[MUSIQUE] Bonjour à tous. La transformation de Fourier introduite dans les deux leçons précédentes est un outil universel en physique et en mathématiques. Dans la suite de ce cours, nous l'utiliserons avec des fonctions d'onde, mais on peut aussi s'en servir pour étudier toute fonction dépendant du temps ou de l'espace. Pour illustrer ces notions par un exemple très important, nous allons revenir sur la description des interférences et de la diffraction d'ondes lumineuses. Nous transposerons ensuite ces résultats aux ondes de matière. Comprendre la nature de la lumière est une question scientifique très ancienne, et il y a eu au cours des siècles une alternance de théories qui prétendaient que la lumière était une onde, et d'autres théories qui prétendaient que la lumière était formée de corpuscules. Une étape importante a été l'apparition des premières théories ondulatoires de la lumière. Et c'est Huygens au XVIIe siècle qui a introduit l'idée que la lumière pourrait être une espèce d'ébranlement d'un milieu, analogue à une onde à la surface de l'eau. Le milieu inconnu qui portait cette onde a été appelé éther, et beaucoup plus tard, la relativité restreinte a montré que cet éther n'était en fait pas utile. Mais pour Huygens, il s'agissait surtout de raisonner par analogie avec une onde à la surface de l'eau, et de considérer qu'une bougie par exemple émet un front d'onde lumineux qui se propage dans l'espace. L'idée majeure de Huygens a été de supposer que ce front d'onde peut se décomposer en sources secondaires qui émettent des ondes sphériques, des ondelettes. Le front d'onde est alors l'enveloppe de ces ondelettes, comme l'illustre ce dessin. Cette idée était très originale et très puissante, mais au XVIIe siècle, le calcul intégral n'était pas assez avancé pour pouvoir l'exploiter mathématiquement, et les énoncés de Huygens sont demeurés qualitatifs. Puis au XVIIIe siècle est arrivé Newton, dont l'autorité scientifique était considérable, et qui a affirmé comme Descartes auparavant que la lumière était formée de corpuscules. Les ondes ont donc disparu pendant un siècle, puis sont réapparues au début du XIXe siècle. Et c'est Augustin Fresnel, un polytechnicien, qui a repris les idées de Huygens. Entre temps, on avait découvert le calcul intégral, Fresnel savait très bien s'en servir, et il a compris qu'il pouvait en tirer des résultats très intéressants. Par exemple, considérons un trou dans un écran opaque éclairé depuis la gauche. Quelle va être alors la structure du faisceau lumineux se propageant à droite de l'écran? Pour répondre à cette question, Fresnel a utilisé les idées de Huygens en disant : pour déterminer ce qui se passe à droite, je vais décomposer le trou qu'on appelle la pupille en un ensemble de petites sources, et à chacune de ces sources, on va associer une amplitude de vibration proportionnelle à son aire élémentaire. Je vais donc avoir une amplitude élémentaire, dA de r, formée du produit d'un élément de surface, d 2 r, de l'amplitude qui arrive de la gauche, A0 de r, et d'un facteur de phase, e (i phi de r). Ce facteur prend en compte le fait que l'écran n'est pas forcément sur une surface d'onde, et je vais revenir sur ce calcul tout de suite. En réalisant des expériences avec des pupilles de formes diverses, Fresnel a pu observer des figures de diffraction en parfait accord avec ses calculs. Je vais maintenant illustrer ces notions par quelques exemples, mais je ne vais pas refaire les calculs de Fresnel, car ils ne sont pas très simples, et ils concernent ce qu'on appelle la diffraction à distance finie. On va donc traiter un cas plus simple qu'on appelle la diffraction à l'infini, et dans ce cas, le calcul a été fait par Fraunhofer. On a donc toujours un écran, une pupille de forme quelconque dans l'écran, et on l'éclaire depuis la gauche, et on veut savoir ce qui se passe à droite. Plus précisément, on veut calculer l'amplitude diffractée à grande distance dans une direction particulière repérée par un vecteur d'onde kd. Pour cela, on va appliquer le principe de Huygens-Fresnel en faisant la somme d'ondes partielles émises au niveau de l'écran. On va aussi faire une approximation scalaire en oubliant le caractère vectoriel de l'onde lumineuse. On suppose que l'écran est dans le plan (x,y) avec une transmission T(x,y), et il faut calculer la phase phi de r apparaissant dans l'intégrale. Mais de quelle phase s'agit-il? En fait, quand la lumière se propage le long d'un rayon, une phase kr s'accumule. Donc, on va avoir une phase supplémentaire pour le rayon du haut, à cause de ce petit trajet supplémentaire qui apparaît sur la figure. Il faut donc calculer ce terme de phase, ce qui est facile, car c'est simplement r ki- r kd, que l'on peut noter r delta k. On peut alors expliciter l'intégrale de Fresnel que nous avons déjà vue. En supposant que l'amplitude de l'onde qui arrive de la gauche est uniforme et vaut Ai, on intègre à deux dimensions en faisant apparaître la transparence de l'écran, T de r, et le terme de phase, exp (- i delta k), que nous venons de calculer. On peut donc écrire une intégrale à deux dimensions, une somme sur dx dy de T(x,y), et on remarque que l'expression qui apparaît alors n'est autre que la transformée de Fourier de la fonction T(x,y). La figure de diffraction à l'infini, l'amplitude diffractée est donc la transformée de Fourier à deux dimensions de la transparence de l'écran, qu'on appelle aussi fonction pupillaire. On peut donc dire que la lumière calcule spontanément des transformées de Fourier. Il suffit de la faire passer par une pupille et de regarder au loin, et on observera la transformée de Fourier de la pupille. Cette pupille peut avoir une transparence variable, elle peut aussi introduire un déphasage. Dans tous les cas, la lumière va en donner la transformée de Fourier. Je précise ici quelques notations pour que tout soit bien clair. Pour simplifier, on peut prendre une onde perpendiculaire à l'écran. Les composantes du vecteur d'onde incident ki sont alors 0, 0, k, avec k = 2 pi / lambda. Pour l'onde diffractée dans la direction kd, je peux définir des cosinus directeurs, c'est-à -dire des alpha k, bêta k, gamma k, car le module de k n'est pas modifié par la diffraction. Par contre, sa direction est légèrement changée, et on supposera que les angles alpha et bêta sont très petits. En faisant apparaître ces angles dans l'intégrale écrite ici, on voit que les variables conjuguées de x et de y sont en fait les angles alpha et bêta. On peut aussi écrire ces angles en fonction des composantes transverses des vecteurs d'onde en définissant un plan kx, ky, et on aura alpha = kx / k, et bêta = ky / k. Dans les calculs, on peut indifféremment utiliser soit alpha et bêta, soit kx et ky, et dans la suite, j'utiliserai tantôt l'un, tantôt l'autre. Il faut donc garder en mémoire que parler de kx est équivalent à parler de l'angle de diffraction alpha = kx / k. Ces équations très simples ont de nombreuses applications, et je vais maintenant en présenter quelques-unes. Vous savez tous calculer cette intégrale, et vous savez aussi qu'on trouve un sinus cardinal dont l'expression est rappelée ici, sinc(x) = sin(x) / x, et on a donc le produit de deux sinus cardinaux, l'un pour x et l'autre pour y. Si on veut l'intensité diffractée, on prend le module carré de cette amplitude comme en électromagnétisme, et on trouve l'expression écrite ici. Si on suppose que la pupille n'est pas un trou carré, mais une forme très allongée suivant y, on aura très peu de diffraction suivant y, et on peut considérer seulement la variation en x. Donc, pour une fente de largeur a, on obtient cette distribution d'intensité qui est ce qu'on appelle le lobe de diffraction d'une fente. On voit ici une photo de ce lobe dont la largeur angulaire est de l'ordre de lambda / a, c'est-à -dire de la longueur d'onde divisée par la largeur de la fente. C'est un résultat général et important de ce calcul très simple. Compliquons un peu les choses en mettant deux fentes au lieu d'une, toujours de même largeur a, et séparées d'une distance d. Quand je calcule l'intégrale, je vais avoir deux termes, l'un pour la première fente, et l'autre pour la seconde, avec une différence de phase qui dépend de la séparation d entre les deux fentes. En prenant le module carré, on retrouve la figure de diffraction d'une fente, mais elle est maintenant modulée sinusoïdalement à cause de la présence des deux fentes. On a donc une modulation dans le plan de Fourier, et ce calcul décrit la célèbre expérience des fentes d'Young réalisée à peu près à la même époque que les calculs de Fresnel. L'effet observé ressemble à cela, avec le lobe de diffraction et les franges à l'intérieur. Je vous le montrerai tout à l'heure dans une vraie expérience. Compliquons encore un peu plus en mettant n fentes, toujours de même largeur a, et toujours séparées de d. Il faudra donc ajouter n termes avec des phases différentes, et pour cela semer une série géométrique de raison q = exp (- 2 i pi alpha d / lambda). On sait que cette somme est égale à 1 moins q à la puissance n divisé par 1 moins q, on obtient donc cette expression dont il faut à nouveau prendre le module carré. Quel est alors l'effet observé? Comme on a supposé les fentes toutes de même largeur, et toutes séparées de d, l'effet obtenu avec n fentes est que chacun des pics de transmission va devenir de plus en plus étroit, et d'autant plus étroit que n est plus grand. Cette situation illustrée ici correspond à l'utilisation d'un réseau de diffraction en optique, ou d'une maille cristalline pour les ondes de matière. Nous allons en reparler dans un instant. Ces effets sont bien connus, même en dehors de la mécanique quantique. J'insiste sur eux justement parce qu'ils sont très généraux, et qu'ils doivent faire partie de la culture de base de tout physicien. Les calculs qu'on a faits sont valables pour des ondes lumineuse bien sûr, mais aussi pour des ondes de matière, en remplaçant la longueur d'onde optique par la longueur d'onde lambda égal h sur p, donnée par la formule de De Broglie qu'on a déjà vue de nombreuses fois. La quantité pertinente dans toutes ces expériences est donc la longueur d'onde, et il faut garder en tête que si on a un trou de largeur a et une longueur d'onde lambda, la largeur angulaire du lobe de diffraction est lambda / a. Pour des franges d'interférence, l'interfrange angulaire sera lambda / d. Et il existe d'innombrables applications de ces formules très simples. Bien sûr, pour qu'il se passe des effets significatifs, il faut que lambda ne soit pas trop différent de a. Par exemple, pour un trou d'un dixième de millimètres et un lambda de l'ordre du micron, l'angle de diffraction est d'environ un degré. Et si on veut faire de la diffraction sur des cristaux dont la maille est de l'ordre du dixième de nanomètre, il faut des longueurs d'onde très petites, et on utilisera des rayons x ou des ondes de De Broglie avec des électrons ou des neutrons. Ces techniques sont extrêmement utilisées, par exemple pour analyser les structures cristallines ou moléculaires. Vous savez sans doute que la structure en double hélice de l'ADN a été identifiée à partir d'une expérience de diffraction de rayons x. Pour terminer cette leçon, faisons ensemble un petit quiz très simple. Quelle est la figure de diffraction de cette pupille rectangulaire un peu penchée? Est-ce la figure de gauche ou celle de droite? Réfléchissez vite, les jeux sont faits, rien ne va plus. C'est bien sûr la figure de gauche, puisque la dimension la plus petite correspond à l'angle de diffraction le plus grand. Un autre exemple est la pupille circulaire. La figure de diffraction est alors formée d'anneaux dont les positions sont données par une fonction de Bessel. Nous allons revoir cela dans l'expérience que je présenterai dans la leçon suivante. [MUSIQUE]