La grande entreprise industrielle a hérité, disons, de l’organisation militaire. Ce n’est pas seulement parce que les, les usines étaient des sortes de, de casernes dans lesquelles, pendant la durée du travail, les, les ouvriers étaient enfermés. Mais c’était aussi la hiérarchie rigide, la décision émanant d’un centre unique et le caractère très compartimenté et spécialisé des, des travailleurs. Donc, si vous voulez, même au-delà de ces entreprises industrielles, il y a un problème d’organisation qui se, qui tourne autour du problème du centre, au problème de la hiérarchie, au problème de la spécialisation. Alors, bon, pour nous, il semble tout à fait évident que, qu’une entreprise doit avoir un centre, c’est-à-dire une tête qui commande, qui sait et qui commande. Vous voyez, avant toute chose, je veux vous faire réfléchir sur le fait que, dans la vie, il y a des organisations qui n’ont absolument pas de centre de commandement, comme par exemple les plantes. Comment les plantes se débrouillent, se, réagissent, aux événements. Eh bien, parce que c’est l’ensemble des cellules qui constituent la plante qui constitue, qui fait en quelque sorte ce travail cognitif qui est l’équivalent d’un cerveau, parce qu’un cerveau est fait de cellules spécialisées, les neurones. Eh bien, dans les plantes, vous avez des, vous n’avez simplement pas de cellules spécialisées, mais c’est l’ensemble. Vous avez des écosystèmes dans la nature qui n’ont pas de centre, c’est les relations antagonistes et complémentaires. Bon, autrement dit, le, l’idée d’une organisation centrique est évidemment, nous semble évidente parce que nous sommes des animaux et nous voyons des animaux avec une tête qui commande, encore que, nous allons le voir, en fait que, par exemple, mon organisme à moi, bon, il fonctionne, il a un centre, la tête, c’est-à-dire qu’il calcule, qu’il pense, c’est-à-dire qu’il, avec les, les jeux entre les neurones, et en plus qu’il influence le reste du corps parce que c’est une glande qui envoie des hormones qui donnent des instructions. L’adrénaline, par exemple, me rend dynamique et nerveux pour affronter, des événements. Donc, si vous voulez, bien sûr se pose la question de, du centrisme. Mais, se trouvait aussi le problème des limites de l’organisation uniquement centralisée. Et là-dessus, il y eu un théorème mathématique, donc de valeur purement formelle mais qui est intéressant. Il examine une situation où vous avez un fantassin qui est dans une tranchée. Et, à un moment donné, il voit un mouvement de l’ennemi qui attaque. S’il obéit aux ordres, aux instructions, le soldat avise le caporal, qui avise le sergent, qui avise le sous-lieutenant, qui avise le lieutenant, qui avise le capitaine. Le capitaine vient au fait de la situation, donne l’instruction au lieutenant, qui la donne au sous-lieutenant, qui la donne au, jusqu’au. Mais un temps considérable est passé pendant lequel l’ennemi peut avoir fait sa percée. Par contre, il est évident que si le soldat a la capacité de réagir et d’aviser directement ses camarades, il y a peut-être une possibilité de réaction. Autrement dit, l’organisation centrique, seulement centrique, n’a pas que des avantages. Il faut la combiner avec quelque chose qui soit polycentrique, et même acentrique, c’est-à-dire c’est ça, à mon avis, et donc qui réserve une part d’initiative. Tout le problème est de savoir comment concevoir cette part d’initiative. Alors, nous avons effectivement, des, des cas de polycentrisme. Prenez, par exemple les sociétés, qu’on appelle les primitives, les sociétés archaïques, elles ont plusieurs chefs différents. Elles ont un chef pour la guerre, elles ont un chef pour la récolte, elles ont un shaman pour s’occuper du surnaturel et des guérisons, elles ont un chef pour la chasse. C’est-à-dire que, ça varie selon le problème à traiter. On peut dire presque que nous avons nous-mêmes des organismes polycentriques parce que le foie s’occupe de certaines choses, les reins d’autres, les poumons, la tête, et cetera. Donc, si vous voulez, la question aussi se pose, les rapports entre centrisme et polycentrisme. Alors, avant d’arriver à cette idée, aller un peu plus loin dans ce sens-là, je vais examiner la question des hiérarchies. En réalité, le mot hiérarchie a deux sens différents. Le premier sens est un sens rigide, c’est-à-dire comme du capitaine jusqu’au soldat, il faut que les choses passent par l’ordre hiérarchique. Mais le deuxième sens, c’est que, là, à partir d’un certain niveau, qui est le niveau par exemple des fantassins, des soldats, il est nécessaire d’établir un nouveau niveau pour qu’il puisse lui-même contrôler et centraliser, et un autre niveau qui. Autrement dit, vous avez des niveaux de hiérarchie qui sont des niveaux de compétence croissante. Et alors, à ce moment-là, la hiérarchie, elle est beaucoup plus compréhensible que les hiérarchies strictement rigides. Mais, cela étant dit, vous avez de même qu’un problème de, d’acentrisme, c'est-à-dire, de ce qui n’obéit pas, de ce qui se fait sans passer par l’obéissance au centre, vous avez le problème de l’anarchie, c’est-à-dire de la part spontanée qui n’obéit pas au règlement. Et, vous avez cette chose très intéressante, c’est que, si vous prenez par exemple un organisme vivant comme le vôtre et comme le mien, il y a ce centre qu’est la tête, il y a ces centres différents que sont nos organes, mais nous avons plusieurs milliards de cellules qui se débrouillent entre elles, qui se donnent des instructions entre elles, notamment par exemple pour pouvoir, les unes, pour pouvoir se suicider pour faire place aux cellules plus jeunes. Il y a toute une part, si vous voulez, anarchique, dans la nature, dans les écosystèmes, dans la vie, et je dirais même, si un organisme obéit strictement au règlement coercitif, cet organisme est obligé d’être paralysé. Par exemple, quand les douaniers font la grève du zèle, ils vont appliquer strictement le règlement, et par là même ils vont paralyser le passage aux douanes. Autrement dit, on arrive à ce paradoxe que tout soit prévu par organisation, finit par paralyser, et il faut combiner hiérarchie, centrisme, anarchie et polyarchie.