Bonjour. Cette vidéo porte sur les mobilités quotidiennes dans les grandes villes d'Afrique subsaharienne. Je présenterai les grands traits des pratiques de mobilité des citadins, puis les tendances actuelles d'organisation du secteur des transports urbains, et enfin les enjeux de planification de ces mobilités. La planification des mobilités quotidiennes n'est pas chose simple dans les villes d'Afrique subsaharienne. La population des grandes villes augmente d'année en année et leur superficie s'accroît encore plus rapidement. Cette urbanisation se fait bien souvent de façon désordonnée. Les quartiers non lotis et d'habitat précaire absorbent la plus grande partie de la croissance démographique. Ces villes ont également en commun un déficit majeur en termes d'aménagement et sont marquées par un manque de services collectifs et de faibles opportunités d'emploi à proximité du lieu de résidence, en particulier en périphérie. L'éloignement croissant et l'enclavement de nombreux quartiers d'habitation contribuent à multiplier les besoins de déplacement et à accroître les distances nécessaires pour accéder à la ville et à ses ressources. Pour mieux connaître les pratiques de mobilité, des travaux de terrain ont été menés dans plusieurs villes, depuis les années 1990 par le LAET et le réseau SITRAS, SITRAS qui signifie Solidarité Internationale sur le Transport et la Recherche en Afrique Subsaharienne. Les éléments que je vais présenter sont issus de ces travaux de terrain. Ces travaux reposent sur des enquêtes statistiques par questionnaires, complétées dans chaque ville par des entretiens semi-directifs. Ces enquêtes permettent de décrire les pratiques de mobilité de différentes catégories de population à partir de la description de l'ensemble des déplacements réalisés la veille, à partir également des caractéristiques des individus et de leur ménage. Une investigation sur le développement des motos-taxis a également été menée. À travers ces enquêtes, la mobilité se révèle importante en dépit des niveaux de vie moyens relativement bas. Mais elle est importante également à cause des conditions de vie difficiles. Le manque d'équipements du logement et du quartier peut en effet obliger à se déplacer fréquemment. Les pertes de temps dans les déplacements ne sont pas rares et les budgets-temps de transport sont relativement élevés. Mais ce qui est à noter surtout, c'est la part très élevée des déplacements qui sont effectués à pied, nettement plus de la moitié des déplacements dans la plupart des villes enquêtées. Soit une proportion bien plus forte que dans les villes européennes par exemple. Cette part est encore plus élevée chez les ménages les plus pauvres. L'importance des déplacements à pied traduit la permanence des relations de proximité et des interactions sociales qui se produisent dans le quartier de résidence. Mais il est à noter que près de 10 % des déplacements à pied sont des déplacements de 30 minutes ou plus. Pourtant, les déplacements à pied sont souvent rendus difficiles et parfois dangereux du fait de l'absence ou de l'encombrement du trottoir, du manque d'éclairage ou encore du manque d'infrastructures permettant de traverser les grands axes. Enfin, la mobilité urbaine pèse d'un poids important dans le budget des ménages. Les dépenses pour la mobilité représentent selon les villes de 12 à 20 % du budget des ménages. Une constante des villes étudiées est le fait que l'offre de transport ne permet pas de satisfaire tous les besoins de mobilité. Plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, l'équipement véhicule privé reste limité. La possession d'une voiture particulière représente le rêve du plus grand nombre. Mais elle ne devient réalité que pour une minorité des citadins. Ainsi, selon les villes, 10 à 15 % des ménages sont équipés de voiture. Et seule une toute petite minorité des individus peut la conduire au quotidien. Dans certaines villes comme Ouagadougou, Niamey ou encore Bamako, les motos et scooters privés jouent un rôle important et pallient en partie le caractère inaccessible de la voiture. L'achat et l'entretien d'un scooter ou d'une moto ne va être possible que lorsque la personne dispose de ses propres revenus et que ses revenus sont réguliers. Par ailleurs, on observe que l'usage de la bicyclette est rare. Il demeure le plus souvent réservé aux personnes sans revenus propres et aux actifs les plus défavorisés. En effet, l'image de mode de transport du pauvre qui lui est associée, ainsi que les conditions de circulation, risquées pour les cyclistes, en limitent fortement l'usage. Si la marche à pied est aussi répandue dans les villes africaines, c'est donc en partie à cause du coût d'usage trop élevé des modes de transport motorisés. Cela est évident pour les modes individuels mais les enquêtes montrent que c'est aussi le cas, dans une moindre mesure, pour les transports collectifs. Les transports collectifs sont principalement assurés par des opérateurs relevant du secteur dit informel ou artisanal. Il s'agit d'un secteur peu régulé avec des niveaux de desserte qui peuvent être très différents selon les territoires. Les complémentarités entre modes s'organisent au cas par cas, plus du fait du comportement des acteurs que par décision des autorités publiques. En l'absence de subventions et sans intégration tarifaire dans le secteur des transports collectifs, leur utilisation peut se révéler très coûteuse lorsqu'elle est quotidienne. Aussi, les utilisateurs les plus nombreux des transports en commun se situent au sein des catégories de revenus moyennes ou supérieures. Quelles sont les tendances actuelles quant à l'organisation des transports collectifs dans les villes africaines? Deux tendances en apparence opposées sont nettement perceptibles. La première vise à une plus grande structuration et à implanter des lignes de bus en site propre et à haut niveau de service sur les principaux axes, ce qu'on appelle les BRT, Bus Rapid Transit. Si certaines lignes sont déjà en fonctionnement comme à Lagos au Nigéria ou encore à Dar es Salam en Tanzanie, des projets de BRT sont à l'étude dans nombre de villes africaines. Ces projets prennent cependant du temps à se mettre en place. Dans le temps où s'élaborent ces projets, qui visent à structurer l'offre de transport public par des lignes fortes et performantes, on assiste à une diffusion plus rapide d'un mode de transport collectif minimal, le moto-taxi. On peut y voir une certaine revanche de l'informel mais la diffusion des motos-taxis rappelle aussi que le succès des BRT ne pourra se faire sans prise en compte de la demande actuellement assurée par les opérateurs informels. Depuis trois décennies, l'aire de présence du moto-taxi s'est beaucoup étendue sur le sous-continent africain. Une recherche systématique de la présence sur Internet d'articles de presse dans les différents pays et villes permet d'attester de sa présence dans plus d'une ville sur deux, comme le montre cette carte qui a été élaborée à partir d'un échantillon de plus de 200 villes de 100 000 habitants et plus. Si les motos-taxis se sont autant développés, comme dans le cas exemplaire de Lomé, cela tient à la conjonction de différents facteurs. Les motos-taxis sont bien adaptés à la demande de mobilité, aux conditions de circulation et à l'état de la voirie. De plus, le coût d'investissement que constitue l'achat de la moto est pour les investisseurs plus raisonnable que l'achat d'une voiture. Et, une fois loué à un chauffeur, le véhicule est rentabilisé le plus souvent en 6 à 8 mois. C'est donc un investissement très rentable et le métier de chauffeur assure un emploi à nombre de jeunes hommes en recherche d'activité. Mais il s'agit d'un emploi harassant. Les amplitudes journalières de travail sont de dix à douze heures et les chauffeurs sont particulièrement exposés aux problèmes de santé du fait de leur activité. La face plus sombre des motos-taxis est perceptible également par les effets externes négatifs qu'ils génèrent en termes de pollution ou de risque d'accidents. Enfin, dans certaines villes, le succès du moto-taxi est tel qu'il tend à faire disparaître d'autres formes de transport informel, ce qui n'est pas forcément favorable aux citadins, notamment pour les déplacements de plus de 4 km. En effet, les tarifs des motos-taxis sont, pour ces déplacements relativement longs, plus élevés que ceux des autres modes de transport collectif. En conclusion de ce tour d'horizon de la mobilité quotidienne dans les villes d'Afrique subsaharienne, on peut alors se poser la question des mobilités nécessaires pour faciliter la mobilité des citadins et pour mieux réguler la production de services de transport. Tout d'abord, il faut préciser qu'il n'existe pas un seul modèle transférable et réplicable dans chaque ville. Ces politiques doivent être pensées et portées localement sur la base d'une analyse des besoins et des pratiques de mobilité comme des difficultés rencontrées. Elles doivent également se poser la question des bénéficiaires potentiels des différents types d'aménagements, de façon à intégrer explicitement les enjeux d'équité sociale et spatiale dans le choix des aménagements retenus. Dans le contexte actuel de la mobilité dans les grandes villes d'Afrique subsaharienne, l'enjeu est d'œuvrer à une meilleure intégration des systèmes de transport à trois niveaux. Intégration modale, il s'agit non pas de tenter de bannir les opérateurs de transport informel mais de les intégrer en complémentarité d'offres plus massifiées et d'intégrer explicitement la marche à pied dans une politique globale de mobilité. Intégration tarifaire, pour que la mobilité en transport collectif soit abordable pour tous, pour tous les citadins, même les plus pauvres. Et enfin, plus en amont, intégration transport–urbanisme, afin de limiter ou de ne pas multiplier les déplacements et les trajets du quotidien à cause d'une offre urbaine inadaptée. Je vous remercie pour votre attention, au revoir. [AUDIO_VIDE]