-il un problème d'ordre général qui puisse justifier intérêt, enrôlement et mobilisation? Quels sont les modes de relation existants entre les participants? Y a-t-il ou non des positions majoritaires concernant le problème à résoudre? La situation concernée peut-elle laisser prise à certaines actions ou initiatives? À l'appui des travaux en psychologie sociale et en sociologie, la prise en compte de ces dimensions peut permettre d'élaborer une grille utile pour apprécier la nature des relations dans le cadre d'équipe de travail. Elle peut également contribuer à mieux apprécier les chances de créer de l'innovation au sein du groupe concerné.