La nature de la connaissance, pourquoi faut-il s’interroger sur la nature de la connaissance? Bien entendu, c’est un problème extrêmement important, mais, moi, je veux le traiter surtout du point de vue de nos risques d’erreurs et d’illusions. Et pourquoi? Parce que, toute connaissance, et à commencer par la connaissance perceptive, c'est-à-dire ce que je perçois avec mes yeux, cette connaissance perceptive n’est jamais une photographie, ou l’équivalent d’une photographie de la réalité. Parce que, c’est un processus de traduction, ce sont des photons qui nous arrivent sur la rétine, des stimuli lumineux, et ces stimuli lumineux sont transformés en un code binaire, lequel va emprunter le nerf optique, et suivre pas mal d’opérations très, très complexes dans le cerveau qu’on ne connaît pas très bien, mais il va aboutir à une perception, qui est une reconstitution de la réalité. Et, la perception, peut être une reconstitution fidèle, mais nous devons savoir que dès que nous avons traduction et reconstruction, vous avez un risque d’erreur. D’abord, vous avez un premier risque qui est que, nos sens, mon sens visuel, ne perçoit pas, l’ultraviolet et l’infrarouge. Bon. Alors, donc, il y a beaucoup de choses, lumineuses, qui, qui m’échappent. Mais, il n’y a pas seulement ça, il y a que, dans ce processus de reconstruction, je me sers beaucoup de ma mémoire pour situer un peu l’objet, pour comprendre, pour connaître ce qui se passe. Et, la mémoire elle-même peut être plus ou moins défaillante et me tromper. D’autre part, la moindre perception, quand vous, je parle par exemple dans un amphithéâtre, et qu’il y a les étudiants au premier rang, et d’autres qui sont au dernier rang, mon image rétinienne fait que ceux du dernier rang sont petits par rapport à ceux du premier rang. Mais dans ma conscience, ils ne sont pas petits. Il y a un mécanisme, qu’on appelle la constance perceptive, qui le reconstruit. Mais, par ailleurs, vous savez, vous devez savoir que, qu’il n’y a aucune différence intrinsèque entre une perception et une hallucination. Quand vous avez une hallucination, quand vous avez un être surnaturel qui vous parle comme ça arrive dans beaucoup de religions, on a une impression de réalité, la même que dans la perception. Alors, à ce moment-là, il faut évidemment, des autres personnes qui vous disent si vous êtes hallucinés ou non. Mais, même dans l’acte le plus banal qui consiste à lire son journal, nous savons maintenant, que, notre regard ne suit pas continûment toutes les lettres de la phrase. Il saute par petits paquets de lettres, et reconstitue effectivement, les lettres manquantes à partir du sens des mots. Mais, parfois, il peut y avoir une erreur, une coquille, que mon regard ne perçoit pas. Et il y a beaucoup d’erreurs qui viennent d’états, de sentiments où l’on se trouve, ou même l’état d’émotion. Prenez par exemple, l’autre jour, j’étais dans, je vois une, une devanture de magasin, qui est Au plaisir d’Aubagne. Aubagne, c’est une petite ville du midi de la France. Mais moi, comme j’aime beaucoup l’aubergine, j’y pense souvent. J’ai lu Au plaisir de l’aubergine. Je me dis, bien, c’est très bien ça. Et ce n’est que quand je suis arrivé plus près que j’ai vu que, ce n’était pas l’aubergine. Et, un autre exemple, pour vous dire que l’émotion peut complètement perturber la perception. J’étais à un carrefour, il y avait un vélo d’un côté, une deux-chevaux de l’autre. Et puis, le feu passe au vert. Je vois le vélo passer au vert et la deux-chevaux qui transgresse le sémaphore rouge et qui percute le vélo. Alors je me précipite pour défendre le vélocipédiste. Mais lui-même en se relevant, il me dit, écoutez, non, c’est moi qui suis passé au feu rouge, et la voiture qui m’a heurté, ce n’était pas de sa faute, c’est de ma faute. Mais pourquoi est-ce que je me suis trompé? C’est parce que l’émotion m’a fait voir que c’était le fort qui, effectivement, maltraitait le faible. Et vous savez que, la grande difficulté quand vous avez un témoignage d’un accident d’automobile, ou un témoignage dans un tribunal, la vision différente des témoins, ça ne veut pas dire qu'ils soient, que certains soient de mauvaise foi, nécessairement. Cela veut dire que la vision est différente selon l’angle et selon le sentiment. Il y a un livre très important qui s’appelle Du Témoignage, par un anglais, Norton Cru qui a recueilli des témoignages de combattants de la guerre de 1914, les uns du côté anglais-français, les autres du côté allemand, et les mêmes événements étaient vus de façon tout à fait différente par les témoins. Donc, c’est pour vous dire que ce à quoi, vous pouvez le plus vous fier, c’est-à-dire, ce que j’ai vu de mes yeux vu, il faut dire que même dans ce cas-là, vous risquez une erreur. Et, vous risquez une illusion. Et si vous pensez que, quand vous voulez exprimer ce que vous avez vu, vous dites, j’ai vu une femme qui était folle de joie allant rencontrer son amoureux. Vous êtes obligé, vous traduisez en mots, en phrases, ce que vous avez vu. Mais, peut-être que cette femme qui embrassait son amoureux n’était pas simplement la sœur de ce monsieur et pas la femme. Mais vous avez tout de suite, vous savez qu’un couple a plaisir à s’embrasser, vous pensez ça. Alors, vous traduisez en mots, vous traduisez en phrases, vous traduisez en théories. Toujours traduction et reconstruction. Et alors, effectivement, nous devons interroger la connaissance, pour nous méfier, pour prendre des précautions contre l’erreur et l’illusion. Déjà, un philosophe qui s’appelait, au XVIIIème siècle, qui s’appelait Emmanuel Kant, nous avait dit, quand nous voyons une réalité, nous ne voyons pas, nous voyons les phénomènes qui frappent nos sens mais nous ne voyons pas la vraie réalité de cette réalité. Ce que nous voyons, c’est ce que nos sens traduisent. Et donc, c’est notre traduction que nous voyons, c’est notre relation avec l’objet. Et, donc, ça veut dire que le cerveau, l’esprit humain, joue un rôle très important. Autrement dit, même la connaissance la plus objective, elle-même, elle, elle relève des capacités qu’a notre cerveau de lui donner un cadre logique, de l’inscrire dans le temps, dans l’espace, et cetera. Donc, vous voyez que la connaissance n’est jamais quelque chose de sûr, de brut, de naturel. Vous voyez que la connaissance mérite d’être réfléchie par rapport à l’erreur et l’illusion.