Ce module, consiste à étudier la distinction entre complexité et incertitude. En effet, si les deux sont liés, on peut rencontrer des problèmes très complexes sans incertitudes, et des problèmes très incertains, mais peu complexes. C'est la conjonction des deux, complexité et incertitude, combinée à un enjeu important, qui crée la difficulté de la prise de décision. Et donc, la complexité n'est qu'un aspect de la difficulté de décider. Pour ceci, nous allons nous baser sur trois exemples de décision et nous mettre en situation, c'est à dire dans la peau du décideur. Vous courrez, et arrivé sur le quai, le train est là, prêt à partir. Va-t-il à Roissy là ou vous allez prendre votre avion, ou Mitry Claye, l'autre destination du RER? Pas le temps de regarder le tableau d'affichage, la sonnerie retentit, vous montez dans le train ou pas? Est-ce une décision incertaine? Est-ce une décision complexe? Prenez quelques instants pour réfléchir à ces questions. Est-ce une décision incertaine? La destination du train elle, est certaine puisque le conducteur et les passagers savent où ils vont, mais pour vous qui arrivez sur le train, vous l'ignorez, c'est donc inconnu pour vous. Et par extension nous dirons incertain, puisque vous ne connaissez pas avec certitude les conséquences de votre décision, l'évènement qui va se produire, où va le train. Ce qui est certain pour l'un peut donc être incertain pour l'autre, puisque tout dépend du niveau d'information du sujet. L'incertitude dans ce contexte, qui diffère du lancer d'une pièce ou d'un dé, est donc subjective, c'est à dire liée au sujet. De la même façon que, pour la naissance d'un enfant l'évènement c'est un garçon peut être certain pour les parents et le médecin, mais incertain pour les autres. Ici donc, sur notre exemple c'est bien incertain. Deuxième question : est-ce une décision complexe? La réponse est non. Une décision qu'un être humain doit ou peut prendre en trois secondes n'est jamais complexe! Pourquoi? Parce qu'on n'a pas le temps de poser le problème. Quand on n'a que trois secondes pour décider, se fier à son intuition ou choisir au hasard peuvent tenir lieu de décision. Je distingue ceci d'un modèle de décision rentré dans une machine, qui lui, peut prendre une décision, même complexe, parfois en moins d'une secondes. Mais nous parlons bien là d'une décision humaine. Alors, qu'est-ce que poser le problème? C'est un acte humain, uniquement, systématiquement humain. Il consiste à lister les alternatives, définir les critères d'évaluation qui permettent de dire si une solution est bien une solution possible, réalisable et si une solution est meilleure qu'une autre. Le problème de décision devient un artefact, un objet que l'on peut poser sur une table, et qui a des dimensions bien définies, et plus ou moins de dimensions. C'est cette diversité des dimensions qui est reliée à la définition même de complexité. Alors revenons à la définition de complexité, telle que le rappelle Edgard Morin : la complexité vient du latin complexus, tissé ensemble. La complexité d'un système est liée à son degré de diversité. Un système étant un ensemble d'éléments ou parties qui constituent un tout et qui fonctionne avec une relative autonomie. Alors, le système complexe étudié dans la prise de décision, qu'est-ce que c'est? C'est le modèle de choix ou de décision, qui est plus ou moins formalisé, du système de préférences pas ou peu explicité d'un individu, au modèle mathématique avec variables de décision. Et qu'est-ce qui est tissé ensemble dans le modèle de décision? Ce sont les différentes dimensions qui interviennent dans la décision et donc, la diversité qui rend une décision complexe, est liée, à la multiplicité des dimensions. En ce sens, un problème à 10 000 données, n'est pas forcément complexe. C'est le fait que ces 10 000 données se répartissent sur de nombreuses dimensions qui peut le rendre complexe, et c'est souvent le cas. Par exemple, pour un problème de planification de production, les différentes dimensions du problème peuvent être les différents clients, les différents produits, les différents mois où on planifie, les différents pays, les marchés. Nous pouvons avoir plusieurs contraintes de différent type : la disponibilité des matières premières, la satisfaction de demande, le respect de capacité de production, et plusieurs objectifs, critères de performance de différent type : le coût, la qualité de service, le délai, qui sont exprimés dans des unités différentes. Tout ceci crée de la diversité, et donc de la complexité. Quand bien même on considérerait les demandes comme certaines, par exemple si ce sont des commandes. Je vous propose un jeu, où vous jouez à pile ou face, vous gagnez 5 € si c'est pile, vous perdez 2 € si c'est face. Ce jeu est-il incertain? Oui, je ne peux prévoir avec certitude le résultat de l'expérience aléatoire. Ce jeu est-il complexe? La réponse est non, je peux décider d'y jouer en dix secondes seulement. Je vous propose maintenant un jeu qui y ressemble beaucoup, à pile ou face, vous gagnez 500 000 € si c'est pile, vous perdez 200 000 € si c'est face, le même jeu avec les gains multipliés par 100 000. Ce jeu est-il incertain? Oui et pour les mêmes raisons, et même plus risqué, car les enjeux sont bien plus grands. Ce risque accru rend-il le problème plus complexe? Je vous laisse encore quelques secondes de réflexion. La réponse est encore non. Je décide encore en moins de 10 secondes de ne pas jouer à ce jeu qui a 50 % de chances de me faire perdre 200 000 €. Et 90 % des gens se comportent comme moi. Quand bien même l'espérance mathématique de gains est 100 000 fois plus élevée que pour le premier jeu. Je renvoie au cours de théorie de la décision et de finance sur la théorie de l'utilité espérée. Conclusion : une grande incertitude n'implique pas forcément une grande complexité, incertitude et complexité sont des concepts différents. Il y a très peu de diversité dans le jeu que je vous propose : Un gain, une perte, une probabilité de un et demi, trois données. Si en revanche, l'évènement incertain, qui est gagner ou pas son procès, le niveau de la demande quand on lance un produit, est impacté par une grande diversité de facteurs, alors oui, la décision, aller ou pas au procès, lancer ou pas le nouveau produit, est généralement complexe. Et cette condition d'une grande diversité de facteurs ou dimensions, influençant l'évènement incertain, est, dans la vraie vie, souvent vérifiée. D'autant plus que le contexte de décision est de plus en plus global, le périmètre est de plus en plus large, multiples intervenants, zone géographique étendue, plusieurs marchés, plusieurs règlementations, etc... En ce sens, l'incertitude implique souvent la complexité, mais, on peut être complexe sans être incertain, et incertain sans être complexe. Résumons : Quelles sont les trois causes de difficulté d'une décision? La difficulté étant différente de la complexité. Première cause de difficulté : la complexité, la multiplicité des dimensions intervenant dans la décision. Deuxième cause : l'incertitude. L'impossibilité de prévoir avec certitude les conséquences de la mise à exécution de ma décision. Et la troisième cause c'est l'enjeu. L'importance des conséquences pour l'individu, ou pour le groupe qui est impacté par la décision. Les enjeux peuvent être monétaires, humains ou autres. Un chef d'État doit décider si son pays intervient militairement dans un pays étranger en conflit. Est-ce complexe? Est-ce incertain? Je vous laisse le temps de la réflexion. Est-ce incertain? Assurément! Est-ce complexe? Tout dépend du modèle de décision ou de choix, qu'aucune théorie scientifique ne peut revendiquer comme seul et unique système de préférence. Puisque les critères d'évaluation sont nécessairement humains. Comment le chef d'État peut se comporter? Premier cas : Le chef d'État peut vouloir analyser toutes les forces politiques du pays en question, la situation politique, les capacités militaires des un et des autres, l'histoire du pays, les exemples similaires dans le passé, les capacités financières, les risques humains, etc... Et ce sera très complexe. Pourquoi? Parce que beaucoup de dimensions sont enchevêtrées, tissées ensemble, complexus, et les décisions sont liées, interdépendantes. Deuxième cas : il peut aussi tirer au sort sa décision, s'en remettre comme les anciens aux augures, pour les latins, lire dans le vol des oiseaux, à l'oracle, à la Pythie de Delphe, c'est après tout un modèle de décision parmi d'autres qui produit aussi une solution. Et puis, troisième cas, par exemple, il peut décider d'intervenir militairement du seul fait qu'il aurait des intérêts cachés dans l'industrie de l'armement, sans se soucier de toutes les conséquences politiques, humaines, financières, qu'on a vu au premier exemple, à moyen ou long terme de l'intervention. Dans ce cas, il y a peu de complexité, puisque son modèle de décision ne reposerait que sur une seule dimension. Conclusion : pour pouvoir mesurer la complexité, il faut pouvoir poser son problème de décision et identifier, voire même choisir, ses diverses dimensions. Il faut poser un problème, bien ou mal posé, un problème est toujours posé. Quand peut-on poser un problème? Quand on a le temps de le poser. Et pour cela il faut se poser soi-même, contrairement à un problème à traiter en temps réel, qui vous agresse. Alors si je fais maintenant une application au management, concentrons nous sur les décisions de planification, qui sont mon domaine et qui sont en amont de la décision, donc nous avons du temps entre la planification et l'exécution. Combien produire? Combien recruter? Où localiser une usine ou des points de vente? Où localiser le troisième aéroport parisien? Comment répartir ses investissements? Pour ces problèmes-là, quel est le processus de modélisation de notre problème de décision? La démarche consiste tout d'abord, en premier lieu, à lister les dimensions, les choisir, regarder les données, regarder les variables de décision et les contraintes qui définissent l'ensemble des solutions possibles. Et enfin les objectifs et les critères. Et pour ces problèmes de planification, il existe des outils et modèles, permettant de trouver des solutions satisfaisant les critères et les objectifs que vous avez posés, malgré la complexité du problème. C'est une discipline qui s'appelle la recherche opérationnelle. Le plus souvent ce sont des modèles formalisés, des modèles mathématiques, qui grâce aux progrès d'algorithmique et de l'informatique, permettent de résoudre des problèmes avec des milliers, voire des millions de données, en quelques secondes. Ces modèles toutefois, ne sont pas, ou peu adaptés aux décisions politiques, vous l'aurez compris. Dernière conclusion : l'incertitude, comme on l'a dit, accroît souvent la complexité, car les facteurs influençant l'évènement incertain sont multiples, interdépendants, et tissent des dimensions de plus en plus diverses dans le monde d'aujourd'hui, financier, économique, politique, juridique, humain.