[MUSIQUE] Bonjour à toutes et à tous. Rappelons le bilan de la leçon précédente. La description du rayonnement émis par un corps noir, comme la surface du soleil, ou le morceau de métal chauffé au rouge, montré sur cette photographie, posait un problème insurmontable aux scientifiques du XIXe siècle. Ceux-ci étaient habitués à raisonner en termes classiques. Or, la physique classique conduisait à des incohérences quand on l'utilisait pour calculer la puissance rayonnée par ces corps. C'est le physicien allemand Max Planck qui va le premier ouvrir la voie vers la résolution de ce problème. Dans sa communication de 1900, il propose une série d'hypothèses audacieuses. Premièrement, les parois du corps en question, quel qu'il soit, sont tapissées d'oscillateurs mécaniques chargés. On ne sait pas à ce stade ce que sont ces oscillateurs, mais pourquoi pas ? Deuxièmement, un oscillateur donné, de fréquence nu, ne peut émettre ou absorber l'énergie lumineuse que par des quantités discrètes, n fois delta E, où n est un nombre entier. C'est vraiment nouveau. D'habitude, en physique classique, les changements d'énergie peuvent être aussi petits qu'on veut. Là , Planck nous dit qu'il y a une valeur minimale delta E à ce changement pour un oscillateur donné, et que tout changement est proportionnel à ce delta E. C'est la première fois en physique moderne qu'apparaît la notion de quantum d'énergie. Troisièmement, maintenant qu'on a posé l'existence d'un quantum d'énergie, que vaut-il ? Planck pose que ce quantum delta E, pour un oscillateur donné, est proportionnel à la fréquence, nu, de l'oscillateur. Examinons de plus près cette troisième hypothèse de Planck. Le quantum d'énergie delta E et la fréquence d'oscillateur nu sont, selon Planck, proportionnels. Planck écrit cette relation sous la forme delta E = h fois nu, où h est la constante de proportionnalité. Cette constante est universelle. C'est la même pour tous les oscillateurs, et la même pour tous les corps noirs. Elle porte le nom de constante de Planck. Les trois hypothèses de Planck associées à la valeur h = 6.63 x 10^(- 34) J.s. permettent de rendre compte de toutes les observations expérimentales sur le rayonnement des corps noirs, quelles que soient leur nature et leur température. Un point de notation avant de continuer. Plutôt que la fréquence nu, on utilise souvent la pulsation oméga = 2 pi fois nu. La relation de Planck devient alors delta E = h barre oméga, où l'on a introduit la constante de Planck réduite, h barre = h / (2 pi) = 1.05 x 10^(- 34) J.s. Après ce point de notation, revenons à la physique et aux hypothèses de Planck. Ces hypothèses étaient bien mystérieuses. Personne ne savait ce que ces oscillateurs pouvaient être. Mais en même temps, elles étaient si efficaces et leurs prédictions si conformes aux observations que personne ne va les critiquer sur-le-champ. Il va falloir attendre cinq ans pour qu'un jeune physicien alors inconnu, Albert Einstein, les remette en cause. Einstein montre que les hypothèses de Planck présentent en fait de graves incohérences. Elles ne peuvent donc pas être justifiées par une théorie digne de ce nom. Mais Einstein ne se contente pas de critiquer les hypothèses de Planck. Il les remplace par une autre hypothèse, encore plus audacieuse, celle des quanta de lumière. Nous n'allons pas détailler ici la réfutation des idées de Planck par Einstein, ce qui nous emmènerait trop loin. En revanche, nous allons nous intéresser à ces quanta de lumière qu'il propose à la place. D'après Einstein, les idées de base de la théorie des quanta lumineux sont les suivantes. Un, la lumière elle-même a des propriétés quantiques. Elle se présente sous forme de grains élémentaires ayant chacun une énergie bien déterminée. Deux, quels sont ces grains, me demanderez-vous ? Pour une lumière de pulsation oméga et de vecteur d'onde k, le quantum de rayonnement a, selon Einstein, une énergie E = h barre oméga, et une impulsion p = h barre k, où h barre est la constante de Planck réduite que nous avons déjà rencontrée. Einstein ne donne pas de nom au quantum de lumière, mais ce quantum sera baptisé plus tard photon, et c'est le nom que nous utiliserons désormais. Comme je l'ai dit, l'hypothèse de Planck n'avait initialement pas soulevé beaucoup d'objections. En revanche, celle d'Einstein va immédiatement être fortement attaquée. En quelque sorte, Einstein appuyait là où ça fait mal. Il mettait sur le devant de la scène un certain nombre de difficultés criantes. L'idée que la lumière soit composée de grains n'était, en tant que telle, pas nouvelle, bien au contraire. Sous cette stèle que l'on peut voir au musée du Louvre, les artistes égyptiens représentaient la lumière comme un faisceau de fleurs multicolores provenant du soleil. Plus tard, Newton a lui aussi été partisan d'une théorie granulaire de la lumière. Mais des progrès considérables avaient été accomplis au XIXe siècle, en particulier l'établissement des équations de Maxwell, que nous avons déjà mentionnées. Par conséquent, les physiciens pensaient avoir définitivement éliminé l'idée d'une lumière granulaire et prouvé au contraire sa nature ondulatoire. Le fait que la lumière est une onde se manifeste, par exemple, dans les expériences d'interférences que l'on peut tous observer avec des bulles de savon. Avec l'hypothèse d'Einstein, les difficultés apparaissaient donc de manière flagrante. Je les transcris en langage moderne, et elles vont nous servir de fil conducteur pour ce qui va suivre. Première difficulté, cette nature granulaire est-elle en contradiction avec l'équation d'onde établie par Maxwell, qui elle est bien continue? Deuxième difficulté, en admettant qu'il n'y ait pas de contradictions, quel est le formalisme qui permet de comprendre cette dualité de la lumière ? Comment la lumière peut-elle être à la fois une onde, et comme le prétend Einstein, une assemblée de corpuscules ? Je vais ajouter ici une troisième question qui ne s'est pas posée explicitement sur-le-champ, mais qui a été sous-jacente dans les années qui ont suivi. Admettons avec Einstein que la lumière, dont on connaît les propriétés ondulatoires, possède également des propriétés corpusculaires. Dans ce cas, est-il possible qu'inversement la matière, dont on connaît les propriétés corpusculaires, possède des propriétés ondulatoires ? En d'autres termes, cette dualité, onde corpuscule, qu'Einstein propose, est-elle valable uniquement pour la lumière, ou s'étend-elle aux autres objets de notre monde physique ? Nous allons commencer en fait par la réponse à cette troisième question, en faisant un saut de presque 20 ans et en nous intéressant à Louis de Broglie. Louis de Broglie, un jeune physicien français, se destinait initialement à une carrière plutôt littéraire. Il avait d'ailleurs passé une licence d'histoire à la Sorbonne en 1910. Mais il fréquentait également le laboratoire de son frère Maurice, plus âgé, dans lequel on étudiait essentiellement les rayons X. Fasciné par ces expériences, Louis de Broglie a décidé de changer de carrière et de se tourner vers la physique, mais en tant que théoricien. Un résumé très court du travail de Louis de Broglie tient en ces quelques mots. À toute particule matérielle de masse m, de vitesse v, et donc d'impulsion p = mv, on peut associer une onde de vecteur d'onde k vecteur = (p vecteur) / (h barre), et donc une longueur d'onde lambda, définie comme 2 pi divisé par le module du vecteur d'onde. Donc, lambda = 2 pi h barre / p, ou encore lambda = h / p. Cette formule lambda = h / p peut être vue comme la formule fondatrice de la physique des ondes de matière. Il est important de réaliser que les équations mathématiques manipulées par de Broglie sont exactement les mêmes que celles d'Einstein. En revanche, les démarches physiques d'Einstein et de De Broglie sont inverses. Einstein part d'une onde, la lumière, dont il connaissait le vecteur d'onde k. Il postule l'existence du quantum de lumière, le photon, et il pose que son impulsion vaut p = h barre k. De Broglie, lui, part du quantum de matière, c'est-à -dire un corpuscule élémentaire comme un électron. Il connaît son impulsion p et il postule l'existence d'une onde associée à ce corpuscule. Plus précisément, il pose que le vecteur d'onde de cette onde de matière vaut k = p / (h barre). C'est un tout petit pas sur le plan mathématique, mais un pas immense sur le plan de la physique. De Broglie a souvent dit qu'il avait été influencé par le vocabulaire qu'il entendait dans le laboratoire expérimental de son frère. On y parlait des rayons X comme d'une combinaison d'ondes et de particules, mais sans formaliser ce double langage. C'est à cette formalisation que de Broglie s'est attaché dans ses articles et dans sa thèse. La thèse de Louis de Broglie, soutenue le 29 novembre 1924, a eu immédiatement un impact profond chez certains grands physiciens de l'époque. Paul Langevin, renommé pour ses travaux sur la relativité, a beaucoup payé de sa personne pour diffuser les travaux de De Broglie. Il a notamment envoyé la thèse de De Broglie à Einstein. Ce dernier fut très intéressé et répondit aussitôt à Langevin : le travail de Louis de Broglie m'a grandement impressionné. Il a soulevé un coin du grand voile. Si vous le voyez, veuillez lui témoigner toute mon estime et ma sympathie. Voilà le genre de compliment qui faisait rêver tous les jeunes physiciens de l'époque. Dans la leçon suivante, nous allons nous attacher à comprendre ce qui se cache derrière cette hypothèse de De Broglie. Nous verrons en particulier comment mettre en évidence les propriétés ondulatoires des particules matérielles.