Bonjour. alors, la finance, vous aimez? Vous y comprenez quelque chose? Vous avez déjà joué en bourse, gagné de l'argent, perdu de l'argent? Et vous savez pourquoi? Je vous propose d'aborder le thème de la complexité en finance. En évoquant deux notions qui sont centrales : le risque, et l'incertitude. Nous passerons ces deux notions au prisme de la complexité. Plusieurs questions : premièrement, quelle est la différence entre le risque et l'incertitude? Et pourquoi c'est important? Quel éclairage la théorie de la complexité peut apporter pour comprendre l'aléa sur les marchés financiers? De façon très basique, la finance consiste à chercher et à trouver l'argent nécessaire pour réaliser des projets. Pour l'entreprise ce sera trouver le financement d'un investissement pour l'achat d'une machine. Pour un particulier ce sera trouver un crédit pour financer l'achat de sa résidence principale. Les financiers, ceux qui apportent de l'argent, peuvent être des investisseurs, qui achèteront des actions auprès des entreprises, ou plus tard sur les marchés financiers ; ou des créanciers, des banques par exemple, qui fourniront des crédits. Dans tous les cas, le financement repose sur la confiance. La confiance dans l'avenir, la confiance dans la capacité de l'entreprise à rembourser ses dettes aux créanciers, à générer une rentabilité satisfaisante pour les actionnaires. Les financiers anticipent, ou espèrent que ce sera effectivement le cas, que l'entreprise tiendra ses promesses. Mais soyons clair, ce n'est pas toujours le cas. Pourquoi? Parce que l'avenir n'est pas connu, parce qu'il est incertain. Vous le savez comme moi, le futur peut réserver de bonnes surprises, mais aussi de mauvaises surprises. Si les financiers ont confiance en l'avenir, ils ne doivent jamais oublier que l'avenir est risqué. Alors, qu'est-ce que le risque? Le dictionnaire nous dit que c'est l'incertitude sur un événement futur. Pour un client : paiera, paiera pas. Pour un emprunteur : remboursera, remboursera pas. Pour le cours d'une action : montera, montera pas. Quelles sont les différences entre le risque et l'incertitude? Dans le langage commun, on ne fait pas la différence entre les deux termes, ils sont synonymes et interchangeables. Dans le milieu académique, Frank Knight, professeur et fondateur de l'Ecole libérale de Chicago, a été le premier à distinguer le risque et l'incertitude. Dans son livre : Risk, uncertainty and profit, paru en 1921, Knigt fait la différence entre le risque et l'incertitude, au niveau de la compréhension et de la modélisation des événements futurs, et des conséquences pour les entreprises et leurs succès économiques. La modélisation d'un aléa implique de définir les différents événements possibles, et leurs probabilités associées. C'est ce que l'on appelle une distribution statistique. On parlera de risque s'il est possible de quantifier les événements futurs en mettant une probabilité sur chaque événement possible. On dira que le risque est calculable, s'il existe un modèle théorique permettant de calculer ses probabilités. Et on dira que le risque est estimable, si on dispose de données historiques et d'un modèle statistique pour estimer ses probabilités. Par le calcul ou l'estimation, il est alors possible d'associer une probabilité à chaque événement. L'incertitude quant à elle, elle n'est pas quantifiable. En d'autres termes, il n'est pas possible d'associer une probabilité aux événements futurs. Soit parce qu'il n'existe pas de modèle théorique pour faire un calcul, soit parce qu'il n'existe pas de données pour faire une estimation. Illustrons ces concepts avec un exemple très simple, l'exemple du dé. Pour un dé parfait à six faces, un simple calcul mathématique nous dit que la probabilité d'obtenir chaque face est égale à un sixième, pour un dé imparfait, il est très difficile, voire impossible, de faire un calcul exact. Mais si on a pu lancer le dé un certain nombre de fois, la théorie statistique permet d'estimer la fréquence d'apparition de chaque face à l'aide de données historiques. Et plus on aura lancé le dé, plus l'estimation des probabilités sera précise. Mais que peut-on dire d'un dé imparfait, pour lequel on ne dispose pas de données? Rien. Du moins, rien d'objectif, rien de sérieux. Les exemples en finance sont nombreux pour illustrer les situations de risque et d'incertitude. En finance on dispose de bases de données de prix de marché très complètes, on dispose aussi de modèles économétriques très sophistiqués. Dans bien des cas il est donc possible d'estimer le risque avec précision. Citons par exemple les méthodes de scoring pour évaluer le risque de crédits, citons aussi les modèles Garch, pour modéliser la volatilité des cours des actions et des devises. Mais il existe aussi des situations d'incertitudes, par exemple, juste après l'introduction en bourse d'une entreprise, il n'existe pas suffisamment d'historiques de prix de marché pour estimer la distribution des probabilités. Ce fut aussi le cas juste après l'introduction de l'Euro. Si les modèles de risque sont bien développés, il ne faut pas négliger le risque de modèle. En particulier il ne faut pas céder à la tentation de penser que tout peut être modélisable, et que l'incertitude n'existe plus. La crise des subprimes est là pour nous le rappeler. Elle illustre très bien la différence entre le risque quantifiable et l'incertitude. Quand certains pensaient tout pouvoir mesurer, comme la corrélation des défauts des emprunteurs, événement que l'on n'avait en fait jamais pu observer auparavant. Le risque, et plus encore l'incertitude, résultent de l'imperfection que nous avons de la connaissance des événements. Notons qu'au fur et à mesure que nous amassons des observations, des données statistiques, l'incertitude se transforme en risque. L'inestimable incertain se réduit au risque estimable. Comment appréhender la complexité des marchés financiers? Je voudrais vous dire quelques mots du projet Simtrade auquel je participe. Simtrade est un outil pédagogique sur la finance qui propose à la fois des formations, des simulations, et des concours. De façon fictive mais réaliste, vous pouvez passer des ordres de bourse pour acheter ou vendre des actions d'une entreprise, dans le cadre de scénario prédéfinis et reproductibles. Simtrade va simuler non seulement les ordres passés, mais aussi le comportement des autres traders, et des entreprises cotées sur le marché. Prenons la série de simulation Blé de France, elle permet de comprendre les fondamentaux d'une entreprise productrice de blé, et la structure des risques de cette entreprise. La structure des risques renvoie à la dépendance entre les différents risques comme le prix du blé et la quantité de la récolte, dans le cas d'un producteur de blé. La compréhension des risques renvoie aussi aux risques cachés qui reflètent l'incertitude. Selon les risques qui apparaissent vous pouvez observer et participer à l'envol ou à l'effondrement du cours de bourse de la société en très peu de temps. Vous découvrirez alors que l'on ne peut pas tout comprendre, que l'on ne peut pas tout expliquer. Il faut savoir admettre que tous les événements passés ne peuvent être expliqués, que tous les événements futurs ne peuvent être prévus. L'exemple du krach d'octobre 1987 illustre très bien ce point. Aujourd'hui encore, il est toujours aussi difficile d'expliquer la chute de la bourse de Wall Street de plus de 20 % en une seule journée. Les marchés financiers illustrent bien l'origine du terme complexité qui signifie le tissé ensemble. Les marchés sont composés d'innombrables acteurs, avec des objectifs et des stratégies très variés. Il faut comprendre la logique des autres, pour reprendre l'expression de mon collègue et ami Laurent Bibard. Et là, il faut aussi admettre que la compréhension du marché ne peut se réduire à la simple connaissance de ses intervenants. C'est là un autre enseignement de la théorie de la complexité, prônée par Edgar Morin. La simulation de Philippe Magnat par exemple, vous permet de revivre l'une des premières bulles spéculatives et l'un des premiers krachs boursiers. Ce fameux épisode de l'histoire financière s'est produit en 1637 en Hollande. On a observé une véritable folie sur le marché des tulipes. À l'époque le prix d'un bulbe de tulipe dépassait le prix d'une maison. Conclusion : que l'on soit gestionnaire des risques dans une entreprise ou dans une banque, que l'on soit créancier ou actionnaire, que l'on agisse à titre professionnel ou à titre personnel, il est important de détecter, modéliser et gérer les risques. Mais il ne faut pas croire, ou se laisser faire croire, que tous les risques sont détectables, modélisables, gérables. Faites attention au risque de modèle, dans les modèles de risques.