[MUSIQUE] [MUSIQUE] Aujourd'hui j'ai pris rendez-vous avec Patrick Luyten, professeur de psychologie clinique à l'université de Leuven, en Belgique, et aussi professeur à University College London où il collabore sur plusieurs travaux avec Peter Fonagy. Les travaux sur lesquels on va se pencher aujourd'hui avec Patrick sont les travaux sur la confiance épistémique, c'est un concept que vous avez vu dans le module 2, avec le professeur Mario Speranza, l'idée que cette confiance qu'on établit, une confiance auprès de notre figure d'attachement et qu'on fait confiance à l'information que nous communique notre figure d'attachement comme étant pertinente à soi et peut-être généralisable dans notre compréhension du monde. Avec Mario on avait parlé de la confiance épistémique dans la relation d'attachement, maintenant on va parler avec Patrick Luyten de la confiance épistémique en psychothérapie. Pourquoi en fait, quelqu'un qui consulte un psychothérapeute devrait faire confiance au psychothérapeute? Comment le psychothérapeute voit le monde? Comment est-ce qu'il comprend la problématique. Et donc on va voir comment ce concept de confiance épistémique s'articule avec la thérapie focalisée sur la mentalisation. Bonjour Patrick! >> Bonjour! >> Alors j'aimerais bien t'entendre justement sur ce mot confiance et en particulier un concept avec lequel tu as beaucoup travaillé, avec les additions de Peter Fonagy notamment, le concept de confiance épistémique. Eh bien, ça peut sembler être un concept difficile mais ça ne l'est pas vraiment. La confiance épistémique, d'abord c’est votre capacité à identifier les informations qui vous sont transmises comme étant pertinentes pour vous-même, qu'elles s'appliquent à vous-même. C'est moi, c'est à propos de moi, c'est significatif, c'est important et tu peux être en mesure de généraliser cette information à un autre contexte, à d'autres situations. Par exemple je te dis que fumer n'est pas bon pour la santé, pour toi, c'est mauvais pour ta santé. Es-tu capable, as-tu la capacité de me faire confiance ? Pas seulement en tant que personne, mais aussi l'information que je te transmets que fumer n'est pas bon pour la santé. Es-tu capable d'identifier cette information comme « elle est pertinente pour moi » ? Est-ce significatif ? Est-ce important pour moi ? Et puis-je peut-être généraliser cela à d'autres types de expériences ou de situations comme manger sainement ou vivre sainement en général. C'est donc une capacité de base qui forme en fait le tissu de base de notre société sociale. Un autre exemple est lorsque tu es en retard pour un train, tu montes dans le train et tu regardes autour de toi et tu dois demander à quelqu'un, c'est le train pour Genève ? A qui fais-tu confiance ? Et si cette personne te dit, oui, c'est le train pour Genève, fais-tu confiance à cette autre personne ? C'est donc une capacité sociale très basique de base si tu veux. >> Donc dans tes exempleson voit rapidement comment ça peut se passer, cette attribution de la confiance, du coup quand tu prends ce concept-là et que tu l'appliques à la situation clinique, psychothérapeutique notamment, comment est-ce que ça se passe, quels sont les éléments, les enjeux? >> Eh bien, c'est très similaire. Quand ce patient vient te voir, ce qui est d'une importance cruciale, c’est est-ce que ce patient est capable de développer ou ou a déjà cette capacité de confiance épistémique en toi en tant que thérapeute. Parce que vous pouvez être un brillant thérapeute, qui a des idées brillantes sur les problèmes des patients, mais si ce patient n'a pas confiance en toi non seulement en tant que personne, mais surtout en la connaissance que tu essaies de lui transmettre, rien ne va se passer. Que vous soyez un thérapeute cognitif comportemental, un thérapeute systémique, un thérapeute psychanalytique, rien ne va se passer. >> Donc il y a un enjeu finalement qui concerne toutes les situations cliniques, avec cette confiance épistémique, tu dirais? >> Exactement. Je pense qu'encore une fois, chaque clinicien peut s'identifier à ce sentiment Tu veux vraiment travailler avec le patient. Et tu as déjà souvent travaillé pendant des semaines ou des mois avec ce patient, mais rien ne change, le patient t’écoute, mais il ou elle n'assimile aucune des informations que que tu essaies de lui transmettre. Et donc il y a une sorte d'écran entre vous et le patient qui semble souvent imperméable. Vous ne pouvez donc pas pénétrer à travers cet écran. Et c'est en fait ce que l'on appelle la vigilance épistémique ou même l'hypervigilance épistémique. Et c'est une sorte d'adaptation que le patient a développé au cours de sa vie pour faire face en fait et pour survivre dans un monde interpersonnel qui est caractérisé souvent par des figures d'attachement peu fiables. Donc de ton point de vue, le patient est difficile à atteindre, mais c'est de ton point de vue, c'est dans l'œil de l'observateur, si tu veux. Du point de vue de la personne, c'est une stratégie d'adaptation très compréhensible. Si tu as grandi dans un monde qui est caractérisé par des abus et négligence, par exemple, il est en fait adaptatif de ne pas faire confiance aux autres, de faire preuve de méfiance épistémique et et même de vigilance épistémique. Parce que faire confiance à une personne dans un environnement dangereux est très dangereux à faire, il ou elle pourrait te trahir. Et c'est en fait ce qui est souvent arrivé à nos patients. Ils ont été trahis par d'autres personnes. Il est donc tout à fait compréhensible qu'ils ne nous fassent pas confiance non plus. Et cette prise de conscience est en fait, à mon avis à notre avis, est immensément utile. Parce qu'elle nous permet de comprendre que souvent la première tâche à accomplir dans la thérapie et le traitement des patients ayant de graves problèmes avec la confiance épistémique est en fait de générer, de développer ce sentiment, cette expérience de confiance épistémique. >> Ce que tu dis là me semble vraiment très utile pour tous les professionnels en santé mentale donc si tu avais quelque chose à leur dire à ce sujet, au sujet de la mentalisation, de ces aspects liés à la dépression, au système de stress, notamment chez les gens qui ont vécu des traumas à la confiance épistémique, pour conclure, qu'est-ce que tu leur transmettrais à ce sujet? >> Eh bien, je pense que ce que nous avons trouvé utile dans cette approche psychopathologie, c'est qu'elle nous a aidés à comprendre de très près, au niveau phénoménologique l'expérience du patient. Et l'approche de la mentalisation en général te permet en fait d'adapter ton traitement à l'endroit où se trouve le patient, dans l’instant, dans la séance et c’est ce qu’on appelle en MBT le micro-séquençage. Donc, nous nous concentrons beaucoup ici sur l'expérience du patient pour générer ou pour développer ou pour favoriser la capacité de mentaliser et pour favoriser cette capacité de confiance épistémique. Parce que c'est ce dont tu as besoin dans tout traitement, que tu sois un thérapeute cognitif comportemental ou encore un thérapeute épistémique ou un thérapeute psychanalytique psychodynamique. Les gens doivent être en mesure, tout d'abord¨ de te faire confiance dans une certaine mesure, particulièrement dans l'information que tu essaies de transmettre explicitement ou implicitement. Mais ils doivent aussi avoir la capacité de réfléchir à ce que vous êtes en train de faire ensemble dans le traitement. Je pense donc que l'approche de la mentalisation peut être massivement utile à tout clinicien, quelle que soit son orientation théorique, précisément à cause de cet accent mis sur ce que nous voyons comme une sorte de concept trans-diagnostic et trans-théorique parce que la mentalisation est ce qui nous rend humain. Ce n'est pas un concept qui est lié à notre capacité limitée à , ou lié à une orientation théorique particulière. C'est une capacité humaine fondamentale sans laquelle nous ne pouvons pas, nous ne sommes pas capables de fonctionner dans un monde social interpersonnel. Merci beaucoup, Patrick, tu arrives vraiment à je dirais, lier la sauce comme on dit en français, et puis peut-être souligner les points de la pertinence finalement de ces concepts qui sont finalement fondamentalement humains. Et donc qui nous concernent tous. Un très très grand merci pour ton temps aujourd'hui, Patrick. >> Merci à vous. [MUSIQUE]