[MUSIQUE] Dans cette séquence, nous allons parler de Hermann Hesse, qui est un des auteurs allemands les plus importants du XXe siècle. Il aura publié en tout environ une soixantaine de romans et d'essais et il se verra décerner en 1946 le prix Nobel de littérature pour l'ensemble de son œuvre. Ce prix sera le couronnement d'une vie d'écrivain qui trouve en réalité son inspiration dans la stimulante atmosphère qui règne alors en Allemagne au siècle précédent. Il est vrai que Hesse est très influencé par le courant des romantiques et tout particulièrement par Goethe, et donc le concept de Weltliteratur que nous étudions dans ce cours résonnera fortement chez Hermann Hesse. Et donc, c'est sans surprise qu'il publie en 1929 la "Bibliothèque de littérature universelle", en allemand "Eine Bibliothek der Weltliteratur", qui est une liste, un catalogue de toutes les meilleures œuvres que l'humanité a pu produire depuis la nuit des temps. Et donc, on va retrouver certains textes qui sont très anciens, comme "L'épopée de Gilgamesh" qu'on trouve en Babylonie, et puis des textes beaucoup plus récents de la Russie du XIXe, comme Dostoïevski par exemple. On va également trouver des contes allemands du Moyen Age et donc quelque chose de vraiment très large comme vision. Donc, cet essai témoigne d'une culture littéraire sans frontières de temps ni de lieu chez l'auteur, et il va nous donner quelque chose vraiment pour nous nourrir et nous inviter à lire un maximum d'ouvrages. La démarche est en effet très différente des habituelles anthologies littéraires. Il veut, dit-il, proposer une critique créatrice et se met en ce sens dans la position de n'importe quel lecteur qui n'obéit désormais plus qu'à ses seules préférences. L'auteur dresse ainsi en toute partialité son catalogue des littératures du monde. En voulant de cette manière établir un rapport stimulant et harmonieux avec l'ensemble de l'humanité, plus qu'un simple héritier, Hesse se présente comme le pur produit de la réflexion goethéenne sur la littérature mondiale. Et donc, on peut diviser le travail de Hesse dans "Eine Bibliothek der Weltliteratur" en deux parties. Tout d'abord, il va donner un catalogue, une liste de toutes les œuvres qu'il juge incontournables de la littérature universelle, de la littérature mondiale, et donc il va avoir un champ de genres et de styles très élargi. Il va pouvoir parler de romans, de pièces de théâtre, de poésies, de textes religieux ou encore de contes. Et malgré cela, il va devoir se montrer intraitable et puis réduire sa liste à un nombre très restreint d'œuvres. Et donc, il va regretter par exemple de ne pas pouvoir retenir Victor Hugo dans sa liste, sans pour autant nous expliquer vraiment pourquoi. Et puis dans un second temps, il va nous faire remarquer la froideur de sa liste, de son catalogue, il va regretter de ne pas avoir pu donner quelque chose qui est plus personnel, quelque chose qui est plus affectif. Et donc, il va nous enjoindre à créer nous-mêmes cette liste et à y intégrer des œuvres qui nous auraient touchés personnellement. Il donne cet exemple pour lui, de la bibliothèque de son grand-père dans laquelle il a découvert plein d'auteurs allemands qui sont un peu inconnus. J'ai les noms ici, Haman, Rabener ou encore Gellert. Et justement, il nous invite à constituer notre propre bibliothèque idéale, à ne pas négliger l'aspect affectif dans notre catalogue, et à lire le plus de livres différents possibles, mais surtout à ne pas lire un livre uniquement parce que c'est un classique. Et donc, s'il est effectivement l'héritier de Goethe de par sa volonté de prôner une littérature avec une dimension mondiale, Hesse est surtout un exemple intéressant pour notre étude parce que de par sa manière d'aborder la littérature, il est en quelque sorte un "Weltschriftsteller", un auteur mondial. Donc, dans ses œuvres mêmes, il intègre cette notion-là . En fait, si on prend d'autres auteurs qui se sont intéressés à la question, par exemple Kundera, il a une réflexion sur la Weltliteratur qui est plus politique ou historique, mais chez Hesse, on va trouver dans les personnages mêmes ou dans les histoires mêmes qu'on nous raconte des liens vers des littératures d'autres parties du monde. Par exemple, dans "Le Loup des steppes", le personnage principal, Harry Haller, va lire du Ostrovski, va lire de la philosophie orientale, va lire des contes allemands, ou par exemple Joseph Valet, dans "Le Jeu des perles de verres", qui va s'intéresser au "Yi Jing", donc le livre de divination chinoise ainsi qu'à d'autres textes d'ailleurs dans le monde, ou pis, dernier exemple, Siddhartha qui est lui-même un exemple de philosophie bouddhique que Hesse a beaucoup lu. L'œuvre de Hermann Hesse est donc l'exemple même d'une littérature qui s'intéresse à l'autre, d'une littérature curieuse et riche, et qui revendique clairement l'apport et l'héritage des échanges culturels. [MUSIQUE]