[MUSIQUE] Bonjour. Je suis Dominic Villeneuve, politiste, chercheur au laboratoire de sociologie urbaine. Je vous propose cette vidéo intitulée Planifier dans les territoires peu denses. Je discuterai des enjeux spécifiques de l'accessibilité, de planification adaptée, et du fait qu'il faut bien prendre en compte les diverses spécificités propres aux territoires peu denses. Tout d'abord, les enjeux spécifiques. Le premier enjeu particulier aux territoires peu denses est celui de l'étalement urbain. Ce phénomène de périurbanisation commence en Amérique du Nord à la fin du XIXe siècle. Les villes centrales débordent sur l'espace rural et souvent agricole qui les entoure. En sortant de son lit, de son noyau original, la ville nord-américaine perd de plus en plus de sa densité. Les espaces occupés sont de plus en plus distants entre eux. Ce phénomène se reproduit ensuite ailleurs comme par exemple en Suisse où Rérat décrit une situation où le plus souvent, les couronnes enregistrent une forte progression, tandis que les villes centres subissent une érosion du nombre de leurs habitants. On constate de cet étalement urbain qu'il y règne une prédominance de l'habitat individuel et une forte dépendance à l'automobile. Je vais maintenant vous présenter ce que j'entends par dépendance automobile. Cet état est souvent associé en particulier à la mobilité dans les territoires peu denses. J'utilise la définition de Dupuy, un chercheur français, qui présente la dépendance automobile comme un cercle vicieux. Ce processus commence par l'introduction de la voiture dans les foyers. La première étape du cycle est la possession et l'utilisation de l'automobile. Quand un ménage possède une voiture, on constate une augmentation du nombre de ses déplacements, et une augmentation de la distance parcourue. L'acquisition d'une voiture par de plus en plus de ménages résulte en une augmentation importante du nombre de voitures, ce qui mène à la deuxième phase du cercle vicieux, la circulation congestion. On constate à cette étape une croissance du nombre de véhicules supérieure à la capacité d'absorption du système de transport, ce qui mène généralement à l'étape suivante, celle de la construction des routes supplémentaires, afin d'accroître la capacité du réseau routier pour répondre à cette demande et à la congestion. On construit de nouveaux segments d'autoroutes, de nouvelles routes, et on ajoute des voies aux autoroutes existantes, toujours afin d'augmenter la capacité du réseau, ce qui nous mène à la quatrième phase du cycle de la dépendance automobile selon Dupuy, celle de l'étalement urbain défini précédemment. On note une utilisation du sol faible, de faible densité, le zonage résidentiel monofonctionnel, et le développement de grandes surfaces commerciales près des intersections des grandes autoroutes, mais dans des lieux qui sont peu accessibles aux autres modes de transport, sans transport public à proximité et souvent dangereux pour les cyclistes et les piétons. Ce qui fait qu'à la fin du compte, une seule voiture par ménage, ce n'est pas assez. Quand les deux parents travaillent, on va avoir deux voitures, et quand les enfants grandissent, ce sera peut-être trois ou plus, menant toujours à une augmentation du nombre de véhicules, ce qui reprend le cycle de la dépendance automobile, parce que ça va ajouter à la congestion, et puis le cycle reprend. Et selon Dupuy, ce développement se passe toujours au détriment de l'investissement dans les autres modes de transport. Les enjeux spécifiques à la dépendance automobile. On note tout d'abord une hausse des coûts de la desserte en transport collectif, une hausse du nombre d'automobilistes, une diminution du nombre de clients pour les transports collectifs, une baisse de l'aire de desserte et de la taille du réseau des transports collectifs, une baisse de la fréquence de passage des circuits de transport en commun, et la baisse du nombre de passagers résultent généralement en une hausse du sentiment d'insécurité pour les usagers qui restent. Tous ces facteurs combinés découragent ceux qui ont le choix entre la voiture et les transports collectifs, et résulte finalement en une baisse de l'accessibilité du territoire. Qu'est-ce que l'accessibilité? Il s'agit d'un indicateur des caractéristiques inhérentes ou avantages d'un endroit quant à la facilité d'y accéder. Dalvi et Martin définissent l'accessibilité comme la facilité ou la difficulté à atteindre un endroit particulier via le système de transport. Il existe un lien important entre bonne accessibilité, bon niveau de desserte en transport collectif, et les bonnes conditions de vie des usagers captifs. Ca, c'est ceux qui n'ont pas accès à la voiture. La planification adaptée. Les planificateurs du système de transport doivent collaborer ensemble. Adapter la planification aux territoires peu denses n'est pas l'unique responsabilité des planificateurs de transport, mais aussi celle des architectes, des urbanistes et des designers urbains. Ils doivent prendre en compte les coûts énergétiques associés aux déplacements, sur de plus grandes distances, penser aussi aux changements climatiques qui nécessitent de modifier nos comportements, et qui causent déjà des événements catastrophiques plus fréquents. Ils doivent prendre en compte les coûts des infrastructures qui sont généralement plus élevés en territoires moins denses, dû à une plus grande distance à couvrir et au plus petit nombre de personnes pour payer la facture commune. Bref, il faut concevoir en tenant compte des externalités du tout voiture qui sont souvent ignorées. Quand je parle de territoires peu denses et de la difficulté de planifier les transports, j'aime bien référer par exemple à cette carte de la ville de Québec où l'on voit une typologie des différents types de territoires selon leur gradient d'urbanité, le niveau de densité, la mixité fonctionnelle et sociale qui varient entre les différentes parties du territoire de la région de Québec. On voit en rouge l'ancienne ville de Québec, vieille ville de plus de 400 ans, très dense, et avec une grande mixité, et assez bien desservie par les transports collectifs. Aussi en rouge, mais plus pâle, on voit les anciennes banlieues déjà plus dépendantes à l'automobile et qui ont été fusionnées pour former la ville de Québec en 2001, et autour de ce noyau, la ville de Lévis, les couronnes nord et sud qui sont très peu denses et très monofonctionnelles résidentielles. Alors, comment prendre en compte la spécificité du territoire? Il faut tout d'abord réaliser qu'il existe des influences mutuelles entre forme urbaine, structure de la ville et le système de transport. On doit tenir en compte les obstacles géographiques qui sont liés entre autres à la distance, mais aussi le contexte politique et institutionnel, les différents niveaux de gouvernements qui interagissent entre eux, mais aussi les groupes de pression ou le phénomène NIMBY, Not In My BackYard, ou pas dans ma cour, qui soulèvent parfois les mobilisations populaires contre certains projets d'infrastructures. Finalement, le contexte économique joue aussi une part importante, les populations étant bien moins nombreuses dans ce contexte. En conclusion, on constate que la mobilité en territoire peu dense représente des défis spécifiques tant pour les gens qui habitent le territoire que pour les planificateurs. Il faut faire face aux enjeux spécifiques liés à cette faible densité et à la forte dépendance automobile qui y règne généralement. On doit planifier afin d'améliorer l'accessibilité non seulement pour les personnes ayant un permis de conduire et l'accès à une voiture, mais aussi aux usagers des transports collectifs et aux usagers des modes doux comme la marche et le vélo. Il n'y a donc pas de recette magique, et il faut prendre en compte la spécificité du territoire. Merci et au revoir. [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE]