[MUSIQUE] [MUSIQUE] On retrouve désormais à nouveau le professeur Fonagy dans ce module sur la mentalisation dans la vie quotidienne, et puis avec le professeur Fonagy, ce qu'on aimerait avoir comme échange c'est autour du rôle de la mentalisation dans la vie quotidienne, en particulier dans les interactions avec les autres, et de manière de plus générale dans l'activité sociale. Bonjour Peter, merci encore de nous consacrer un peu de temps dans ton emploi du temps chargé. Très heureux. Nous allons parler de la mentalisation, en termes de capacité que nous utilisons tous les jours. D’après toi, quelle est la fonction centrale de mentalisation dans la vie quotidienne ? >> C'est la collaboration et c'est la création d'un moyen pour que nous puissions faire Des choses ensemble qui permettent à deux ou à plusieurs personnes de faire plus que ce qu'elles pourraient faire individuellement. Et c'est probablement pour cela que la mentalisation s'est développée. Et c'est probablement pourquoi nous, en tant qu’ Espèce, avons eu autant de succès. A la base de tout ça c'est le partage des émotions. Ce partage des émotions que nous pouvons faire et que d'autres primates peuvent faire. Les autres animaux peuvent le faire très tôt. Mais il y a quelque chose qui se développe, peut-être à l'âge de neuf mois environ, qui est l'intentionnalité conjointe. Quand les esprits de deux individus s'alignent autour d'un même objectif. Et cette intentionnalité conjointe est probablement enracinée. C'est quelque chose que les autres primates n'ont pas. Les autres primates peuvent probablement faire quelque chose qui s'appelle suivi épistémique c'est-à -dire avoir une idée de ce qu'un autre primate est en train de voir. Ce qu'ils ne peuvent pas faire, c'est relier cela à ce qu'ils voient. Donc l'intentionnalité commune est basée sur l'attention conjointe, savoir que l'esprit de quelqu'un regarde la même chose, le même objet que celui sur lequel mon esprit est concentré ou intéressé. Et à ce stade, nous pouvons reconnaître la potentielle différence de perspectives entre nous deux. Donc nous pouvons partager un objectif mais en même temps avoir des perspectives individuelles. Et le rassemblement conjoint de ces éléments est au cœur de la mentalisation. C'est donc la subjectivité individuelle, la métacognition, la subjectivité perçue, la subjectivité imaginée de l'autre personne et la réalité physique qui font référence. Et quand ces trois choses sont réunies, vous avez quelque chose qui est en quelque sorte magique. Cette intentionnalité commune qui dépend de la reconnaissance de l'autre comme un agent intentionnel, comme quelqu'un qui va suivre son modèle mental pour faire quelque chose. Et cela nous donne une merveilleuse capacité à s'aligner avec les autres, en particulier avec nos pairs. Et nous pouvons nous intégrer dans une culture. Et à ce stade, on peut parler d'une sorte d'intentionnalité collective. >> Okay, alors laisse-moi essayer de voir si j'ai bien compris. Donc, pour toi, la mentalisation a une fonction centrale dans la collaboration, faire quelque chose avec quelqu'un d'autre ou d'autres personnes que je ne pourrais pas faire tout seul, n'est-ce pas ? Ou que nous ne pourrions pas faire séparément. Et pour cela, j'ai besoin de pouvoir à la fois avoir un lien avec ce que je pense, ce qu'ils pensent et qu'en fait nous pensons à la même chose ou un objet de collaboration, c’est ça ? >> C'est ça. Et donc ça nous différencie des autres espèces, en fait. Et c'est comme ça que nous entrons dans un rôle plus collaboratif, peut-être un genre plus élevé de culture sociale, culture sociale que nous pouvons ensuite partager. Et cela nous liera ensemble en faisant des choses ensemble en tant que groupe ou en tant que culture. Est-ce que c'est quelque chose qui est proche de ce que tu dis ? >> C'est très proche de ce que je dis. Mais ce qui pourrait aider ici, c'est de distinguer la métacognition, une influence métacognitive, qui est mon propre processus de pensée, une sorte de mentalisation de premier ordre quand on imagine les pensées et l'intention d'une autre personne, une sorte de suivi épistémique, d'une sorte de mentalisation personnelle de second ordre, quand je peux imaginer une personne imaginant mon propre esprit. Et parce que pour ce genre de rassemblement collectif, je dois voir non seulement comment je les vois, mais comment ils me voient. Et puis nous pouvons arriver à une sorte de mentalisation collective, que nous pourrions l'appeler co-mentalisation, où nous nous conformons aux croyances des autres sur l'état interne d'un autre agent. Il peut donc s'agir d'un objet physique ou ce pourrait être une autre personne. Toi et moi pourrions nous réunir et développer une idée commune sur comment atteindre Pascal, qui n'est pas là heureusement, mais toi et moi pouvons collaborer sur un troisième. Et je suppose que c'est, oui, désolé, Je suppose que c'est important dans les couples aussi, non ? Chez les personnes impliquées dans des équipes ou avec qui on doit aligner ce que je pense, ce qu'ils pensent, mais aussi comment ils me voient et je suppose qu'ils font la même chose. Et une fois qu'on aura fait ça ensemble, alors nous pourrons commencer à aligner le programme ensemble dans un sens. >> Oui, c'est un peu comme la mentalisation collective ou la co-mentalisation, je pense qu'une grande partie de notre culture dépend de ça. Donc sans cela, sans être d'accord socialement sur des règles particulières, principes particuliers, nous ne pourrions pas survivre en tant qu'espèce de société. >> D'accord, alors Peter, une autre chose sur laquelle j'aimerais t'entendre, parce que je pense que c'est un peu lié à beaucoup de choses développées par toi, Patrick Luyten, et un tas d'autres personnes, c'est toute cette importance et l'insistance sur la confiance et des types de confiance. Pourrais-tu nous en dire un peu plus à ce sujet ? >> Eh bien cela suit directement ce dont nous venons de parler, Martin, parce qu'une fois qu'on commence à être ensemble dans un groupe, tu dois choisir tes amis et tu dois savoir qui sont tes ennemis. Et c'est vraiment une condition préalable importante pour que nous survivions en tant que groupe que je puisse m'aligner avec certaines personnes et moins avec d'autres. Maintenant, cette question de confiance est profondément ancrée dans la mentalisation. Parce que l'évolution nous a équipé d’une compréhension que si je sens que mes états mentaux, mon inférence sur mon propre esprit est ce que l’autre semble percevoir, semble reconnaître, quand je détecte cela comme leur modèle de mon esprit, je me retrouve dans ce que nous appelons un mode « Nous ». Et il y a des gens en qui je peux avoir confiance, il y a des gens que je peux croire, il y a des gens dont je dois prendre les informations au sérieux. Et cela nous amène dans un domaine complètement différent. Une fois que je sais à qui je peux faire confiance, à qui je peux me fier pour mes informations, alors je peux réellement apprendre socialement. Je n'ai pas besoin d'apprendre par moi-même à partir de ma propre expérience ou en observant simplement les autres, qui réussissent ou qui échouent. Mais je peux apprendre en écoutant les autres, en écoutant leur histoire parce que je sais que je peux leur faire confiance. Jusqu'à ce que je sache que je peux leur faire confiance, je ne pouvais pas nécessairement les croire parce qu'ils pourraient m'induire en erreur. Parce qu'en fait la survie de leurs gènes et la survie de mes gènes c’est toute une autre histoire. Donc une fois que je sais que je peux leur faire confiance, et je sais que je peux faire confiance parce qu'ils représentent mes pensées et mes sentiments avec précision, je me reconnais. >> Ils te mentalisent avec précision. En fait une fois qu'ils t'auront mentalisé avec précision, alors tu seras prêt à en apprendre plus sur ce qu'ils ont à dire. Est-ce que c'est ce que tu appelles la confiance épistémique ? C’est ça, c’est la confiance épistémique. Et c'est le second souffle de la civilisation. C'est le second souffle parce qu'une fois que je peux apprendre et transmettre des informations à mes enfants, à mes amis de confiance, nous pouvons propager des connaissances d'une manière que nous appelons culture. Et cela différencie notre espèce de de toutes les espèces de la planète et nous permet de nous développer plus rapidement. Alors il faudrait, s’il y avait des pressions de sélection… mais en fait les seules pressions seraient le flux d'informations dans le système, parce que maintenant nous avons une sélection qui passe par une pression sur les idées. Donc les idées survivront et seront transmises si elles valent la peine d'être connues. Donc la culture peut évoluer beaucoup plus rapidement. Et si vous regardez en arrière dans l'histoire humaine, il y a 10 000 ans, quand l'agriculture s'est développée là où nous étions, et pendant 100 000 ans avant cela nous étions des chasseurs-cueilleurs. Mais avec l'agriculture, et l'apprentissage, et l'enseignement mutuel, et le développement d'une culture autour de l'agriculture, nous nous sommes développés beaucoup plus rapidement, ce qui a entraîné beaucoup de mauvaises choses. Mais en fait, parce que nous pouvons nous développer de cette façon, nous pouvons apprendre des choses et inventer des choses et emporter avec nous d'une génération à la suivante, de manière cumulative, des connaissances qui sont de plus en plus sophistiquées, et de plus en plus complexes, et tout ce potentiel peut accélérer réellement et d'une manière positive tout ce que nous avons vu. >> Eh bien, c'est vraiment fascinant parce que nous avons commencé à parler de la façon dont la mentalisation est utile dans la vie de tous les jours. Et vous nous avez amené à considérer, en connectant la mentalisation au fait qu’on peut collaborer, et c'est l'histoire de notre espèce. À travers la mentalisation, nous avons été capables de collaborer, et c’est ce qui fait que ça nous aide à accumuler des connaissances, transmettre des connaissances d'une génération à une autre à travers la culture, et pas seulement à travers les gènes, et c'est ce qui fait le tout. En fait, c'est plus complexe, n'est-ce pas ? Il est aussi question de potentiel de développement et également de développement positif. En tout cas, c'était incroyable de te parler, Peter. Merci beaucoup pour ton temps et pour ton soutien. Nous sommes vraiment reconnaissants. >> Bonne chance. Donc le professeur Fonagy nous a parlé de la fonction de la mentalisation dans la vie de tous les jours et puis en centrant vraiment son propos sur la collaboration. Sur le fait que lorsqu'on pense, bien sûr, on est en contact avec soi mais on est aussi en contact avec la manière dont l'autre nous perçoit, ça nous permet, à deux ou à plusieurs, dans cette activité mentalisante, de commencer à collaborer, c'est-à -dire commencer à se positionner en tant que groupe pour des projets qu'on ne pourrait pas faire seul. Et la mentalisation du coup devient centrale à à la collaboration. Une autre chose que le professeur Fonagy soulignait, c'est que à travers ce processus-là , on peut commencer à partager en fait une culture de l'information, d'une génération à une autre, en toute confiance. Et ce terme de confiance est absolument central. Pourquoi est-ce que la mentalisation est liée à la confiance? Parce que, ce que les recherches ont trouvé, c'est qu'en fait on va faire davantage confiance à quelqu'un qu'on sent qu'il comprend c'est quoi être nous. Qu'il arrive à nous mentaliser. Et dès lors qu'on sent que l'autre arrive à nous mentaliser, on devient plus réceptif à l'information qu'il a à communiquer. Et on parle ici d'un certain type de confiance qui s'appelle la confiance épistémique. Donc il y a toute une évolution, le professeur Fonagy à partir prenons de l'Homo-Sapiens, toute une évolution dans la mentalisation qui nous permet justement d'attribuer notre confiance de manière sélective, de partager des informations et de transmettre ces informations-là d'une génération à une autre. Résultat des courses, aujourd'hui on se retrouve avec une quantité d'informations transmises culturellement qui est énorme, complexe, à laquelle on a accès à travers la culture. Donc cette notion de confiance épistémique va être centrale dans notre prochain module, notamment dans l'application clinique de la mentalisation. [MUSIQUE] [MUSIQUE]