[MUSIQUE] Bonjour. Dans la séquence précédente, nous avons parlé de l'accompagnement des familles en compagnie du Professeur Stephan Eliez, mais un aspect dont on parle un peu moins souvent c'est aussi l'accompagnement des fratries. Donc, à nouveau, je serai accompagnée de Stephan Eliez dans cette séquence, et nous aurons également la possibilité de visionner le témoignage des parents de Vittorio, un jeune de 19 ans qui a reçu un diagnostic de trouble du spectre de l'autisme et qui présente également un toc associé. Rebonjour Stephan. Avant qu'on commence, je te propose de nouveau qu'on visionne un premier extrait des parents de Vittorio, qui parlent de la fratrie et des difficultés qui peuvent également impacter la fratrie. Et justement, Vittorio, il a une petite sœur, comment est-ce que vous pensez qu'elle a été d'une certaine manière peut-être impactée ou influencée aussi par les difficultés de Vittorio? >> Oui, de façon très... >> Très forte. >> Oui, c'était assez je trouve brutal. >> Elle était la cible... >> Elle était la cible déjà de ses tocs, donc elle était impliquée de À à Z dans ses rituels et tout, elle devait faire face à ça tous les jours H24. Parce que nous, on a eu des périodes... >> Donc, Vittorio impliquait sa sœur dans ses rituels. >> Tout a fait, tout à fait, elle devait faire les rituels pour lui. Elle lui demandait des choses, elle était aussi un élément déclencheur d'angoisses et de tocs. Donc, tout était lié. Elle a été vraiment la cible pendant très longtemps de tout cet aspect-là . Donc, elle a dû prendre ça sur elle et elle était toute petite. Je trouve qu'elle a géré de façon admirable, parce que je ne sais pas comment elle a pu arriver là . Elle a développé aussi des stratégies de sauvetage pour elle-même, parce que elle n'aurait pas tenu le coup. Elle a développé une passion pour les chevaux. Donc, nous on l'a soutenu dans ça. Et elle le dit toujours aujourd'hui, elle dit, moi si je n'avais pas eu le cheval, je ne sais pas si j'aurais tenu le coup parce que ça a été vraiment très, très difficile, très lourd. >> Elle a aussi beaucoup aidé Vittorio, surtout dans la thérapie TCC aux États-Unis à lui provoquer des tocs, des expositions, elle est bien arrivée à gérer. >> Elle était mieux que nous. >> Elle était mieux que nous à ne pas répondre par exemple. >> Oui, à mettre en place les mises en exposition, les exercices, elle était beaucoup plus conséquente, beaucoup plus forte que nous. >> Dans ton expérience, comment est-ce que finalement la fratrie et la dynamique de la famille peut changer le rôle des frères et des sœurs en lien avec les difficultés d'un jeune qui a un TSA? >> D'abord, elle est évidemment très fortement impactée quand même par le TSA ou d'autres troubles du développement. Je pense qu'un élément qui est vraiment important, c'est que la fratrie puisse vraiment bien comprendre le trouble du spectre de l'autisme et qu'est-ce qui revient au trouble du spectre de l'autisme et aux troubles associés et qu'est-ce qui revient à la personne elle-même. D'expérience, la plupart du temps, les frères et sœurs qui ont de la peine à faire la part entre la personnalité du frère ou de la sœur qui a le TSA et le TSA ont tendance à attribuer un poids beaucoup plus important à la personnalité qu'au TSA. On peut se poser la question, pourquoi? Il y a probablement deux raisons. D'abord, ils ne connaissent pas forcément le trouble du spectre de l'autisme, ils ne savent pas exactement ce que c'est, comment ça s'exprime, et puis l'autre raison peut-être c'est aussi une forme de besoin, d'espoir aussi de se dire, mais si ça, ça n'appartient pas au trouble mais à la personnalité intrinsèque c'est que ça peut évoluer et finalement disparaître. Donc, je pense que ce sont les deux éléments qui doivent être pris en compte. Et en général, à partir du moment où ils comprennent mieux ce qu'est le trouble, ils comprennent mieux quels sont les éléments sur lesquels les thérapeutes essaient de travailler, les parents essaient de travailler, il y a quand même une adaptation qui est plus juste de la part d'un entourage, et aussi quand même une capacité à prendre en compte et à accepter ce qui est nécessaire pour que la personne avec le TSA puisse progresser au fond. >> Je te propose qu'on regarde un second extrait. Et comment vous pensez que justement les professionnels en tout genre pourraient accompagner aussi les frères et sœurs des jeunes qui ont un trouble du spectre de l'autisme? Qu'est-ce qui serait utile, vous pensez? >> Moi je pense aussi des workshops avec des explications et après avec différents outils peut-être aussi, je ne sais pas, proposer des lectures ou des vidéos, pour qu'ils puissent vraiment intégrer qu'est-ce que ça veut dire et puis aussi, des moments où ils peuvent s'exprimer >> Hors thème. >> Librement, parce que moi j'ai vu notre fille, elle a été muette en famille pendant 15 ans. Et puis, à chaque fois que j'allais vers elle, parce que je surveillais beaucoup, j'essayais un peu de lui trouver un espace aussi dans la famille, parce que lui il prenait vraiment tout l'espace. Et puis au final des fois, elle me disait, mais tu sais, moi je ne peux pas m'exprimer parce qu'il n'y a pas de place pour moi. Donc, moi mes problèmes, j'ai l'habitude de les gérer moi-même toute seule. Et c'est ce qu'elle a fait aussi avec le déménagement de TSA à Genève où elle a dû changer d'école, changer de langue et tout. Elle a tout fait toute seule. Nous, on n'avait pas le temps et l'énergie de pouvoir vraiment l'aider. >> On n'était pas importants. >> Et puis, nous on voyait qu'elle se gérait très bien... >> Que les choses se faisaient >> se faisaient toutes seules. >> De façon automatique. >> Mais après, on en a longuement parlé parce que moi j'ai voulu vraiment parler avec elle longuement de tout ça, et puis c'est là qu'elle a dit oui, maintenant là , je me rends compte que j'ai le droit aussi de m'exprimer dans la famille, que je peux avoir ma place. Elle le fait maintenant. Mais pour elle, elle a trouvé sa place tout de suite dans le sens qu'elle a vite compris qu'elle devait rester dans les coulisses, parce que elle fonctionnait, >> Elle organisait sa vie. >> des choses à gérer. >> Indépendante. Tout s'est bien passé à l'école primaire, cycle, elle a des super relations avec des copines. >> Moi j'ai une admiration pour elle. Moi je dis toujours, elle le mérite, parce que ce qu'elle a fait, ce n'était pas évident. Ce n'est pas évident. Une toute petite fille, et comment elle gérait. >> Elle restait en cachette mais elle se débrouillait très bien. >> Très, très bien. >> Dans ton expérience, est-ce que du coup c'est important de pouvoir accompagner aussi la fratrie éventuellement même sur le plan thérapeutique, et si oui, comment le faire mieux? >> Bon, d'abord, ce qu'on peut dire, c'est qu'au cours du temps, une relation d'une fratrie va énormément évoluer. En même temps, la compréhension de la situation par la fratrie. Ce qu'on voit souvent, c'est au fond des oscillations. Par exemple, il peut y avoir des périodes où la fratrie va vraiment avoir un vécu d'une injustice, c'est-à -dire le sentiment ou même la conviction que les parents aiment plus cet enfant auprès duquel ils passent tellement de temps, le temps souvent perçu par un enfant comme de l'amour. Et c'est difficile pour un enfant de comprendre qu'on soit obligé comme parent d'être en situation d'inéquité face à un enfant malade. Il y a toujours cette idée, les parents disent toujours, on vous aime tous pareil. Mais il y a un malentendu, on nous aime tous pareil mais il y a un enfant dont on s'occupe beaucoup plus. Et puis, par la suite, quand les enfants grandissent, il peut y avoir autre chose, qui est une espèce d'hypersollicitude vis-à -vis de l'enfant différent, vis-à -vis de ses besoins, ou comme le disent un peu les parents, un enfant qui se met en retrait pour laisser toute la place nécessaire à l'autre enfant ou aux parents. Au fond, moi je crois que ni l'une ni l'autre situation n'est souhaitable, on veut trouver une forme d'équilibre. Ce que je trouve intéressant c'est de pouvoir faire des rencontres avec la famille, et puis d'avoir une certaine souplesse dans ces rencontres. Il y a des moments par exemple où on va peut-être voir que la fratrie, la fratrie ensemble ou un des enfants de la fratrie pour lesquels ça peut être plus compliqué, d'autres moments où on verra toute la famille ensemble. Je crois aussi que ces moments de rencontre avec la fratrie, avec les parents, sont des moments qui permettent de discuter aussi de l'anticipation anxieuse du futur, que la fratrie, que les parents peuvent construire vis-à -vis de la trajectoire d'un enfant. Et je pense que si on arrive à avoir ces moments d'accompagnement, on peut vraiment désamorcer et dire les choses et ramener une forme d'équilibre ou favoriser, disons, l'exercice de trouver un pas équilibré sur la durée dans la dynamique au sein de la fratrie, entre la fratrie et les parents, voilà . Tu l'as mentionné juste avant. Finalement, une question qui vient souvent et qui concerne aussi un peu aussi la fratrie, c'est : qu'est-ce qui se passera une fois que les parents ne pourront plus s'occuper d'un jeune ou ne seront plus là ? Et je te propose qu'on visionne un dernier extrait en lien avec cette thématique. >> Parce que moi, je veux qu'elle puisse avoir une vie épanouie. >> Est-ce qu'elle anticipe parfois peut-être le moment où vous serez âgés >> Peut-être. Elle ne le dit pas, mais >> ou plus là pour >> C'est une arrière-pensée, c'est sûr. [DIAPHONIE] >> Elle ne le dit pas, mais je pense que c'est dans sa tête. Parce que nous, on ne l'évoque parfois pas de façon si explicite que ça, mais on dit parfois : oui, il faudra voir avec Vittorio qu'il soit quand même assuré pour le futur, que ce soit au niveau financier ou que ce soit au niveau du cadre de vie. Et peut-être moi, j'ai déjà peut-être dit : il ne faut pas que ça retombe sur Viviana. Peut-être qu'elle a entendu. Je pense que c'est peut-être déjà arrivé que l'argument soit dans l'air. Et dans sa tête, peut-être, je pense qu'elle le pense. Elle dit maintenant qu'elle aimerait plus tard devenir psychologue ou neuropsychologue et s'occuper en particulier des enfants autistes. >> [INCOMPRÉHENSIBLE] >> Oui. Elle dit : moi, je pense que j'ai déjà des compétences. Je dis : ça, c'est sûr. [RIRE]. Mais moi, j'aimerais beaucoup, elle me dit, pouvoir aider les autres dans ce sens-là . Et je pense que là , il y a son vécu vraiment qui est là . Après, elle changera peut-être encore d'avis, elle n'a que 16 ans, mais elle l'a déjà dit à plusieurs reprises. >> On voit que cette transition à la période de qu'est-ce qui se passe après les parents, elle est quand même importante. Comment est-ce qu'on peut accompagner la famille dans ces réflexions-là , et la fratrie aussi? >> C'est toujours cette même thématique qui consiste, naturelle pour tout parent, et surtout quand on a un enfant vulnérable, de se dire : mais qu'est-ce qui va se passer avec cet enfant le jour où potentiellement on ne sera plus là ? Une des idées, une des pensées qui peut aussi être reprise par la fratrie c'est l'idée que les frères et sœurs vont être amenés à porter la continuité des parents. Aujourd'hui, dans la réalité, ça arrive très peu. Même si tout un système familial peut anticiper ça avec une certaine anxiété, dans les faits, les parents portent la plupart du temps le projet de l'enfant, accompagnent l'enfant, même s'il est relativement autonome, à un âge suffisamment avancé pour que le projet soit extrêmement stable. Et on peut dire en général qu'au moment où les parents ne sont plus en mesure d'accompagner ce projet, il a vraiment toute sa structure. En fait, la subsidiarité des frères et sœurs, elle est souvent beaucoup moins importante que tout le monde l'avait anticipée. Il n'en reste pas moins que c'est une question légitime. Le deuxième élément qui me semble vraiment important c'est que les parents mentionnent comment cette expérience qu'a vécue la sœur a changé son regard sur elle-même, sur son engagement, sur le sens aussi, sur ses valeurs. On voit cet engagement magnifique de cette sœur et ce que cette expérience a pu lui amener, et a certainement changé d'une façon unique dans le choix de son existence, dans le choix de ses valeurs. >> Parfait. Merci beaucoup, Stephan, pour cet échange. >> Merci. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]