[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> L'affaire Sally Clark peut être résumée comme suit. Un soir de décembre 1996, Sally Clark était seule à la maison avec son premier fils, Christopher, alors âgé de deux ans. Il était jusqu'alors un enfant en bonne santé. Deux heures après l'avoir nourri, sa mère le retrouva apparemment décédé dans son transat qui se trouvait dans la chambre de ses parents. Sally Clark appela aussitôt l'ambulance. La réanimation se révéla infructueuse, et le pathologiste en charge du dossier conclut que le décès était dû à une infection des voies respiratoires inférieures et que c'était probablement une mort subite du nourrisson. En janvier 1998, le second enfant de Sally Clark, Harry, décéda à l'âge de deux mois dans des circonstances similaires. Les deux parents étaient cette fois à la maison. En raison de la mort prématurée de leur premier enfant, le second bébé faisait l'objet d'une surveillance médicale intensive, et l'examen postmortem révéla des signes de saignements récents à l'arrière des yeux et de la moelle épinière. Le pathologiste traita le décès comme une mort suspecte. Il réexamina aussi la mort du premier enfant, et détermina que ce décès était également suspect. Les deux parents furent suspectés, mais par la suite, la police se focalisa uniquement sur Sally Clark. Elle fut arrêtée et accusée d'avoir assassiné ses deux enfants en les étouffant. Il n'y avait aucun témoin des actions dont Sally Clark était accusée. Quelles étaient les preuves? Et quel rôle les statistiques ont-elles joué contre madame Clark? >> Les preuves présentées contre elle consistaient dans les témoignages d'experts médicaux appelés par l'accusaion. Ces experts étudièrent les preuves médicales présentes dans le rapport d'autopsie des deux enfants, et déclarèrent que ces dernières apportaient la preuve que les deux décès avaient été causés délibérément, soit par étouffement, soit par secouement. Vu que Sally Clark était la seule personne présente lors de la mort des deux enfants, elle était de toute évidence coupable. Les experts de la défense argumentèrent que les preuves n'étaient pas concluantes et que la cause des décès n'était pas claire. Sally Clark fut initialement reconnue coupable de meurtre sur la personne des deux enfants et fut condamnée à deux sentences d'emprisonnement à perpétuité. En 2000 et 2003, elle déposa un appel au tribunal, c'est-à -dire à la Court of Appeal à Londres. >> Dans ses deux arrêts de 2000 et 2003, la Cour d'appel ne rejeta pas formellement l'argument statistique, mais déclara qu'ils ne pensaient pas que celui-ci était utile. On peut lire dans la décision rendue en 2000, Le chiffre une chance sur 73 millions n'est pas utile. C'est une pure distraction. En 2003, la Cour déclara que si l'admissibilité des éléments de preuve avait été contestée, nous aurions pris la décision la plus sage et aurions exclu les preuves dans leur totalité. Mais du point de vue statistique, comment l'accusation a-t-elle utilisé les données pour soutenir sa thèse? >> Nous allons utiliser ici le rapport fourni par le professeur Philip Dawid, qui à ce moment-là était professeur au département de statistiques de l'University College de Londres. Il fut présenté comme expert de la défense durant l'appel et argumenta que l'expert de l'accusation s'était trompé en déclarant qu'il était extrêmement rare d'obtenir deux morts subites du nourrisson dans une famille similaire à celle de Clark. Plus tard, dans une interview par Skype, nous aurons l'opportunité et le plaisir d'entendre le professeur Dawid à ce sujet. Sur la base d'études épidémiologiques sur l'occurrence du syndrome de la mort subite du nourrisson, l'expert médical, un professeur de pédiatrie, déclara que la fréquence globale de la mort subite du nourrisson était d'une naissance sur 3 000. Mais dans le cas de la famille Clark, comme ils ne fumaient pas et que la mère avait plus de 26 ans, cette fréquence était nettement plus faible, d'environ 1 sur 8 500. L'expert de l'accusaton témoigna que la probabilité d'une seconde mort subite du nourrisson sachant qu'il y en avait déjà eu une première dans la famille Clark, était globalement la même que la première, donc une chance sur 8 500. >> Donc, cela impliquerait que la probabilité d'avoir deux morts subites du nourrisson dans une famille comme celle des Clark pouvait être calculée, selon l'expert, en multipliant une chance sur 8 500 par la même valeur. La probabilité d'observer donc deux morts subites du nourrisson dans la même fratrie serait donc de une chance sur 73 millions. Au premier procès, il n'y a pas eu de contre-interrogatoire sérieux par la défense sur cet aspect statistique. Franco, est-ce que nous avons là un problème? >> Effectivement, il y a deux aspects à discuter ici. Premier, l'aspect de l'indépendance entre les événements, et deuxièmement, la nécessité de se référer à un rapport de probabilités et donc d'éviter de s'exprimer sur une seule probabilité. Si cela est fait, il est plus facile de ne pas tomber dans le piège de l'intuition. Mais regardons d'abord ensemble l'aspect concernant l'indépendance entre les événements. Selon les règles des probabilités, nous ne pouvons multiplier la probabilité de deux évènements, appelons-les A et B, que si ces derniers sont indépendants. Par exemple, si on prend deux événements ou les deux propositions suivantes, Christophe a son anniversaire aujourd'hui et j'ai mon anniversaire aujourd'hui également, ces deux événements sont indépendants, si bien qu'on peut multiplier la probabilité que Christophe ait son anniversaire aujourd'hui et la probabilité que j'aie mon anniversaire aujourd'hui. On peut multiplier ces deux probabilités, car les événements ne dépendent pas l'un de l'autre ou d'un facteur commun. Mais la probabilité que je sois filmé dans cette pièce et la probabilité que Christophe soit filmé dans cette pièce aujourd'hui ne peuvent pas être multipliées car ces deux événements ne sont évidemment pas indépendants l'un de l'autre. Dans les cas des morts subites du nourrisson, on sait que si un enfant est décédé subitement dans la famille, alors la probabilité qu'un second enfant décède de la même cause est plus haute. Par conséquent, pour calculer la probabilité d'observer deux décès suite à une mort subite dans la famille Clark, on ne peut pas sans justification simplement prendre la valeur du carré de la probabilité d'une seule mort subite. On peut le faire, mais seulement si on peut raisonnablement supposer que les deux décès sont indépendants. Cela veut dire qu'après avoir déterminé que la probabilité appropriée est de 1 sur 8 500 pour un premier décès, et nous prenons cet exemple à titre illustratif, alors le même chiffre peut être appliqué pour le décès du deuxième enfant, en tenant compte également du fait que le premier enfant est mort de la même cause. Ce supposer n'est pas raisonnable, car deux enfants de la même famille partagent beaucoup de caractéristiques, notamment leur patrimoine génétique. >> Donc, Franco, le premier décès nous apporte une information qui augmente notre croyance sur le fait qu'il pourrait y avoir des facteurs jouant un rôle sur les deux enfants et qui vont donc augmenter la probabilité que le deuxième enfant puisse également être atteint de la même problématique médicale. Ceci me rappelle des critique similaires sur la notion d'indépendance parus dans des affaires criminelles antérieures. Prenons par exemple l'affaire Collins qui s'est déroulée en Californie dans les années 60. Et en ce sens, Alex va nous en parler. >> Il est vrai que ce qui s'est passé dans l'affaire Clark n'est pas nouveau. Ce n'est pas la première fois qu'on utilise de façon abusive des données statistiques. Le but est ici de discuter d'un autre cas célèbre de mauvaise utilisation des statistiques en science forensique, mais cette fois aux États-Unis. Le cas se passe en juin 1964. Juanita Brooks est poussée au sol alors qu'elle marchait dans une ruelle dans le quartier San Pedro de Los Angeles. Selon madame Brooks, une femme blonde vêtue de vêtements sombres attrapa son sac et s'enfuit. John Bass, qui habitait à la fin de l'allée, est témoin de l'incident et indique qu'il a vu une femme blonde portant un vêtement sombre s'enfuir de la scène. Il a également remarqué que la femme avait une queue de cheval et qu'elle était montée dans une voiture jaune conduite par un homme noir qui avait une barbe et une moustache. Sur la base de cette description, la police identifie deux suspects, Janet et Malcolm Collins, qui sont ensuite accusés de vol. Au procès, le procureur appela un professeur de mathématiques qui témoigna sur la règle de multiplication du calcul des probabilités. Cette règle stipule que la probabilité qu'une série d'événements indépendants se réalise est le produit des probabilités pour chacun des événements individuels. Le procureur attribua des valeurs à une série de probabilités individuelles. Une probabilité a donc été assignée à chacune des caractéristiques des auteurs qu'on présentait ici. Les six caractéristiques des agresseurs qui ont été mentionnés sont une voiture partiellement jaune, avec une probabilité de 1 sur 10 ; un homme avec moustache, probabilité 1 sur 4 ; une jeune femme avec queue de cheval, 1 sur 10 ; une jeune femme aux cheveux blonds, 1 sur 3 un homme noir avec barbe, 1 sur 10 ; et un couple interracial en voiture, 1 sur 1 000. En multipliant les probabilités individuelles, la probabilité qu'un couple présente les six caractéristiques est de 1 sur 12 millions. Comme vous pouvez l'imaginer, plusieurs problèmes statistiques ont été soulevés dans ce cas, par exemple, la question de savoir d'où les valeurs venaient et sur comment finalement interpréter cette valeur. Ici, cependant, nous allons nous concentrer sur l'aspect de l'indépendance. Pensez-vous qu'un homme avec une barbe ait la même probabilité d'avoir une moustache qu'un homme sans barbe? Ces caractéristiques, moutache et barbe, sont-elles indépendantes? Si un expert retient une hypothèse d'indépendance aussi forte, on s'attendrait à ce que des données appropriées soient présentées pour soutenir un tel point de vue. Dans le cas Collins, cela n'a pas été le cas et l'accusation a demandé d'accepter aveuglément ce présupposé. Cette lacune n'est pas passée inaperçue. La Cour suprême de Californie a identifié l'absence de justification de l'hypothèse d'indépendance adoptée par l'accusation dans ce cas. 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