[MUSIQUE] [MUSIQUE] Selon la théorie du Big Bang, l'Univers actuel est issu de l'expansion brutale d'une quantité d'énergie extrêmement concentrée. Mais comment passer de cet état à l'Univers que nous connaissons, et en particulier, comment la matière ordinaire est-elle apparue? Nous allons voir les différentes époques qui ont marqué l'histoire de l'Univers primordial. Nous allons en particulier nous intéresser au moment où les premiers constituants de la matière ordinaire, comme les protons et les neutrons, sont apparus sous leur forme actuelle, avant de voir comment on peut tester en laboratoire ce moment essentiel de notre histoire. Dans la théorie du Big Bang, on part il y a environ 14 milliards d'années d'un Univers extrêmement énergétique, qui s'étend progressivement. L'énergie, très concentrée au début, se dilue. Il est très facile alors de la convertir en de particules nouvelles qui ne cessent d'interagir et de s'annihiler avec d'autres constituants de cette soupe dense et chaude de particules élémentaires. Au fil de l'expansion de l'Univers, certains de ces processus deviennent prohibitifs et impossibles à réaliser par manque d'énergie. Cela implique que l'Univers passe par plusieurs époques au fil de son histoire, en fonction de l'énergie disponible et des processus dominants. Les premières époques se succèdent en quelques fractions de secondes après le Big Bang. Elles sont les plus énergétiques, les plus éloignées de nos connaissances actuelles, et donc les plus ouvertes à la spéculation. Le premier moment concevable pour nous est l'époque de Planck où sont réunies les quatre interactions fondamentales, à savoir la gravitation, l'interaction forte, l'interaction faible, et l'interaction électromagnétique. Quelques instants plus tard, on entre dans l'époque de grande unification où la gravitation se distingue des trois autres interactions encore unifiées. Puis vient l'époque électrofaible où l'interaction forte se sépare des interactions électromagnétique et faible encore réunies. On peut voir les expériences de physique des particules à haute énergie, par exemple ATLAS et CMS au LHC, comme des tests de cette vision de l'Univers, en particulier de l'époque électrofaible. Cela ne veut pas dire pour autant que les mêmes densités d'énergie sont atteintes ; seulement que nous pouvons tester certains des processus qui ont eu lieu à cette époque. Reprenons notre historique. Quelques instants après le début de l'époque électrofaible se produit une période d'expansion accélérée de l'Univers connue sous le nom d'inflation. Ensuite, les interactions faible et électromagnétique se distinguent l'une de l'autre. Jusqu'à environ une microseconde après le Big Bang, on est cependant toujours face à une soupe de particules élémentaires. En particulier, l'Univers est tellement dense et chaud que les quarks peuvent se propager de façon individuelle. C'est d'ailleurs pour cela qu'on appelle cette époque l'époque des quarks. L'énergie disponible se dilue encore, et les quarks n'ont finalement plus assez d'énergie pour circuler librement. Énergétiquement, il est plus avantageux pour eux de s'assembler pour former des objets composites, les hadrons, comme par exemple des protons et des neutrons. Vers une seconde après le Big Bang, ces hadrons s'annihilent pour une part avec les anti-hadrons produits en quantités presque égales dans cette soupe primordiale de particules. Les hadrons qui ont survécu participent aux premières réactions de fusion nucléaire, au bout de trois minutes et jusqu'à environ 20 minutes après le Big Bang. Ensuite, il faudra des millions d'années pour que ces hadrons capturent des électrons pour former des atomes, puis que ces nuages de gaz s'effondrent sur eux-mêmes pour former les premières étoiles. Les observations cosmologiques et astrophysiques peuvent nous donner des informations précieuses sur la composition et la structure de l'Univers à partir de cette période et jusqu'à nos jours. Dans cette histoire, l'une des transitions les plus complexes à comprendre est celle entre l'époque des quarks libres, et celle des hadrons. Pour se représenter cette transition, on peut faire une analogie avec ce qu'on appelle un plasma. Prenons un gaz fait d'atomes électriquement neutres, et échauffons-le. Sa température augmente, et donc son énergie. Si on dépasse l'énergie de liaison des atomes, l'agitation sera telle que les chocs commenceront à expulser certains électrons de leurs atomes. On dit que le gaz est ionisé. Si on continue à augmenter l'énergie, on finira par se retrouver avec des électrons et des noyaux atomiques très agités. Ce ne sera plus un gaz d'atomes neutres, mais un plasma de constituant chargés électriquement, qui interagissent en permanence sous l'effet de l'électromagnétisme. Ces plasmas électriques apparaissent par exemple au cœur des flammes, lors du passage de la foudre, dans la haute atmosphère terrestre, et dans le Soleil. Quel lien avec les premiers moments de l'Univers? Eh bien d'un côté, nous avons l'interaction électromagnétique, les électrons et les noyaux atomiques ; et de l'autre l'interaction forte, les quarks et les gluons. À basse température et densité, nous avons un gaz d'atomes neutres électriquement, ou bien un gaz de hadrons sans charges sur interaction forte. À haute température et à haute densité, nous avons un plasma électrique, ou bien un plasma de quarks et de gluons avec des constituants libres, chargés sous l'interaction qui nous intéresse. Dans notre environnement, les températures et les densités sont trop faibles pour avoir un tel plasma de quarks et de gluons, mais il est possible d'étudier ce plasma en s'intéressant à des milieux nucléaires denses et chauds, qu'on peut par exemple obtenir lors de collisions énergétiques de noyaux contenant beaucoup de protons et de neutrons. C'est ce qu'on appelle des collisions d'ions lourds. Il faut d'abord être sûr que la collision a augmenté fortement la densité du milieu nucléaire. Il faut que les deux noyaux ne se contentent pas de se frôler, et qu'ils se rencontrent bien face à face. On peut espérer alors qu'un nouveau milieu, différent de la matière nucléaire ordinaire, a été créé pendant quelques instants au cœur de la collision. Mais comme la collision a été effectuée à une vitesse proche de la lumière, le milieu s'étend et se refroidit très vite, et il redevient rapidement un milieu nucléaire, certes chaud, mais relativement ordinaire. Pour savoir si on a bien réussi à recréer pendant quelques instants ce plasma de quarks et de gluons, on peut utiliser des indices indirects. La collision va créer de nouvelles particules en quantité. On peut étudier leur énergie, leur composition, leur répartition dans l'espace, pour mieux comprendre comment elles sont créées, et si elles ont traversé un milieu différent de la matière nucléaire habituelle. Par exemple, l'énergie de collision permet parfois de produire un quark et un antiquark charmés qui peuvent se combiner en un hadron appelé Gypsy. La formation de ce hadron ne se passe pas de la même manière si la paire charme-anticharme se propage dans un plasma de quarks et de gluons libres, ou bien dans de la matière ordinaire faite de protons et de neutrons. Ces tests ont été effectués par des expériences autour de l'accélérateur RHIC, près de New York, et elles sont étudiées à présent par les expérience du LHC, situé au CERN près de Genève, et en particulier par l'expérience ALICE. Pour distinguer les effets venant de la matière nucléaire ordinaire et ceux d'un milieu de nature différente, le LHC effectue régulièrement des collisions entre des noyaux de plomb, qui sont comparées à des collisions entre des protons et des noyaux de plomb, mais aussi entre protons. Les résultats sont d'une interprétation délicate. On observe bien des déviations par rapport à la matière nucléaire ordinaire, et cela suggère un nouvel état correspondant à un liquide de très faible viscosité, s'écoulant très facilement, mais le lien entre ce milieu et le plasma de quarks et de gluons reste encore une question ouverte. Nous avons donc vu que l'Univers primordial a commencé en possédant une énergie extrêmement concentrée qui s'est progressivement diluée au fil de son expansion. Différentes époques se sont succédées, et certaines peuvent être testées par des accélérateurs de particules, ou contraintes par des observations cosmologiques. Nous nous sommes particulièrement concentrés sur la transition entre l'époque des quarks libres et celle des hadrons. Nous avons vu que l'on est alors passé d'un plasma de quarks et de gluons à un gaz de hadrons, des protons et des neutrons. Ce plasma, ce nouvel état de la matière, peut être étudié dans des collisions d'ions lourds, qui ont lieu entre autres au LHC. Si certaines données indiquent que ces collisions engendrent un milieu chaud et dense aux propriétés très particulières, il reste encore beaucoup de travail pour déterminer s'il s'agit bien du plasma de quarks et de gluons des premiers instant de l'Univers. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]