[MUSIQUE] [MUSIQUE] Dans la leçon précédente, nous sommes allés rencontrer des parents et des familles qui nous ont expliqué leur première inquiétude quand ils avaient des difficultés par rapport à un éventuel diagnostic d'autisme chez leur enfant. Dans cette leçon, nous allons venir rencontrer une pédiatre qui va nous raconter comment ça se passe dans son cabinet. En général, les pédiatres c'est vraiment les premiers interlocuteurs des familles quand ils ont des inquiétudes par rapport à leur enfant, mais leur travail n'est pas facile. Pas facile, parce qu'ils ont relativement peu de temps même s'ils connaissent la famille depuis longtemps pour pouvoir voir ces signes dans le cabinet, aussi parce que l'enfant peut être éventuellement sensibilisé dans un cabinet dans lequel on va l'examiner. On va éventuellement lui faire des vaccins et donc ce n'est pas forcément les meilleures conditions pour observer le développement de sa socialisation. Donc le travail du pédiatre repose aussi beaucoup sur ce qu'il peut investiguer dans l'histoire de la famille, ce que les parents peuvent raconter par rapport à l'histoire de cet enfant. Certains parents peuvent être extrêmement justes dans leurs observations, d'autres parents peuvent avoir plus de difficultés à identifier quelles sont les choses qui sont pertinentes par rapport à un trouble du développement. Ça pose vraiment toute la question du défi parce qu'on peut être tenté de se dire qu'on attend que l'enfant grandisse pour que les signes soient plus clairs. Malgré tout, on sait que plus on intervient précocement et plus il y a des améliorations qui peuvent être attendues quand un traitement est mis en place pour cet enfant. Donc il y a vraiment un défi à pouvoir identifier très précocement des signes dans un contexte dans lequel il peut être difficile parfois de les voir. Pour ça, nous allons venir rencontrer la doctoresse Cruzado, qui est une pédiatre installée à Genève depuis 15 ans et qui va nous parler un petit peu de son expérience. Merci de prendre le temps d'être avec nous et de nous raconter un petit peu comment ça se passe pour vous. Est-ce que vous pouvez nous raconter quand vous recevez une famille qui a des inquiétudes par rapport à des signes d'autisme comment est-ce que vous procédez? Quel est votre travail? >> En effet quand je reçois une famille qui a des inquiétudes concernant le développement de leur enfant surtout dans le domaine du langage, communication, interaction sociale, pour moi ça va être un signe d'alerte majeur de trouble du spectre autistique et je vais les prendre très au sérieux et entreprendre une anamnèse très détaillée. On va revoir ensemble toutes les étapes du développement de leur enfant. Je vais essayer de voir pourquoi ils sont inquiets, depuis quand ils sont inquiets. Je vais m'attarder sur les interactions sociales de l'enfant, comment il se comporte en société, comment il est intégré s'il est intégré en crèche, comment il va jouer, comment il va s'alimenter, comment il va dormir. Une fois que j'ai revu tous ces paramètres avec les parents, je vais avoir une idée s'il y a une suspicion de trouble du spectre autistique ou pas et je vais procéder à un examen clinique de l'enfant et ils ne sont pas très faciles à examiner. >> Dans l'examen clinique, quand vous observez cet enfant, sur quoi est-ce que vous vous basez pour pouvoir vous faire une opinion? >> Je vais me baser sur son comportement vis-à -vis de sa maman. Est-ce que c'est un enfant qui est très attaché à sa maman? Ou est-ce que c'est un enfant qui va rentrer dans le box de consultation? Il va explorer les jouets. Est-ce que, si je lui demande de me ramener un objet, il peut me le ramener? Est-ce qu'il peut encastrer? Est-ce qu'il peut pointer du doigt? Si moi je lui montre un objet, est-ce qu'il va détourner son attention? Est-ce qu'il va rechercher le regard de sa maman? Ça va ma donner une idée sur le fonctionnement de cet enfant-là . En sachant que c'est difficile parce que la consultation dure en général 30 minutes et elle comprend non seulement le volet développement mais également le chapitre alimentation, sommeil, vaccination, digestion. Donc pour le pédiatre c'est difficile par moment de prendre son temps que pour le développement. >> Oui. Qu'est-ce qu'il y a comme outil qui peut vous aider par rapport à ça pour pouvoir focaliser un petit peu votre examen, que ce soit dans les questions aux parents ou dans l'examen de l'enfant? Est-ce que vous avez des supports? >> Oui. Nous, tous les pédiatres, on travaille avec des checklists qui sont fournies par la Société Suisse de Pédiatrie. On va cocher toutes les étapes de développement de l'enfant à des âges clés. Donc on a depuis l'âge de un mois. Par exemple à deux mois on va s'attarder sur le contact de l'enfant. Est-ce qu'il y a un sourire réponse? Est-ce qu'il y a un babillage qui est très important pour dépister les troubles du spectre autistique? À quatre mois, on va s'intéresser à savoir si l'enfant rit aux éclats, s'il attrape les objets, s'il commence à se tourner. À six mois, on va s'intéresser de savoir s'il commence à se tourner du dos sur le ventre, s'il va attraper ses pieds, s'il va également rire aux éclats et à 9 mois si l'enfant tient assis ou pas, s'il commence à se déplacer avec appuis et s'il répond à son prénom. À 12 mois, on va s'intéresser à savoir s'il pointe du doigt, s'il va imiter des gestes comme coucou, au revoir qui sont très importants pour dépister des troubles de l'autisme. À 15 mois on va savoir si l'enfant a marché, s'il commence à répéter des syllabes baba, papa, s'il commence à dire des mots. Mais avant 18 mois il est difficile d'établir un diagnostic pour le pédiatre et de suspecter forcément le diagnostic d'autisme. Par contre on va avoir des indices qui vont nous rendre attentive comme des signes d'alerte et on va être plus attentive lors du prochain contrôle. À 18 mois, on peut être certain ou en tout cas fortement suspecter le trouble de l'autisme. >> Quand à 18 mois vous avez une suspicion forte qu'est-ce que vous faites après? >> Quand j'ai une suspicion forte, je vais revoir avec les parents tous les signes inhabituels du développement et je vais les référer vers un centre de consultation spécialisé en autisme. Par exemple, à Genève on va collaborer avec le centre spécialisé en autisme et on a des formulaires types que nous allons remplir avec les observations des parents, avec mes observations en tant que pédiatre. On va envoyer cette demande et c'est le centre qui va convoquer les parents pour leur donner un rendez-vous et pour préciser le diagnostic. Mais en parallèle en attendant ce bilan, je voudrais m'assurer que l'enfant n'a pas d'autres troubles comme des troubles d'audition parce que c'est vrai que c'est des enfants qui ne réagissent pas à leur prénom et je voudrais être sûre que je ne loupe pas un problème de surdité. Également je vais les orienter vers un ophtalmologue puisque c'est des enfants qui n'accrochent pas du regard et je voudrais m'assurer qu'ils n'ont pas de déficit visuel. Après selon mon examen clinique, si j'ai un doute sur leur motricité, sur un déficit neurologique ou s'ils cassent leur périmètre crânien je vais peut-être demander une consultation chez le neuropédiatre. Bien évidemment avec l'examen clinique je vais chercher des signes morphologiques qui sont atypiques, notamment au niveau du visage, ou niveau des extrémités de la peau ou s'il y a d'autres signes associés au trouble du spectre autistique comme un retard intellectuel, comme des antécédents familiaux, je peux les adresser chez le généticien. >> Donc ça vous fait vraiment énormément de consultations à mettre en place, c'est vraiment vous qui êtes l'interlocutrice privilégiée de ces familles. Est-ce que des fois c'est difficile d'amener tout ça auprès des familles? C'est que c'est quand même une grosse étape pour ces familles d'arriver avec des inquiétudes et de se retrouver en sortant avec cinq, six consultations. Comment vous faites quand c'est un petit peu plus difficile à entendre pour les familles? >> C'est-à -dire que c'est difficile et en général quand j'ai des inquiétudes, j'essaie de convoquer les deux parents pour que la communication soit plus claire et que les parents entendent les deux la même version mais c'est vrai qu'en plus c'est des familles auxquelles je suis très attachée. Il est très difficile de leur dire que leur enfant est différent des autres et qu'il va présenter ces signes inhabituels et que ça va être un parcours plus difficile avec beaucoup de consultations. >> Ça arrive des fois que vous, vous soyez très inquiète et que les familles soient peu inquiètes? >> Oui. Il peut arriver que des fois les parents ne veulent pas entendre mes observations. Ils ne veulent pas entendre que leur enfant est différent. Donc je vais discuter longuement avec eux des signes qui m'inquiètent et je vais reprendre avec eux toutes les étapes de la communication, du langage, du jeu de leur enfant, s'ils ont par exemple des mouvements répétés, des jeux toujours les mêmes, par exemple aligner des petits jouets ou des sortes de mouvements comme des balancements du corps ou des battements des mains en ailes de papillon, je vais leur apporter toutes ces observations et leur dire voilà pourquoi je suis inquiète et leur dire que c'est très important qu'ils prennent mes observations au sérieux parce qu'on sait que pour ces enfants-là plus tôt on fait un diagnostic, plus tôt on intervient, meilleur va être leur pronostic. Donc c'est capital pour l'enfant d'être acheminé vers un centre de référence qui va aider les parents. >> Vous, vous avez l'impression que par rapport à ça c'est quelque chose qui changé dans les 15 dernières années depuis que vous êtes installée? >> Oui. Moi, j'ai l'impression qu'on dépiste plus facilement ces troubles du spectre autistique. On est plus attentif. Les parents également sont plus attentifs avec tous ces médias. Ils vont comparer leur enfant avec les autres. En plus avec l'intervention des collectivités de la crèche, les éducatrices vont assez vite rapporter aux parents leurs observations et leurs inquiétudes. [MUSIQUE] [MUSIQUE]