[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] Jacques Igalens. Je suis professeur à l'IAE de Toulouse et au CRM qui est une unité CNRS. Pour définir les parties prenantes, souvent on se réfère Freeman. En réalité, un peu avant il y avait le Stanford Research Institute qui avait défini les parties prenantes comme tout groupe dont dépend la survie de l'entreprise. Ensuite Freeman a un peu élargi en disant : c'est tout groupe qui est affecté ou qui affecte l'entreprise. Et en France on a depuis peu une définition officielle, qui est parue dans un décret d'ailleurs sur le reporting, qui dit qu'une partie prenante, c'est une personne ou une organisation intéressée par l'activité de la société. Donc on voit que petit à petit, cette définition a élargi la notion de partie prenante. Ce qui est intéressant évidemment, c'est de regarder comment l'entreprise définit ces parties prenantes. Et de ce point de vue, on peut imaginer plusieurs méthodes de classement. Et c'est important, parce qu'évidemment, la façon dont on va classer des parties prenantes aura quand même une incidence sur la façon dont ensuite on va les traiter. Par exemple, on peut les traiter en : internes ou externes. On peut considérer qu'il y a des parties prenantes dans l'entreprise, les salariés, les actionnaires, les dirigeants, et des parties prenantes hors entreprise, tous les autres par exemple. On peut également définir les parties prenantes à partir de l'existence ou non d'un lien contractuel, d'un lien juridique. C'est par exemple ce que fait un groupe important qui s'appelle l'ONET, qui est un groupe consacré au nettoyage industriel. Il considère qu'il y a les parties prenantes avec lesquelles il y a un lien juridique, et là il y a aussi bien les salariés que par exemple les contractants, les fournisseurs, les clients, et puis ceux avec lesquels il n'y a pas de lien juridique. On peut aussi les classer par piliers du développement durable. Dire qu'il y a les parties prenantes économiques, les parties prenantes sociales, les parties prenantes sociétales. Là si par exemple un groupe comme MOBIVIA, qui est un groupe de service dans l'automobile, qui a des marques aussi connues que Midas ou Norauto, qui utilisait il y a encore quelques années ce type de classement. Orange par contre, lui, a choisi de classer les parties prenantes en fonction de l'origine de la valeur ajoutée. Qui crée la valeur ajoutée. Et là on va trouver les salariés, on va trouver les clients, on va trouver les fournisseurs. Moi personnellement, je pense qu'il vaut mieux avoir une réflexion sur les parties prenantes, par exemple du type de celle qu'ont pu avoir des chercheurs américains qui s'appellent Mitchell, Agle and Wood, qui classent les parties prenantes en fonction de leur légitimité, du pouvoir qu'elles peuvent avoir sur l'entreprise, et de l'urgence des problèmes qu'elles posent. Et à partir de là , ces trois auteurs définissent par exemple les les parties prenantes qui sont à la fois légitimes, qui ont du pouvoir sur l'entreprise et qui posent des problèmes urgents comme des parties prenantes saillantes. Après il y a des parties prenantes dormantes, des parties prenantes de différentes natures. Moi, vous voyez, je préfère avoir cette vision des parties prenantes qui consiste à dire, finalement, quelle est pour l'entreprise l'importance du sujet à traiter? Alors en conclusion, sur ce point je dirais que le classement des parties prenantes est en quelque sorte un cadrage cognitif, parce que la façon dont on va les traiter risque parfois de dépendre de la façon dont on les a classées. Si on reprend l'exemple d'Orange qui les classe par provenance, un peu, de la valeur ajoutée, on comprend bien que quelque part, une partie prenante qui n'ajoute pas de la valeur ne sera peut-être pas considérée comme aussi importante qu'une autre. Et parfois il y a des parties prenantes comme des ONG qui peuvent être peu importantes en termes de valeur ajoutée, qui envoient des signaux à l'entreprise, qui de ce point de vue peuvent être considérés comme des signaux assez faible, mais qui peuvent avoir malgré tout une grande importance. Parce que, une ONG, ça peut aussi bloquer l'activité d'une entreprise. Souvent, ce classement des parties prenantes débouche, dans le reporting, sur l'analyse ou la matrice de matérialité. C'est intéressant de voir d'où ça vient, ce concept de matérialité, parce qu'il est en réalité assez ancien. Le concept de matérialité vient du monde de la finance, du monde des analystes financiers. Pour eux, la matérialité renvoie à un certain nombre d'indicateurs qui permettent de se positionner de façon claire et fiable sur la situation financière d'une entreprise. La matérialité, c'est lorsqu'une nouvelle information est de nature à faire changer d'avis, par exemple l'analyste. Et on a transposé ce type d'analyse au domaine de la RSE. Les premiers qui ont fait ça, c'est une société anglaise qui s'appelle AccountAbility. C'est un peu un jeu de mots parce que, ils ont pris le A de account et le A de ability pour faire une norme AA1000, qui la première, il y a déjà près de 30 ans, a mis la matérialité au centre du reporting de l'ACSA qui est équivalent de la RSE. Une responsabilité sociale de l'entreprise. Pour eux, il y a la nécessité de faire une double analyse des enjeux. D'abord du point de vue de l'impact de ces enjeux sur les parties prenantes, et de l'intérêt ou des attentes des parties prenantes par rapport à ces enjeux, et ensuite, dans un deuxième temps, donc concomitamment, en tout cas sur une deuxième dimension, de faire l'analyse de ces enjeux pour l'entreprise et pour l'intérêt de l'entreprise. Et c'est en croisant ces deux axes, souvent on met en ordonnée les parties prenantes et en abscisse l'entreprise, avec un classement, que l'on arrive à voir quels sont les enjeux qui sont à la fois très importants, qu'on appelle souvent des enjeux cruciaux pour l'entreprise, c'est-à -dire souvent qui sont en rapport avec son business model, et qui sont aussi tout à fait en haut de l'attente des parties prenantes, qui correspondent par exemple à la satisfaction des parties prenantes que je qualifiais de saillantes tout à l'heure. Donc c'est une double analyse, une analyse pour les parties prenantes et une analyse pour l'entreprise. Ensuite, cette analyse est validée par le comité de direction de l'entreprise. Et le fait donc d'avoir classifié en quelque sorte les enjeux permet à l'entreprise, derrière, de définir des plans d'action. Si on prend l'exemple d'une entreprise du CAC 40 qui est parmi celles qui a pratiqué le plus longtemps possible la notion de matérialité, je pense à l'entreprise Engie, qui est l'ancienne entreprise GDF et Suez, après cette analyse, ils considèrent qu'il y a trois types d'enjeux. Les enjeux cruciaux, donc ceux qui seraient de nature par exemple, à remettre en cause leur existence même. Des notions par exemple comme les émissions de gaz à effet de serre ou la sûreté des installations. Il y a ensuite des enjeux qu'ils qualifient de majeurs, par exemple la transition énergétique, le mix énergétique. Et puis ensuite en dessous il y a des enjeux importants, des enjeux toujours de RSE. qu'ils considèrent comme des enjeux à suivre, mais qui sont quand même en-dessous, et qui dans leur cas concernent par exemple la gestion de l'eau, la gestion des déchets, la protection des données personnelles. Alors pourquoi on a été obligé de faire cette analyse de matérialité? Parce que, en matière de reporting, il y a eu une inflation. Et les premiers rapports de RSE faisaient 20, 30 pages. Cinq ans après, ils faisaient 50, 60 pages. Et à la fin, on arrivait à des rapports de 80 pages, qui étaient un peu perdus sous l'information. Donc d'un côté il y a eu un effort pour faire peut-être moins de story-telling et plus de mesures, c'est toute la problématique des indicateurs de la GRI, et puis il y a eu un effort pour dégager aussi les enjeux cruciaux, les enjeux principaux, et puis les enjeux importants, mais peut-être à traiter dans un deuxième temps. Et c'est là où l'analyse de matérialité a pris toute son importance. [MUSIQUE]