[MUSIQUE] Bonjour. Cette leçon va porter sur la concertation, ou plus exactement sur la façon dont on peut envisager un dialogue entre parties prenantes dans le cadre d'une démarche de planification des mobilités. Nous verrons tout d'abord pourquoi ce dialogue est nécessaire, puis nous envisagerons les diverses acceptions de la notion un peu fourre-tout de concertation. Ces distinctions permettront de constater que les objectifs assignés à la concertations peuvent être variés. Enfin, nous envisagerons différents aspects de la construction d'une démarche de concertation qui éclaireront aussi sur les limites de cet exercice. Nous l'avons vu dans les autres leçons, la mobilité est un fait urbain tout à fait majeur pour la configuration et le fonctionnement des agglomérations. D'abord parce que la mobilité est une activité intermédiaire qui conditionne pour la quasi totalité des populations la réalisation de la plupart des autres activités. Mais la mobilité est aussi un élément déterminant de la configuration de l'espace urbain. Plus largement, la mobilité est fortement consommatrice de ressources. Pour les individus, c'est en moyenne une à deux heures quotidiennes qui lui sont consacrées, et une part non négligeable du revenu des ménages. Elle est également très consommatrice de ressources budgétaires publiques tant en investissements qu'en dépenses de fonctionnement. Enfin, la mobilité est fortement productrice d'externalités négatives, de bruit, d'insécurité, de pollution atmosphérique ou de gaz à effet de serre. Ces quelques rappels de l'importance de la mobilité comme fait urbain doivent aider à réaliser que planifier les mobilités n'est pas un geste technique, même si des analyses expertes doivent venir étayer toute démarche planificatrice. Non, planifier les mobilités est un geste politique. Politique au premier sens du terme puisqu'il s'agit bien là , comme les Grecs l'entendaient, de conduire les affaires de la cité. Ce geste politique, parce qu'il concerne de très nombreux acteurs de la ville, va devoir les impliquer. C'est bien l'objet des démarches de concertation. La concertation, disais-je en introduction, est un mot fourre-tout. Elle sous-entend que l'autorité publique en charge de planifier les mobilités va pour ce faire demander leur avis à d'autres acteurs de la ville. Mais, concertation ne présage ni de la façon dont on va demander ces avis ni de l'usage que l'on va en faire, ni même des questions que l'on va poser. Mais revenons au point de départ. Pour demander son avis à quelqu'un, il faut d'abord l'informer. Selon les cas, on informera la population d'une démarche de planification des mobilités et du fait qu'elle est en cours, on en précisera les enjeux, ou au moins ceux perçus par l'autorité publique, et le cadre. On partagera des éléments sur les études déjà réalisées, on précisera les choix qui ont déjà été arrêtés, et ceux qui restent à faire, et l'on informera aussi sur la procédure de concertation elle-même, sur la façon d'y participer, sur ses objectifs. Cette étape préliminaire d'information est essentielle. Le droit à l'information des populations est d'ailleurs garanti par une convention internationale, la convention d'Aarhus, une ville du Danemark. Cette étape d'information est donc essentielle, car elle détermine la possibilité pour les parties concernées de réagir pour soutenir ou pour s'opposer à des choix les impliquant. Elle est essentielle aussi, car elle conditionne la suite du dialogue. Une information tronquée ou déloyale conduit à une situation conflictuelle. Au contraire, une information partagée et transparente est un élément constitutif de la confiance qui peut s'instaurer entre protagonistes d'un dialogue. Enfin, il faut distinguer l'information de la communication. L'information désigne un contenu suffisamment objectivé et contradictoire pour ne pas relever de l'expression univoque d'un point de vue unique. Quand on informe sur un projet, on en explique les avantages attendus, mais aussi les inconvénients et les difficultés. Certes, cette information doit être mise en forme pour être rendue accessible au public visé, mais cette mise en forme doit veiller à préserver la transparence du contenu. Par communication, au contraire, on désigne une expression plus unilatérale, la valorisation d'un point de vue unique. L'autorité qui communique sur un projet insistera sur ses avantages et utilisera la mise en forme non pas dans un objectif de clarté, mais dans un objectif de persuasion. S'il est légitime qu'une autorité publique communique sur ses choix, cette communication doit donc être nettement distinguée de l'information. Les objectifs de la concertation. Une démarche de concertation peut poursuivre des objectifs plus ou moins étendus, impliquant le public ou les parties prenantes dans un processus plus ou moins ouvert de construction d'un plan de mobilité. La simple information peut parfaitement constituer un objectif en soi. Mais souvent, une démarche d'information inclura une procédure à travers laquelle le public pourra poser ses questions, et obtenir des représentants de l'autorité publique des réponses. Ces séquences de questions-réponses peuvent prendre la forme de séquences publiques, de séances publiques, d'un site Internet plus ou moins interactif, etc. Le degré suivant est celui de la consultation. Sur la base des informations transmises, le public ou ses représentants sont appelés à délivrer leurs avis auprès de l'autorité publique. Dans une consultation, l'autorité publique ne s'engage pas formellement à prendre en compte ces avis, mais a minima elle s'engage à les écouter. Parmi les formes les plus usuelles, mentionnons encore la réunion publique ou le forum Internet, mais aussi les procédures plus formelles telles que l'enquête publique ou le débat d'opportunités. Lorsque la consultation est suivie d'un processus de décision par vote d'une assemblée élue par exemple, les opinions qui pourraient s'exprimer au cours de la procédure consultative trouvent souvent un relai au sein de l'assemblée délibérante. Dans ce cas, sans que la consultation elle-même change de nature, on voit que sa portée et son influence potentielle peuvent être beaucoup plus larges. Enfin, le stade le plus ouvert de la décision est celui de la consultation populaire, sous forme de votation ou de référendum, à travers laquelle le corps électoral est appelé à approuver ou à refuser une proposition. La procédure de vote, au-delà de la participation directe à la prise de décision qu'elle représente, s'accompagne également, pratiquement toujours, d'une phase de débat préalable. Même si le choix final est souvent réduit à une alternative entre le oui ou le non, cette phase de débat permet aussi l'expression d'arguments plus riches, mieux étayés. L'implication des publics dans la prise de décision n'est pas la seule voie de la concertation. Quand la concertation se veut participative, elle ne consiste plus seulement à recueillir les opinions des parties prenantes, voire leur approbation d'une proposition par voie référendaire. La concertation participative consiste à recueillir leurs propositions et leurs suggestions, et parfois même à associer le public à l'élaboration d'une proposition collective. Un premier niveau de participation est alors de recueillir auprès du public l'expression de ses besoins et de ses aspirations. La traduction de ces besoins en propositions étant encore laissée à l'initiative de l'autorité publique. Un niveau plus intense de participation consiste à ouvrir à la discussion la définition des propositions elles-mêmes, dans un processus de co-construction ou de co-élaboration. Dans ce cas, les propositions avancées par l'autorité publique ne sont pas définitives. Elles peuvent au moins être amendées, voire mises en concurrence avec d'autres propositions émanant soit de divers contre-pouvoirs, soit d'un véritable travail collectif mené avec l'ensemble du public consulté. Cette co-construction peut porter sur l'ensemble du projet, ou de façon partielle sur un aspect particulier de celui-ci. On trouve ainsi des dialogues participatifs ouverts très en amont sur les grands objectifs et les principales fonctionnalités à donner à un projet, alors que d'autres sont au contraire dédiés à l'insertion micro-locale d'un projet ou à la prise en compte de besoins très spécifiques. Informer, consulter, faire participer le public donc, oui, mais quel public? Qui sont les acteurs concernés par la planification des mobilités? Quelles sont les parties prenantes qui demandent à être consultées, voire à participer à ces exercices de planification? A priori, nous sommes tous concernés par la mobilité, et donc par sa planification. Cependant, on peut distinguer deux catégories de publics particulièrement actifs dans les processus de concertation. Les porteurs d'intérêts d'une part, les porteurs d'opinions d'autre part. Les porteurs d'intérêts, souvent représentatifs d'un groupe plus large, interviennent dans les débats sur la mobilité parce qu'ils estiment que les choix discutés pourraient menacer ou au contraire renforcer leur intérêt propre ou celui de la catégorie qu'ils représentent. Les commerçants qui veillent à préserver l'accessibilité de leur commerce, les contribuables qui s'opposent à des dépenses publiques qu'ils jugent inutiles Les associations de handicapés, qui défendent l'accès aux transports pour les personnes à mobilité réduite, les riverains qui protestent contre les nuisances d'une infrastructure, tous sont des porteurs d'intérêt, que cet intérêt soit individuel ou collectif. L'intervention des porteurs d'opinion dans les débats sur la mobilité n'a pas comme motivation première la défense d'intérêts identifiés, mais plutôt la promotion d'une vision du monde. Ce fondement est donc de nature idéologique. Les sujets de mobilités suscitent, par exemple, souvent, des engagements militants dans la mouvance écologique, pour lesquels il s'agit de mieux maîtriser nos mobilités au nom d'une conception des relations entre l'homme et l'environnement. De même, les débats sur la tarification et le financement des transports génèrent souvent des prises de position d'inspiration libérale, opposées au financement et à la gestion, publics, des transports. Des principes d'équité, sociale ou territoriale, peuvent encore être le fondement d'options marquées, en matière de mobilité. On peut insister ici sur le fait que, dans nos sociétés, porteurs d'intérêt et porteurs d'opinion sont, les uns et les autres, légitimes, que ce soit au titre de la défense des individus ou de la liberté d'expression. Il n'y a donc pas lieu de fustiger l'égoïsme des premiers ou l'intransigeance des seconds, ils ne sont que l'expression normale de la diversité dans nos sociétés contemporaines. Vous et moi, qui sommes des spécialistes de la mobilité, des experts de ces questions, savons bien que, pour discuter utilement des orientations de long terme et d'une politique de déplacements, il faut disposer d'un niveau d'informations important, Il faut maîtriser des outils d'analyse et de prospective sophistiqués ; bref, nous savons que la planification des mobilités demande des compétences pointues, que l'on ne peut pas demander à l'ensemble de la population ; mais nous savons aussi, désormais, que la planification est un geste politique, et qu'elle demande que soient associés des acteurs très diversifiés, qui ne disposent pas tous de nos compétences, souvent parce qu'ils en possèdent d'autres, des compétences d'usage en particulier. La concertation sur la planification des mobilités, comme souvent sur les sujets complexes à fort impact sociétal, se trouve confrontée à cette injonction paradoxale de conserver un haut niveau de technicité tout en rendant les questions traitées accessibles à tous. C'est la rencontre de l'expertise et du public dont il va être question dans cette diapositive. Cette rencontre paradoxale renvoie d'abord à l'importance de l'information comme fondement d'une démarche de concertation, ainsi que nous l'avons déjà énoncé. Elle montre en particulier que l'exigence d'accessibilité et de transparence ne s'applique pas qu'aux données factuelles mais aussi aux outils de mesure qui permettent de les obtenir, et aux outils d'analyse. Mais cette transparence ne va pas de soi, elle demande un véritable effort pour traduire les outils dont, nous, les experts, disposons, en termes simples mais rigoureux ; et il faut reconnaître aussi que cette transparence représente une forme de mise en danger pour l'expert, qui va devoir expliciter ses hypothèses, revenir sur l'explication de choix techniques admis depuis longtemps, prendre le risque de rendre apparentes des approximations. Plus fondamentalement, cette transparence de ses outils, qui plus est dans le cadre d'une concertation où l'on demande son avis au public, constitue une mise en cause du pouvoir de l'expertise, et elle appelle à sa redéfinition. D'un rôle d'expert, prescripteur de solutions, la concertation pousse à définir un nouveau rôle d'expert, facilitateur et accompagnateur de dialogue, qui saura se positionner comme interface entre l'expression publique et les outils sophistiqués. La concertation pose aussi la question de la façon dont l'intervention du public trouve sa place dans l'arène de la décision publique. Cette rencontre du public et du politique n'est pas plus facile que celle du public et de l'expertise. La concertation, nous l'avons vu, est en effet nécessaire à l'élaboration des politiques publiques de mobilité. Mais dans le même temps, elle vient, forcément, interférer avec le processus délibératif de nos démocraties représentatives. De façon sans doute un peu caricaturale, la question peut être posée en termes simples. Qui a le dernier mot, les élus locaux ou les citoyens impliqués dans un dispositif participatif? Dans la réalité, le partage des prérogatives entre le public et les élus est, généralement, à l'initiative de ces derniers, soit à travers un encadrement législatif ou règlementaire, soit à travers des initiatives locales, ou ad hoc, concernant un dossier particulier. De même, il est rare que la décision finale, surtout si elle implique un engagement budgétaire, échappe au processus habituel de décision politique. Mais certaines législations ouvrent la possibilité des référendums ou de votations décisionnelles. De fait, et c'est surtout dans les situations les plus conflictuelles, dans le cadre de rapports de force, que le politique peut se voir imposer un processus participatif qu'il n'aurait pas forcément souhaité. Dans ces contextes, où le politique est plus ou moins volontaire, l'imbrication des rôles du public et des élus peut prendre des formes très variables selon la profondeur de la concertation, selon le niveau d'élaboration des propositions issues de la concertation, selon aussi la façon dont le politique se sera engagé à prendre en compte la parole du public. Il peut par exemple simplement tolérer la tenue d'une réunion publique, venir écouter, proposer d'y contribuer, s'engager à répondre et à dialoguer, demander à recueillir les résultats d'une réflexion collective, et les propositions qui en émanent, il arrive même que la décision finale soit laissée à un processus participatif. Quoi qu'il en soit, cette articulation du politique et du public est complexe, parfois délicate, souvent chronophage. Elle implique aussi une forme de partage du pouvoir et demande aux élus de céder une part du leur. Elle constitue aussi une forme de mise en danger des élus qui risquent de voir contester leurs choix, voire leurs prérogatives. En conclusion, la concertation est une pratique nécessaire pour la planification des mobilités. Mais elle n'est pas simple à mettre en œuvre. La participation du public peut améliorer une information du public, elle peut contribuer à apaiser les controverses, à enrichir la réflexion collective, à faire émerger des propositions innovantes, à faciliter l'acceptation de telle ou telle orientation ; en revanche, et je terminerai sur ce point, la concertation n'est pas la recette miracle qui suffirait à lever la conflictualité d'une question controversée. En matière de mobilité, comme à propos d'autres sujets, les choix à opérer sont des choix politiques, au sens fort du terme, ils mettent en cause des intérêts et des visions du monde qui ne sont pas toujours conciliables.