[MUSIQUE] Bonjour Isabel. Merci d'être ici avec nous. Donc nous parlions de l’hétérogénéité au sein du diagnostic de TSA. Nous savons donc qu'au cours des dernières années, le concept d'hétérogénéité a beaucoup changé, les critères diagnostiques pour les TSA changent aussi beaucoup. Donc nous nous demandions si vous pouviez nous en dire plus sur la façon dont ces critères ont changé, à quel point l'amélioration des connaissances au sujet de l’hétérogénéité a changée, et comment, d'après vous, cela a eu des répercussions sur la pratique clinique et la recherche sur les TSA. Et c'est une grande question parce que c'est un aspect très important des Troubles du spectre de l’autisme, comme vous le savez. L'idée du spectre était là depuis longtemps et c'est la psychiatre anglaise Lorna Wing qui a introduit l'idée d'un spectre de l'autisme par opposition à un seul concept, et je pense que nous avions ce concept dans notre esprit depuis pas mal de temps, mais le concept s'est développé. Nous reconnaissons donc maintenant l'autisme sous des formes beaucoup plus variées, nous reconnaissons des signes plus subtils chez les très jeunes enfants. Nous reconnaissons des signes plus subtils chez des personnes avec des compétences intellectuelles dans la moyenne ou supérieures à la moyenne. Donc Il y a eu des énormes changements en terme de notre sensibilité concernant les différents moyens pour les personnes atteintes de TSA de compenser leurs symptômes à travers les différentes tranches d’âge et en particulier entre les genres aussi. Parce que je pense que nous sommes maintenant beaucoup plus sensibles à la façon dont l'autisme peut se manifester un peu différemment chez les filles et les femmes. Donc le spectre n'a jamais été un spectre unidimensionnel, c'est un spectre qui rend compte de différences en termes de communication sociale et de comportements répétitifs et stéréotypés. Et puis superposé sur ce spectre, il y a les dimensions des compétences intellectuelles, des compétences linguistiques, et toute sorte d'autres variations individuelles. Donc nous savons maintenant que c'est un spectre, mais c'est un spectre complexe, pas une simple spectre qui nous place en haut ou en bas. Les symptômes de l'autisme peuvent se manifester de façon plus ou moins sévère. Mais la façon dont ça interagit avec les capacités intellectuelles des personnes, leur niveau de développement, qu'il s'agisse d'un nourrisson ou d'un adulte, qu'il s'agisse d'un garçon ou d'une fille, d’un homme ou d’une femme. Toutes ces choses affectent la façon dont l'hétérogénéité se manifeste. Donc je pense qu'en tant que cliniciens, nous devions devenir beaucoup plus sensibles à cela, pas seulement à l'hétérogénéité des manifestations, mais comme vous l'avez mentionné, à l'hétérogénéité dans le développement. Donc ce à quoi le TSA ressemble chez un jeune enfant peut en quelque sorte se transformer au fil du temps, tout en faisant encore partie du spectre. Mais la façon dont les comportements se manifestent, la façon dont les compétences sont démontrées changent au fur et à mesure que l'individu grandit, bien sûr, parce que nous sommes des êtres humains. Nous grandissons, nous nous développons nous acquérons
des compétences, nous mûrissons. Et cela change en soi la nature de l'autisme, et c'est notamment pour cela qu’il s’agit d'un trouble du développement, l’essence même du développement est le changement. Je pense donc que pendant un court moment, au début de l’histoire de l'autisme, les gens pensaient que c’était un trouble statique, une fois que vous l'avez, c’est pour la vie et c'est toujours la même chose. Et donc cela a mis des limites très étroites sur ce qu'on pensait de l'autisme. Et je pense que cette façon de penser a radicalement changé, certainement au cours des 30 années durant lesquelles je me suis occupée de personnes avec autisme. Vous avez participé à de grandes études sur la rigidité, et sur les critères diagnostiques aussi. Ces études ont eu un impact sur les critères diagnostiques des TSA, mais vous êtes aussi une clinicienne. Alors comment, toutes ces études et votre pratique clinique ont été directement affectés par ces changements dans les critères diagnostiques au fil du temps ? Je pense que l'essentiel, c'est que ça rend plus humble parce qu'il le faut, vous réalisez à quel point vous devez être sensible pour changer, et comment la réponse que vous donnez à un moment donné du développement peut changer, dans le sens que parfois, vous pensez qu'un enfant pourrait être à risque, et vous pensez qu'il pourrait se diriger vers un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme. Et parfois cela change et il se dirige dans une autre direction. Inversement, vous verrez peut-être une personne dont vous pensez qu’elle ne répond pas aux critères diagnostiques de l'autisme dans son jeune âge, mais avec les exigences des situations dans lesquelles l'enfant se retrouve en particulier à l'école ou avec ses pairs, avec d'autres enfants, le Trouble du spectre autistique devient plus évident parce qu'ils n'ont pas la capacité pour répondre aux exigences que l'environnement leur présente. Donc je pense que le changement principal a été la prise de conscience que nous avons vraiment besoin d'être sensibles aux différents profils, et à l'idée que ces différents profils changent au fil du temps chez un même individu. Donc je pense que ça a été une chose très importante pour moi, d'une certaine façon, ça vous rend moins confiant en tant que clinicien, [RIRES] en ce qui concerne un diagnostic ou non, quelque soit votre expertise dans le domaine. Parce que vous savez que ce n'est pas toujours exactement oui ou non. Il y a des nuances entre les deux, et le comportement humain ne peut pas être classé clairement dans un oui ou un non. Donc l'idée du spectre signifie que vous glissez le long d'une échelle. Donc je pense qu'il y a, oui ? Et donc je suppose que maintenant, toutes ces améliorations apportées permettent d’identifier les enfants ou les personnes atteintes de TSA avec plus de facilité. Donc si vous repensez au début de votre carrière, pensez-vous que certains de ces enfants ou ces personnes atteints de TSA n’ont pas été diagnostiqués parce que les critères étaient moins bien définis ou parce qu'on parle de signes plus subtils ? Certainement, bien sûr. Je pense donc que l'un des changements majeurs dans le domaine a été que beaucoup d'enfants qui auraient uniquement eu un diagnostic de déficience intellectuelle par le passé répondraient maintenant aux critères tant pour une déficience intellectuelle que pour un Troubles du spectre de l’autisme. Dans les premières années de ma carrière, les personnes avec des signes plus subtils du spectre autistique étaient plus susceptibles d'être perçus comme ayant un problème de santé mentale. Vous savez comme, des problèmes émotionnels ou des difficultés émotionnelles qui ont souvent été utilisés pour décrire les gens qui ont des difficultés sociales et qui sont mal adaptés et qui sont tombés dans des comportements répétitifs. Donc, je pense qu'il y a eu beaucoup de changements dans la façon dont le diagnostic est posé et cela fait passer des personnes d'une ancienne catégorie diagnostique à une plus récente. Et encore une fois, maintenant nous sommes beaucoup plus conscients que les individus peuvent entrer dans de multiples catégories diagnostiques. Donc je pense que nous sommes plus à l'aise avec l'idée que vous pouvez avoir un trouble du spectre de l'autisme plus autre chose, que ça soit un déficit de l’attention, un trouble de l'hyperactivité ou un trouble anxieux, ou un trouble obsessionnel-compulsif, en plus du TSA. Donc la complexité de la symptomatologie c'est parfois que les gens répondent aux critères pour des troubles multiples, et cela peut juste signifier qu'on ne sépare pas les comportements de la façon idéale, car le comportement est complexe. Oui, c'est vrai. Donc si nous pensons à tous ces gens qui n’ont pas reçu le diagnostic à tort au début de votre carrière, où pensez-vous qu'ils en sont en ce moment ? Ont-ils finalement reçu le bon diagnostic ? Pensez-vous que la pratique s’est améliorée au point que nous pouvons dire que tout le monde peut avoir accès à une pratique diagnostique correcte, ainsi qu’aux interventions et au soutien qui correspondent à ce diagnostic ? Je pense qu'il y a beaucoup d'adultes qui viennent juste d'avoir un diagnostic, et pour qui, si nous pouvions revenir en arrière, avec ce que nous savons maintenant, en voyant ces gens dans leur enfance, nous les aurions probablement diagnostiqués. Mais ils ne l'ont pas été quand ils étaient jeunes. Donc, je sais très bien qu'il y a des gens qui ont la trentaine, la quarantaine, la cinquantaine, et qui reçoivent un diagnostic d'autisme pour la première fois maintenant. Mais dans beaucoup de communautés, il n'y a personne ayant l'expertise pour diagnostiquer l'autisme chez les adultes, parce que dans le passé, c'était typiquement considéré comme le territoire de la psychologie de l'enfant, de la pédopsychiatre. Et donc, si ces enfants n'ont pas eu de diagnostic à l'époque, quand ils ont grandi, il n'y avait même pas un professionnel qui pouvait les recevoir. Je pense donc qu'il est relativement nouveau que les institutions de diagnostic reçoivent des adultes. Et c'est ainsi que certaines personnes obtiennent maintenant un diagnostic correct, mais je pense qu'il y en a beaucoup pour qui ce n’est pas le cas. Et je pense que les implications dépendent, encore une fois, de comment leur autisme se manifeste, de si leur comportement adaptatif est bon, de s'ils ont un emploi et de leurs compétences pour rester sur le marché du travail. Qu'ils soient en bonne santé mentale ou qu'ils se débattent avec quelque chose comme l'anxiété qui peut être assez dévastatrice pour les personnes avec autisme. Donc, je pense qu'il y a des débouchées très variées pour les personnes chez qui un diagnostic erroné a été posé ou qui n’ont pas été diagnostiqués dans leur vie. Merci, Isabel. Donc ce que vous dites, c'est que nous avons fait beaucoup d'améliorations dans la pratique diagnostique, je suppose, mais il y a encore du travail à faire, non ? Il y a encore beaucoup de travail à faire, particulièrement je pense avec les adultes, les filles et les femmes. Je pense que nous nous améliorons beaucoup pour détecter les signes du spectre autistique chez les jeunes filles et les femmes, mais je pense que ça va prendre du temps pour que ce domaine rattrape son retard en quelque sorte. Et puis nous continuons d'apprendre, il s'agit d'un domaine encore relativement récent, et nous l'inventons au fur et à mesure. Merci beaucoup, Isabel, d’avoir partagé votre expérience avec nous. Nous avons écouté le témoignage de la doctoresse Isabel Smith que, dans les 35 ans de sa carrière dans le domaine de l'autisme, elle a pu vraiment voir ces critères diagnostiques évoluer. Et nous avons vu qu'il y a effectivement eu de grandes avancées dans le domaine du diagnostic des TSA mais que la recherche et la pratique clinique doivent encore avancer afin de pouvoir mieux identifier les signes les plus subtils de TSA, comme ça peut être le cas chez ces personnes adultes, ou aussi chez les femmes atteintes d'un trouble du spectre de l'autisme dans lequel la symptomatologie peut être parfois plus légère ou plus différente, ou en tout cas plus difficile à identifier. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]