Plus tôt dans ce MOOC, nous avons invité la doctoresse Isabel Smith pour partager avec nous son expérience par rapport aux changements dans les critères diagnostiques et en particulier l'hétérogénéité comportementale des TSA et son développement dans les années. La doctoresse Isabel Smith est aussi une des investigatrices principales du Canadian Infant Siblings Study qui a une grosse cohorte, qui suit des bébés à risque de développer un TSA, donc des bébés qui sont dans une fratrie, et c'est une étude qui existe depuis plus de 25 ans. La doctoresse Smith fait partie de cette étude depuis 2000, et elle a acquis une certaine expérience et vraiment une expertise dans le domaine du diagnostic très précoce, en particulier en observant le développement de ces très jeunes bébés à risque. Dans cette étude, les deux gros buts de la cohorte sont de mieux définir l'émergence des symptômes de TSA chez les bébés à risque, donc même avant que l'établissement d'un diagnostic de TSA soit possible, et aussi d'évaluer l'efficacité des interventions précoces. Notamment, ils ont développé une intervention précoce qui est appelée le Social ABC, qui se base sur la guidance parentale, c'est-à -dire dans laquelle les parents sont accompagnés afin d'avoir des techniques qui visent vraiment à soutenir et à stimuler le développement de leur enfant. Donc, nous avons invité à nouveau la doctoresse Isabel Smith afin de partager avec nous son expérience clinique. Bonjour Isabelle. Merci d'être de nouveau parmi nous. Donc, ces études sur les frères et sœurs d’enfants TSA ont beaucoup changé la pratique clinique et de recherche, et nous a donné beaucoup de connaissances sur la façon dont les premiers signes de TSA émergent. Alors, savez-vous maintenant quand ces symptômes émergent et quand nous devons nous préoccuper sur le plan clinique pour un enfant au cours de ces deux premières années de vie ? Eh bien, nous en savons certainement beaucoup plus qu’auparavant, grâce aux divers études sur les frères et sœurs en bas âge, je pense. Je pense que l'une des choses importante cliniquement pour moi, c'est que c'est très rarement clair à six mois, ce qui est le moment où nous voyons les bébés pour la première fois dans notre étude. Occasionnellement, les parents sont inquiets à six mois, mais nous devons aussi garder à l'esprit que ce sont des parents qui ont déjà un enfant atteint d'autisme. Ils ont donc tendance à être très vigilants, donc ils peuvent remarquer quelque chose à six mois chez leur bébé, mais c'est peut-être quelque chose qu'on ne voit pas. Les études sur les frères et sœurs suggèrent qu’à neuf mois, certains parents remarquent vraiment des choses que nous ne voyons pas à travers nos observations car elles ne sont généralement pas prédictives à neuf mois. À 12 mois, chez beaucoup d'enfants, nous voyons des signes avant-coureurs. Récemment, j'ai vu un petit garçon qui a maintenant deux ans, il avait été vu dans notre étude pour la première fois quand il avait six mois. Et comme la plupart des bébés, nous n'avions pas de préoccupations. Il avait l'air de se développer de manière tout à fait typique. Ses parents qui avaient eu deux enfants plus âgés avec TSA, et un autre enfant sans TSA, acceptaient tout à fait le diagnostic, donc ils n'étaient pas trop inquiets à six mois. Ils n'avaient pas l'impression, ils ne pensaient pas que cet enfant était atteint de TSA. À 12 mois, il y avait des signes que son comportement n'était pas aussi bien adapté. Ils étaient un peu inquiets, nous étions un peu plus préoccupés à 12 mois parce que les choses ne semblaient pas tout à fait dans la norme. Il était difficile à calmer. Il était un peu irritable, un peu difficile pour lui de réguler ses émotions. Il ne communiquait pas autant que l'on pourrait s'attendre à 12 mois, mais rien n'était vraiment clair. Nous l'avons revu à 18 mois et nous avons pensé qu'il avait l'air mieux. Il était plus communicatif. Ses compétences cognitives semblaient plutôt bonnes, certainement mieux que celles qu’il présentait à 12 mois. À ce moment-là , ses parents voyaient à nouveau quelques signes, mais nous n’étions pas trop inquiets. Ainsi, les préoccupations à 12 mois pour nous semblaient plus importantes que les préoccupations à 18 mois. Et puis, lorsqu’ils sont revenus à deux ans, leurs préoccupations avaient augmenté parce qu'ils trouvaient que son comportement à la maison était assez difficile. Et encore une fois, ce manque de régulation où il pouvait partir au quart de tour, ce qu’on appelle des effondrements pour aucune raison apparente. Et encore un fois, il était très difficile de le calmer et de le ramener dans son état normal. Ils étaient très inquiets à ce sujet et à propos du fait qu'il avait commencé à se taper la tête, et apparemment, sans raison qu’ils pouvaient discerner, ce n’était pas prévisible. Et dans notre évaluation, nous avons découvert qu'il n'avait pas acquis de nouvelles compétences depuis ses 18 mois. Donc, bien que nous pensions qu'il avait l'air mieux à 18 mois, il n’avait pas progressé à ses deux ans. Et ainsi, il y avait des signes plus évidents d'autisme chez lui à deux ans qu'il n'y en avait à 18 mois. Donc je pense qu'une partie de la leçon à retenir, c'est que nous devons surveiller le développement de ces enfants parce que ces signes précoces peuvent s'estomper et revenir. Et nous devons écouter les parents, et lorsque des parents expérimentés ont des inquiétudes nous devons les prendre au sérieux. Et le fait que ce que l'on peut voir en clinique n'est peut-être pas exactement la même chose que ce que l'on voit à la maison. Et le tableau peut changer au cours d'une période d'environ six mois. Donc, pour la plupart des enfants, les choses sont claires parfois entre deux et trois ans. Ce petit garçon, je pense qu'il est sur le spectre de l'autisme, et nous ferons une autre évaluation quand il aura trois ans qui à mon avis, confirmera probablement ce diagnostic. À l'âge de deux ans, ce dont nous parlons, c'est du risque, ou du provisoire, ou une classification de préoccupations, fortes préoccupations. Parce que nous ne voulons pas nécessairement dire que c'est de l'autisme lorsque nous en sommes pas sûrs. Et je pense que c'est l'une des choses qui est difficile à comprendre pour les gens, c'est que parfois c'est cliniquement approprié de ne pas dire un oui ou un non clair si vous n'êtes pas sûr. Parfois, nous sommes certains et parfois nous ne le sommes pas. Et pour beaucoup de ces jeunes enfants frères et sœurs, ils peuvent naviguer entre la certitude et l'incertitude avant que cela ne devienne plus clair. C'est vrai, c'est vrai. Et l’autre question est que nous ne savons pas encore comment les symptômes de TSA ont un impact sur le développement général des enfants. C'est donc deux choses différentes à évaluer dans le développement des enfants atteints de TSA, et en particulier chez les enfants à risque de présenter un TSA et chez les bébés. Absolument, parce que nous savons que l'autisme peut interférer avec le développement juste par le fait que vous n'apprenez pas autant en regardant autrui. Si vous ne faites pas attention aux autres, vous n'apprenez pas d'eux. Donc nous avons des choses comme des problèmes d'imitation, les bébés qui ont un développement typique apprennent toutes sortes de choses rien qu'en nous regardant et puis ils le font. Le bébé voit, le bébé fait. Mais si un enfant ne regarde pas les autres gens, s'ils ne sont pas particulièrement intéressés par les autres, ils perdent cette voie de développement. Donc ils doivent découvrir les choses par eux-mêmes, mais ils n'apprennent pas aussi bien juste en observant les autres. Et c'est une différence développementale assez frappante qui peut avoir des conséquences plus tard. Bien sûr. Donc je suppose que cela nous mène à la discussion de l'intervention précoce et en particulier l'intervention précoce chez les enfants à risque. Parce que nous savons que parfois chez les enfants à risque, si on intervient tôt, avant même que le diagnostic puisse être confirmé, nous pouvons vraiment aider et soutenir le développement. Alors, qu’en est-il de ce petit garçon maintenant ? Ce petit garçon, nous l’avons référé à notre étude sur l’intervention que nous menons avec une méthode appelée « social ABC », qui a été élaborée par des membres de notre équipe du Groupe d'étude canadien sur les frères et sœurs, les Docteurs, Brian et Bryson. Et dans cette intervention, nous aidons les parents à interagir d'une manière positive avec leur bébé pour susciter l'intérêt social et les comportements de communication, ainsi que partager du plaisir, se sourire l'un à l'autre lors d'activités ludiques. L'intervention est donc axée sur l’interaction entre le parent et l'enfant d'une manière ludique qui promeut la communication et les comportements sociaux. Et nos études ont montré que c’est très efficace pour aider à changer le comportement des bébés. Nous ne savons pas à long terme qu'elle différence cela va faire pour ces familles, mais à court et à moyen terme, cela semble faire une grande différence en termes de soutien du développement social et communicationnel des enfants. Merci Isabelle. Donc, pour finir, parce que vous avez cette grande connaissance clinique et de recherche sur les frères et sœurs des enfants TSA, pouvez-vous nous dire en deux ou trois phrases ce que vous pourriez conseiller aux professionnels qui voient des bébés à risque ou des bébés qui ont un frère ou une sœur plus âgé(e) atteint de TSA ? Et que pourriez-vous conseiller aux familles qui sont dans cette situation ? Peut-être, l'une des choses les plus importantes pour les les cliniciens, c'est de faire confiance aux familles. Donc quand les familles sont inquiètes, il faut être très attentif et ne pas présumer que ce que vous voyez est aussi ce qu'ils voient eux. Donc je pense qu’il faut clairement communiquer avec les familles. Mais encore une fois, l'autre chose que je pense que nous avons appris est que le profil de l'enfant plus âgé peut influencer la façon dont les parents voient le bébé, dans un sens comme dans l'autre. Donc, les parents qui ont eu un aîné sévèrement affecté pourraient penser que le bébé va bien alors que ce n’est pas vraiment le cas, mais qu’il est plus modérément touché ou vice versa. Les parents peuvent penser que leur bébé va moins bien qu’en réalité car l'enfant plus âgé était seulement légèrement affecté. Donc je pense que ce qui est vraiment important c'est de penser au contexte de la famille et d'évaluer le développement du bébé au fil du temps, à la fois ce que vous observez, et ce que les parents rapportent. Et prendre ces préoccupations au sérieux et ne pas porter de jugements rapides. Ne donnez pas une réponse définitive trop tôt et rester ouvert à la possibilité que le comportement du bébé évolue. Alors, merci à vous. Et quel est votre conseil aux familles qui ont un deuxième enfant avant que le premier n'ait été diagnostiqué ? Oui, donc encore une fois, nous ne voulons pas que les familles suspectent le pire. Nous voulons qu'ils gardent une attitude positive envers le bébé, mais qu’ils soient conscients que s'ils observent quelque chose qui les inquiète, ils devraient consulter un clinicien et demander d'autres conseils. Parce que je pense que l'une des choses qui est le plus difficile pour les familles est l'ambiguïté et de ne pas savoir, ils ne font pas nécessairement confiance en leur propre point de vue, et ils veulent être entendus. Donc s'ils sont inquiets, ils devraient consulter. Mais si quelqu'un d'autre ne voit pas ce qu'ils voient, il ne faut pas prendre ça pour argent comptant non plus. Alors, travaillez en collaboration avec le clinicien pour surveiller le développement du bébé au fil du temps. Et soyez ouverts à l'idée que vous pouvez voir des choses différentes et qu’un contexte différent peut déclencher un comportement différent chez le bébé. C'est vrai, c'est vrai. Donc, les professionnels devraient faire confiance aux parents et les parents doivent se faire confiance. Oui, c'est une très bonne façon de le résumer. Je vous remercie. Merci beaucoup Isabelle d’avoir partagé ça avec nous. Je vous remercie.