[MUSIQUE] [MUSIQUE] Observer l'Univers peut sembler facile. Il suffit d'attendre la nuit et de lever les yeux vers le ciel. Pourtant, les scientifiques ont inventé des instruments de plus en plus perfectionnés, des lunettes, des télescopes, d'abord sur Terre puis embarqués dans des satellites. Pourquoi avoir recours à des techniques aussi complexes et perfectionnées? L'observation de l'infiniment grand s'est naturellement d'abord développée depuis des observatoires terrestres, ouvrant progressivement la voie vers l'étude d'objets célestes toujours plus lointains, toujours plus faibles, totalement invisibles à l'œil nu. Plusieurs éléments sont à l'origine de ces progrès. Tout d'abord, l'invention de la lunette astronomique et du télescope a modifié fondamentalement notre vision de l'Univers. C'est grâce à ces instruments que Galilée découvre des satellites autour de Jupiter au XVIIe siècle et qu'Herschel identifie une nouvelle planète, Uranus, en 1781. Les miroirs des télescopes optiques atteignent aujourd'hui 10 mètres de diamètre pour les plus grands existant à ce jour. De façon comparable à la pupille de notre œil qui se dilate pour améliorer notre vision nocturne, ces grands miroirs collectent plus de lumière et permettent donc de discerner des détails plus fins et plus faibles venus d'objets plus lointains. Ensuite, grâce à la photographie, les scientifiques ont pu augmenter le temps de collecte de la lumière par rapport à l'observation à l'œil nu. Le contraste est ainsi amélioré, ce qui permet de mieux détecter des objets faibles. Enfin, les techniques de détection sont toujours plus performantes. Depuis un demi-siècle environ, l'observation s'est convertie aux outils numériques, en particulier au moyen de mosaïques de capteurs CCD qui fonctionnent sur le même principe que nos appareils photographiques numériques, mais en bien plus grand. Cependant, l'observation depuis le sol terrestre est intrinsèquement limitée. L'environnement terrestre est perturbé par un certain nombre de phénomènes liés à l'atmosphère, à l'activité humaine, voire à l'activité terrestre elle-même. Si l'atmosphère est transparente dans le domaine du visible et pour certaines ondes de radio, ce n'est pas le cas dans d'autres domaines du spectre électromagnétique tels les rayonnements infrarouges ou ultraviolets. Les molécules de l'atmosphère interagissent facilement avec ces rayonnements et les absorbent donc en grande partie avant qu'ils n'atteignent la surface terrestre. Pour la vie sur Terre, c'est une chance puisque ce filtre atmosphérique nous protège au moins partiellement des conséquences fâcheuses des rayons UV du Soleil mais aussi de rayonnements encore plus nocifs. Mais pour les observations astronomiques, c'est un handicap majeur. Tout comme les nuages ne sont pas transparents et nous masquent les étoiles du ciel nocturne, l'atmosphère nuit à l'observation complète du cosmos. Par ailleurs, les observations sur Terre sont polluées par la lumière des villes ainsi que par les ondes des téléphones portables ou de la télévision. On parle même de pollution lumineuse qui rend les objets faibles, plus difficiles à détecter sur un ciel globalement plus lumineux. La Terre elle-même émet des rayonnements thermiques qui perturbent la sensibilité des instruments au point de les aveugler partiellement. Enfin, pour certains types d'expériences qui étudient la gravitation, il peut être souhaitable de s'affranchir de la gravité terrestre, mais aussi des mouvements des plaques tectoniques qui font vibrer le sol. Ces diverses difficultés peuvent être résolues en plaçant les expériences dans l'espace. Pas de lumière d'origine humaine, pas de rayonnements terrestres, pas de vibrations ni de gravité. Alors, pourquoi ne pas systématiquement envoyer toutes les expériences dans l'espace? C'est d'abord une question de prix. Emporter un instrument massif dans l'espace nécessite des lanceurs extrêmement puissants, ce qui est très coûteux. Mais le coût n'est pas l'unique raison. Une mission spatiale doit se plier à un grand nombre de contraintes d'ordre technologique. Il est très difficile, voire impossible de réparer un instrument une fois qu'il est dans l'espace. Par exemple, en 1990, La NASA lance en orbite autour de la Terre le télescope spatial Hubble, construit en collaboration avec l'ESA, l'Agence Spatiale Européenne. Très rapidement, les scientifiques découvrent que le télescope est moins puissant que prévu en raison d'un polissage défectueux du miroir principal. Eh bien il faudra attendre près de quatre ans avant qu'une lentille correctrice puisse être placée devant le miroir pour corriger la vue floue d'Hubble. Pour des satellites placés en orbite plus lointaine ou qui sont envoyés autour d'autres astres que la Terre, une telle mission n'est pas même concevable. Compte tenu de cette difficulté, les développements en vue de missions spatiales doivent être d'une rigueur extrême, utilisant des technologies testées et qualifiées pour le spatial, afin d'assurer au maximum leur bon fonctionnement durant toute la durée de la mission. Le revers de la médaille, c'est que le spatial ne bénéficie que rarement des technologies les plus modernes. En effet, la préparation d'une mission spatiale se déroule généralement sur plusieurs décennies, les technologies récentes, même si elles sont prometteuses, n'ont pas eu le temps de prouver leur fiabilité. Pour concevoir un satellite, il faut prendre en compte son poids, sa taille, qui sont tous les deux contraints par les capacités du lanceur destiné à le mettre sur orbite. Prenons l'exemple du plus gros lanceur européen, Ariane 5. Il peut placer sur une orbite basse, c'est-à -dire à une distance inférieure à 2 000 kilomètres de la surface terrestre, un satellite de plus 20 tonnes, et sur une orbite géostationnaire, soit à 36 000 kilomètres de la terre, un satellite de plus 10 tonnes. Par ailleurs, l'instrument doit rentrer dans la coiffe du lanceur, et ne peut donc dépasser, pour une Ariane 5, 4,5 mètres de diamètre. On pourrait toutefois se demander, à l'heure de la miniaturisation, quand nos téléphones, appareils photo ou ordinateurs deviennent sans cesse plus petits et plus légers, si ces contraintes sont vraiment si critiques? Eh bien oui, tout d'abord en raison des objectifs scientifiques proprement dits, qui nécessitent des miroirs et des détecteurs dont la taille est un paramètre déterminant pour la précision et la sensibilité de l'expérience ; mais en plus parce que le satellite doit être entièrement autonome une fois lancé. Il doit fournir sa propre électricité, généralement avec des panneaux solaires, il doit assurer sa propre motricité pour pouvoir pointer dans différentes directions du ciel, il faut aussi qu'il s'oriente correctement et qu'il puisse communiquer sans difficulté avec la Terre. Et tout cela sans la moindre défaillance, de sorte que certains systèmes critiques sont même dupliqués pour pallier une éventuelle défaillance des instruments principaux. Le plus gros télescope spatial planifié dans un futur proche est le James Webb Space Telescope ou JWST. Si le miroir reste modeste, 6,5 mètres de diamètre néanmoins, l'exploit réside dans la taille de l'écran qui protège l'instrument du rayonnement solaire. Afin que cet écran de 22 mètres de long par 14 mètres de large rentre dans la coiffe du lanceur, il devra être replié 12 fois sur lui-même pour ne se déployer qu'une fois à destination, un véritable défi. L'une des missions récentes ayant eu le plus d'impact en cosmologie est la mission Planck lancée en 2009 par l'Agence Spatiale Européenne. Le satellite a observé le ciel dans le domaine microonde pendant quatre ans. L'idée était d'étudier le fond diffus coslomogique, un rayonnement électromagnétique datant de 380 000 ans après le big bang ; et en particulier de cartographier les petites fluctuations de températures de ce rayonnement avec une précision de quelques microkelvins. Ces observations ont donné des informations précieuses sur l'Univers primordial. Grâce à Planck, les scientifiques ont pu mesurer les principaux paramètres décrivant la structure globale de notre Univers avec une précision de l'ordre du pourcent. Quelles prouesses technologiques sont à l'origine de cet exploit scientifique? Tout d'abord, il a fallu mettre en orbite un télescope de près de deux mètres de diamètre. Au foyer de ce télescope ont été installés deux instruments ultra sensibles. Chacun observe un domaine spécifique de fréquences électromagnétiques, pour la plupart inaccessibles depuis le sol car elles sont absorbées par l'atmosphère. Aux plus basses fréquences de 30 à 70 gigahertz, l'instrument LFI pour Low Frequency Instrument utilisait des radiomètres capables de capter des rayonnements électromagnétiques dans ces fréquences, et refroidis à 20 degrés Kelvin. De 100 à 850 gigahertz, l'instrument HFI pour High Frequency Instrument utilisait d'autres types de détecteurs, des bolomètres, refroidis, eux, à 100 millikelvins. Cette température très proche du zéro absolu était nécessaire pour mesurer l'échauffement infime des détecteurs produit par l'absorption de photons venus du fond cosmologique. Le fonctionnement à très basse température dans l'espace est une prouesse technologique encore inégalée et qui a conféré aux bolomètres de Planck leur extrême sensibilité. Pourquoi a-t-il fallu utiliser deux instruments? Le signal recherché, celui du fond diffus cosmologique, est contaminé par une impressionnante collection de contributions indésirables. Par exemple les poussières de notre propre galaxie, le rayonnements d'électrons qui se propagent à grande vitesse dans le champ magnétique galactique, ou encore les nombreux objets extragalactiques que sont les quasars, les galaxies infrarouges ou certains amas de galaxies. Et pour distinguer ces différentes émissions et identifier le signal recherché, il est indispensable d'effectuer les mesures dans un grand nombre de plages de fréquences distinctes dans lesquelles les différentes sources contribuent différemment. Planck a ainsi mesuré la température du ciel dans neuf bandes de fréquences, ce qui n'a été possible que grâce à l'utilisation de deux technologies de détection complémentaires et de très haute sensibilité. Nous venons de voir que les chercheurs ne manquent pas d'imagination, mais des contraintes liées à l'activité humaine, à l'atmosphère ou à la Terre elle-même exigent d'envoyer certains instruments dans l'espace. Toutefois, cela n'a rien de simple, et il faut prendre en compte de nombreuses contraintes de coût, d'accessibilité, de dimensions et d'autonomie pour concevoir un satellite comme le satellite Planck ou bientôt le James Webb Space Telescope, capable d'observer l'Univers et de révéler des informations inaccessibles sur Terre. Ces nouvelles informations, complémentaires des observations terrestres, ouvrent sans cesse de nouveaux champs d'analyse et de réflexion pour les physiciens de l'infiniment grand. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]