[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] Bienvenue à cette seconde partie de cette semaine, où nous étudierons des affaires pour savoir si la science forensique est un témoin digne de foi. Le but de cette vidéo est premièrement d'expliquer ce qu'est l'erreur dite du procureur, aussi appelée l'erreur de l'inversion ou transposition du conditionnel, deuxièmement de savoir citer des cas où cette erreur de logique a mené à des appels ou peut avoir contribué à des erreurs judiciaires, et finalement le troisième, revoir l'importance d'évaluer les résultats à la lumière des deux hypothèses. Maintenant, laissons de côté comment justifier les valeurs numériques, pour nous focaliser sur ce qu'elles veulent dire et comment elles sont comprises. Nous voudrions voir avec vous en particulier ce que les résultats forensiques ne veulent et ne peuvent pas dire. Nous présenterons des affaires avec de l'ADN, où les experts, les procureurs et les juges ont fait des erreurs de logique en association avec des conclusions probabilistes. L'erreur dont nous parlerons est connue sous le nom d'erreur du procureur mais elle aussi est appelée plus généralement erreur de l'inversion ou la transposition du conditionnel. Cette erreur consiste à confondre deux probabilités conditionnelles. Pour ceux qui se demandent ce qu'on entend par probabilité conditionnelle, disons que cela veut juste dire que nos probabilités dépendent de ce que l'on sait, de ce que l'on nous a dit et de ce que l'on présuppose. Par exemple, si on dit que l'on doit considérer la probabilité de résultat sachant l'hypothèse de la défense ainsi que l'information qui nous a été donnée, alors cette probabilité est une probabilité dite conditionnelle. La condition est ce qui se trouve après les mots sachons, donc, ici, là ou plutôt les conditions sont l'hypothèse de la défense et l'information. La question que nous allons traiter ici est comment présenter les statistiques forensiques liées à la preuve ADN. Quand le profil ADN d'une trace de sang n'est pas différentiable du profil ADN d'un individu, les scientifiques ont l'habitude de fournir un rapport donnant la probabilité de retrouver cette correspondance par chance. Par exemple, on dira que la probabilité de ce profil dans la population d'intérêt est de un sur deux millions. Cette valeur est communément appelée la probabilité de coïncidence fortuite. Mais quand cette valeur statistique est présentée, certaines personnes croient faussement que cela implique qu'il y a une chance sur deux millions que l'accusé n'ait pas laissé la trace de sang. Vous vous souviendrez peut-être, et j'espère que oui, que Tacha dans la première semaine, vous a parlé de cet aspect dans la vidéo sur les principes d'interprétation des résultats forensiques. Donc, il est fallacieux de dire qu'il y a une chance sur deux millions que l'accusé n'ait pas laissé de trace de sang. Pourquoi? Eh bien, on peut l'expliquer en considérant cette valeur au regard d'une population qui soit suffisamment grande. Plus cette population est grande, plus on peut s'attendre en moyenne à retrouver par hasard plusieurs personnes avec ce même profil ADN. >> Prenons par exemple la population Suisse. Il y a un profil avec une rareté effective de une chance sur deux millions. Dans ce cas, vu que la population Suisse est supérieure à huit millions, on peut s'attendre en moyenne à retrouver ce profil chez quatre personnes. Mais cela ne veut pas dire qu'il y a une chance sur quatre que l'accusé soit à la source de la trace. Cette probabilité dépendra évidemment des autres éléments d'enquête. Mais il est faux de dire que une chance sur deux millions représente effectivement la probabilité que la personne n'ait pas laissé la trace. Notons que cette erreur de raisonnement n'est pas l'apanage des cas impliquant l'ADN. On la retrouve aussi avec des traces digitales, avec des traces d'outils, les fibres, finalement dans n'importe quel type de résultat forensique. En fait nous pouvons tomber dans ce piège dès que les scientifiques présentent une probabilité. C'est une erreur si commune qu'on lui a donné plusieurs noms et notamment, celle d'erreur du procureur, comme nous l'a indiqué Franco tout à l'heure. Il est essentiel de ne pas tomber dans cet écueil de l'intuition, car sinon nos conclusions ne respecteront pas le critère de logique qui est par ailleurs stipulé dans le guide de l'ENFSI. Cette erreur de raisonnement est identifiée par plusieurs cas et a permis d'ailleurs à la défense de gagner en appel sur cette question. En Angleterre et au Pays de Galles, on peut mentionner le cas Deen, ou le cas Doheny et Adams, ou encore le cas Adams qui ont été décrits dans la litérature spécialisée, que ce soit en droit ou en science forensique comme des cas où l'erreur du procureur a été identifiée par la défense, puis en appel comme étant une des causes possibles de mauvaise interprétation. Dans le cadre de cette vidéo, nous nous concentrerons sur le cas Deen et sur le cas Adams. Mais avant de voir ces cas en détail, laissons Tacha nous présenter l'erreur dite du procureur plus en détail. >> Oui, vous vous souviendrez que lorsqu'on a discuté des principes d'interprétation en science forensique, nous avons vu qu'il était essentiel que les scientifiques se prononcent sur la probabilité des résultats, en considérant les propositions et non l'inverse. Les scientifiques ne doivent pas se prononcer sur la probabilité des propositions ou des hypothèses, c'est au tribunal de le faire. Confondre les deux probabilités est fallacieux. Comme tout un chacun peut commettre cette erreur, nous l'appellerons ici l'erreur de transposition du conditionnel, suivant en cela les pas de notre mentor, Ian Evett. Comme ce thème est crucial mais difficile, le mieux est de s'exercer ensemble. Par exemple, que pensez-vous de l'affirmation suivante, il y a 1 % de chance que l'accusé ait le même profil ADN que la trace s'il n'en est pas la source. Par conséquent, il y a 1 % de chance qu'il ne soit pas la source de la trace. Cet argument est très attirant. Mais est-il correct? Pour le vérifier, changeons d'exemple. Voici un éléphant. Imaginez que je vous demande quelle est la probabilité qu'un animal ait quatre pattes si c'est un éléphant? Que me répondriez-vous? Je suppose que vous me diriez que cette probabilité est proche de 100 % pour tenir compte du fait que certains éléphants n'ont pas quatre pattes parce que par exemple ils ont été blessés, je vais supposer que votre probabilité est de 99 %. Maintenant, laissez-moi vous poser une autre question. Quelle est la probabilité d'être un éléphant si ou sachant que l'animal a quatre pattes? Je ne pense pas que vous me diriez que cette probabilité est de 99 %. En effet, la plupart des animaux à quatre pattes ne sont pas des éléphants. Parmi les animaux à quatre pattes, on a les vaches, surtout en Suisse, les chiens, les loups, les girafes, et que diraient nos moutons, si chers à notre campus, si on les traitait d'éléphants? Bien qu'ils aient quatre pattes, ils ne sont certainement pas des éléphants. On constate que les réponses sont différentes car les questions sont différentes. On peut plus facilement voir la différence si on utilise une formule. Pardon, mais c'est ce que nous faisons, nous les scientifiques. Nous avons cet événement, l'animal a quatre pattes, et nous sommes intéressés à la probabilité de cet événement. On utilise les lettres Pr pour représenter la probabilité. Ensuite, on met l'événement entre parenthèses. On écrit donc ainsi, la probabilité, ouvrir la parenthèse, que l'animal ait quatre pattes. Je ne ferme pas encore la parenthèse. Pourquoi? Parce que nous avons vu ensemble que nos probabilités sont conditionnelles. Elles dépendent de ce que l'on sait, de ce que l'on nous dit, et de ce que l'on suppose. Ici, on nous dit, c'est un éléphant. Ceci est donc un fait acquis. Maintenant, pour indiquer que c'est un fait acquis et que l'on sait que c'est un éléphant, on utilise une barre verticale, comme ceci. Cette barre veut dire sachant. Ensuite, derrière cette barre, on marque la condition, on écrit donc la probabilité que l'animal ait quatre pattes, sachant que c'est un éléphant. Maintenant, vous voyez que je n'ai toujours pas fermé la parenthèse. Ce n'est pas parce que j'ai oublié, mais parce que je souhaite rajouter quelque chose, qui indique l'information que j'ai à disposition. En effet, c'est le premier principe d'interprétation. Comme nos probabilités dépendent de l'information, je dois l'indiquer. Imaginez que je vous dise que l'éléphant s'appelle Mosha et qu'elle a perdu une patte en marchant sur une mine en 2006. Alors votre probabilité qu'elle ait quatre pattes serait bien différente, non? Je vais donc aussi écrire cette information. Ici, on supposera que l'animal n'est pas Mosha. C'est un éléphant tout à fait normal. Pour être efficace, je vais juste utiliser la lettre I pour information dans ma formule. Bien. Maintenant, on peut donc lire. Quelle est la probabilité qu'un animal ait quatre pattes si c'est un éléphant et si on sait que ce n'est pas Mosha? La virgule remplace le mot et. Bon, c'est juste deux signes de moins. Mais le temps, c'est précieux. À présent, écrivons l'autre question qui était quelle est la probabilité que l'animal soit un éléphant s'il a quatre pattes et sachant l'information? On utilise la même notation que précédemment et on note la probabilité que l'animal soit un éléphant s'il a quatre pattes et l'information. Regardons de plus près ce que nous avons noté. Que voyons-nous? Pour la première question, l'événement éléphant est à la droite de la barre conditionnelle. Pour la seconde question, l'événement éléphant est sur la gauche. Cela veut dire que dans le premier cas, l'événement éléphant conditionne la probabilité. Dans le second cas, c'est l'événement quatre pattes qui conditionne la probabilité. On voit également qu'on utilise le subjonctif pour l'événement qui se trouve devant la barre conditionnante. C'est l'événement auquel on est intéressé. Maintenant, si on dit que la première probabilité est égale à la seconde, alors, on transpose le conditionnel ou on l'inverse. C'est pourquoi, on nomme ce sophisme l'erreur d'inversion ou la transposition du conditionnel. Au tribunal, les procureurs font aussi cette erreur. Dans ce cas, on peut dire que c'est l'erreur du procureur. Maintenant, étudions la conclusion de notre expert en matière d'ADN. On va traduire l'expression en utilisant notre notation. On utilise ici la lettre E pour les résultats et les lettres Hd pour l'hypothèse de la défense. Pour rappel, la proposition de la défense, ou l'hypothèse de la défense, était qu'une personne inconnue et non le suspect était la source de la trace. L'information pertinente, notée I, était que cette personne n'était pas apparentée au suspect. On peut donc noter la probabilité de nos résultats sachant l'hypothèse de la défense et l'information. L'expert a attribué la valeur de 1 % à la probabilité des résultats, sachant l'hypothèse de la défense. La probabilité des résultats si le suspect n'est pas à la source de la trace, donc si c'est une autre personne non apparentée, est donc de 1 %. On peut donc écrire que cette probabilité est égale à 1 %. Mais, on ne peut pas dire sur la seule base de cette valeur que la probabilité que le suspect ne soit pas à la source de la trace sachant les résultats et l'information, est de 1 %. En effet, ces deux probabilités, comme vous le voyez ici, ne sont pas équivalentes. En effet, imaginez que la personne était en prison au moment des faits. Alors, on serait certain que ce n'est pas lui. Notre probabilité que ce ne soit pas lui, n'est donc pas de 1 %, mais de 1. Comme pour notre animal qui avait quatre pattes. Même si on sait que la probabilité qu'un éléphant ait quatre pattes est de 99 %, on ne peut pas extrapoler et dire que la probabilité que l'animal soit un éléphant s'il a quatre pattes est de 99 %. Ce n'est pas logique et ce n'est pas un raisonnement solide. On transpose donc le conditionnel lorsqu'on assimile la probabilité des résultats sachant l'hypothèse, avec la probabilité de l'hypothèse sachant les résultats forensiques. On peut éviter cette erreur de raisonnement. Par exemple, en utilisant de la notation, comme on l'a fait ensemble. On peut aussi utiliser le stratagème de Stella. D'après Stella McCrossan, l'une des auteurs de l'article clé sur les principes d'interprétation. On peut également utiliser l'astuce de Ian, notre mentor Ian Evett. Vous trouverez ces stratagèmes dans les exercices sur la plateforme. J'espère maintenant que vous savez ce qu'est la transposition du conditionnel et je rends la parole à Franco. >> Merci Tacha. Revenons sur l'affaire Deen. Dans cette affaire, le tribunal a rendu un jugement qui ordonne aux experts de s'exprimer sur la probabilité des résultats et non sur la probabilité des propositions. La cour d'appel anglaise a parfaitement identifié le problème. Si un expert commet la transposition du conditionnel, cela peut constituer un motif de recours. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE]