[MUSIQUE] [MUSIQUE] Dans ce MOOC, nous avons l'ambition d'articuler deux grands domaines qui sont souvent abordés de manière séparée, la variation et le plurilinguisme. Nous avons déjà tenté d'articuler ces deux grandes questions lors d'un colloque qui s'est tenu en 2016 à l'université de Genève, à l'occasion des 125 ans de l'enseignement du français langue étrangère dans notre université. À l'occasion de ce colloque, nous avions invité Daniel Coste qui nous a offert une brillante introduction et ensuite, il nous a offert aussi un article dans la publication qui a suivi le colloque en 2019. Daniel Coste est professeur émérite à l'École normale supérieure de Lyon, mais il a été aussi directeur de l'École de langue et de civilisation françaises, institution que j'ai le bonheur de diriger depuis 17 ans. Nous avons la grande chance d'accueillir Daniel Coste aujourd'hui, pour nous aider à nous engager dans cette articulation entre variation et plurilinguisme, qui est au cœur de ce MOOC. Daniel, merci d'être avec nous. Tu as beaucoup apporté au domaine du français langue étrangère, à la question du plurilinguisme, à la politique linguistique, que ce soit en Suisse, en France, au niveau européen et aussi à l'international. Tu as vu que ce MOOC porte le titre Langues et diversité : de la variation au plurilinguisme, mais dans les faits, dans la chronologie des vidéos, nous abordons le plurilinguisme avant la variation. Est-ce que cette façon de faire finalement se défend? >> Merci Laurent pour cette présentation un peu trop flatteuse à mon avis, mais s'agissant de ta question, on peut se la poser, je crois, en effet. Et en même temps, le fait d'ouvrir tout de suite sur le plurilinguisme a peut-être un effet d'accroche intéressant parce que bon, disons que la notion de plurilinguisme me paraît plus nouvelle peut-être, plus actuelle que celle de variation qui à certains égards au moins dans le domaine linguistique est un peu une histoire ancienne. Donc, le fait d'ouvrir au sens inverse de l'intitulé du MOOC, cela me paraît assez naturel en quelque sorte. En même temps, je crois que ce qui est important, c'est sans doute d'essayer dès le départ de clarifier les deux notions l'une par rapport à l'autre. Je crois que vous parlez de notions en miroir. S'interroger justement sur leur complémentarité, leur articulation, leur dialogue d'une certaine façon. Et pour poursuivre un petit peu à partir de la question que tu poses, je crois que je pourrais revenir sur un petit peu mon parcours personnel par rapport à la notion de plurilinguisme, je crois qu'elle a démarré pour moi sur des thématiques qui étaient plutôt de type politique éducative et politique linguistique, avec un accent porté sur la diversification. L'insistance sur ce que devrait être en quelque sorte des politiques linguistiques et des politiques éducatives notamment, qui fassent en sorte que l'offre de langue, la prise de langue soit plus diverse qu'elle ne tende à le devenir en Europe à bien des égards, que cela ne se réduise pas à une langue étrangère privilégiée, mais qu'il y ait quelque chose qui relève véritablement d'une pluralité dès le départ, pour des raisons multiples sur lesquelles on n'a pas besoin d'épiloguer, mais qui sont je pense toutes très déterminantes. Donc, il y a eu ce point de départ d'une diversification avec tout de suite l'idée que cette diversification de proposer plusieurs langues aux apprenants dans les contextes scolaires notamment, elle était sans doute nécessairement accompagnée par une forme de différenciation de cette offre. Faire en sorte que ce qui est proposé pour l'allemand, ce ne soit peut-être pas tout à fait la même chose que ce qui est proposé pour une autre langue, qui est une diversité dans l'offre elle-même en quelque sorte. Je crois qu'il y a un troisième temps qui a été au-delà de la diversification, au-delà de la différenciation, on pourrait dire, une forme d'intégration. C'est un petit peu ce qui a donné lieu à une notion qui a circulé à ce moment-là de compétence plurilingue, avec l'idée qu'au bout du compte, pour un usager linguistique, la pluralité des langues, cela va prendre la forme de quelque chose qui est une compétence unique, pas simplement une juxtaposition entre différentes langues ou différents plans plus ou moins connus les unes et les autres, mais quelque chose qui est une compétence intégrée où on peut jouer en quelque sorte du répertoire. Parce qu'il me semble que du côté de variation aussi, il faut essayer de complexifier un petit peu les choses. Dans la présentation que tu évoquais tout à l'heure, j'avais essayé d'insister sur à peu près trois niveaux quand même de variation. Bon, il y a la variation linguistique au sens classique du terme, les langues changent, etc., et puis, il peut y avoir des variables qui interviennent dans un énoncé etc. Il peut y avoir aussi un deuxième niveau de variation qui est très, très développé aujourd'hui, qui est celui d'une variation disons sociolinguistique au sens large du terme. Cela peut être d'ailleurs du macro-sociolinguistique, les grandes variations géopolitiques, géolinguistiques. Mais à un niveau plus réduit, on a quelque chose qui relève plus de qu'est-ce qu'il y a comme type de variation. Est-ce que c'est une variation historique justement? Est-ce que c'est une variation de type plutôt social? Est-ce que c'est une variation de type territorial? Enfin bon, tous ces phénomènes-là sont bien étudiés, bien connus aujourd'hui. Et pour moi, c'est un deuxième niveau de ce qu'on peut entendre par variation, dans une perspective didactique aussi, je pense. Et puis, le troisième niveau que j'essaie de thématiser, c'est celui en quelque sorte d'une variation dans le discours lui-même. Le fait qu'on va avoir des phénomènes de reprise par exemple dans une interaction, voire même dans un énoncé individuel, où on reformule, où on paraphrase, etc. Alors, c'est une autre forme de variation, mais je crois qu'il faut les penser ensemble. Et ce qui me paraît caractéristique de ces différentes variations, c'est qu'elles reposent toutes sur un postulat d'équivalence. C'est l'idée que c'est autre chose et en même temps, c'est du même. Jusqu'à un certain point, du même. Il y a des variations linguistiques au sens classique du terme qui sont posées comme étant exactement du même, cela peut être une forme ou cela peut être une autre, mais c'est la même chose. Et les variations discursives, ce n'est pas tout à fait cela non plus. On reformule, mais c'est un petit peu différent. Donc, c'est ce qui m'intéresse un petit peu dans cette mise en relation entre plurilinguisme et variation, avec l'idée au bout du compte que bien sûr, il faut commencer par le plurilinguisme pour des raisons diverses, notamment à l'intérieur d'un MOOC comme celui que vous développez, mais en même temps, il n'y a pas de plurilinguisme s'il n'y a pas de variation. Donc, on a besoin de commencer par le plurilinguisme, mais il faut dire en même temps au commencement, il y a la variation. Donc, je crois qu'il faut tenir les deux bouts. >> C'est intéressant cette dialectique entre le même et l'autre. Et finalement, le plurilinguisme nous montre plus vite l'autre qui est aussi dans la variation finalement et cette notion aussi d'équivalence fait peut-être écho à la notion de continuum qui va être abordée aussi un petit peu plus loin dans le MOOC. Mais finalement, dans ce que tu dis, tu montres bien les enjeux socioéducatifs qu'il y a autour de ces deux notions et c'est vrai que nous avons décidé dans ce MOOC de suivre trois axes, dans un premier temps d'écrire ces deux notions, variation et plurilinguisme, de manière relativement précise, ensuite aborder les questions plutôt sociales autour de la variation du plurilinguisme pour finir par des questions éducatives. Est-ce qu'il te semble finalement que c'est une bonne façon aussi de s'organiser? >> Oui, je crois que bon, c'est dans la logique de la démarche, c'est-à -dire que si on pose que la variation, c'est du matériau en quelque sorte, c'est de la ressource, c'est quelque chose qui peut être utilisé, mobilisé, par des apprenants, par des acteurs sociaux, etc., on a ce jeu entre encore une fois, des ressources qui sont à disposition des locuteurs, qui s'en emparent, avec plus ou moins de succès dans l'accès et dans l'utilisation, mais il y a ces deux phases. Donc, il paraît tout à fait logique de commencer par le linguistique, disons. Qu'est-ce que ce matériau auquel on a affaire? Et puis, de s'interroger dans un deuxième temps sur comment est-ce qu'on le travaille, comment est-ce qu'il est lui-même travaillé dans des contextes sociaux, la diversification que cela peut comporter, notamment du point de vue sociolinguistique. Et puis, à partir de là , qu'est-ce qu'on peut en faire dans une perspective éducative? Donc, Je crois qu'il y a une différenciation progressive qui justifie l'ordre que vous avez adopté. En même temps, je crois que les choses se tiennent de manière assez complexe. On peut par exemple s'interroger sur une des dimensions du rapport entre variations et plurilinguisme, qui est celle de la phonétique, de la dimension phonétique. Ce qui me frappe, c'est que là on est en plein dans la matière engagée. On est vraiment sur le terrain de ce qui a pu donner lieu d'ailleurs à une relation forte au corps. On peut se rappeler d'un point de vue correction phonétique, les appareillages qu'on mettait dans la bouche à la fin du XIXe siècle pour bien mettre en place la langue etc. Il y a toute cette matérialité et cette corporalité en quelque sorte phonétique. Et en même temps, c'est un secteur qui dans le domaine en quelque sorte de la réflexion théorique a abouti à des formes de réduction de la variation. C'est-à -dire que dans le passage entre une réflexion disons sur pour une fois la matière sonore et puis ensuite l'interrogation sur ce que peuvent être en termes un petit peu savants des phonèmes qui neutralisent en quelque sorte, qui se superposent à de la variation en passant à un niveau qui est plus générique, on voit bien qu'il y a ce double mouvement qui est à l'œuvre. Et ce qui me frappe aussi dans cette relation phonétique, c'est que toute la dimension correction est une dimension qui d'une certaine manière aussi bien à l'intérieur d'une langue que dans les rapports entre langues, vise assez largement à réduire la diversité, à faire en sorte que la variation se trouve normée, la bonne prononciation, qu'on soit premier ministre, comme le premier ministre actuel en France avec un accent assez marqué, qu'on soit présentateur à la radio avec nécessité d'oublier en quelque sorte son accent d'origine régionale, ou qu'on soit un apprenant thaï ou un apprenant sud-américain, on est dans des situations comparables où le rapport à la pluralité et à la variation se fait souvent sur le mode de la réduction de la variation, du dépassement de la variation. Et cela a cette conséquence pour le coup sociale qui a été aussi assez travaillée récemment, puisqu'on a pu appeler la glottophobie le fait que la variation linguistique peut être un marqueur stigmatisant, une forme de présentation de soi-même qui vous classe immédiatement dans une catégorie, qui peut être celle du provincial, etc., qui peut être celle de l'ancien colonisé qui est marqué par un certain type de prononciation etc. Je crois que tout cela se tient donc autant, on commence par la linguistique, cela paraît tout à fait normal, autant en même temps, on débouche sur d'autres niveaux qui enclenchent du social, qui enclenchent de la différenciation sociale, qui enclenchent du jugement et de l'évaluation. >> Merci beaucoup Daniel de nous avoir accompagnés de manière aussi riche dans ce moment d'introduction et de nous appeler à une certaine vigilance sur ces deux notions et sur leurs différentes déclinaisons. Nous nous réjouissons de poursuivre la balade avec vous à travers nos différents modules et ces deux notions phares que sont le plurilinguisme et la variation. [MUSIQUE] [MUSIQUE]