[MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour. Dans la séquence précédente, nous avons évoqué avec Céline Chatenoud l'importance de développer l'auto-détermination chez les jeunes avec un trouble du spectre de l'autisme. Elle a brièvement évoqué dans cette séquence le travail qu'elle a effectué au sein des communautés d'apprentissage au Québec. Dans cette séquence, nous aurons l'occasion d'entendre une interview entre Céline Chatenoud et Catherine Charrette au sujet de ces communautés d'apprentissage, agrémentée de nombreux exemples pratiques. >> Bonjour. C'est un plaisir de se retrouver avec Catherine Charrette aujourd'hui, qui est de l'autre côté de l'océan. J'ai travaillé avec elle au Québec dans une communauté d'apprentissage scientifique dans une recherche qu'on a conduite avec Martin Caouette de la Chaire handicap et auto-détermination de l'université du Québec à Trois-Rivières. Et dans le pôle pratique des collaborateurs du terrain, Catherine était là pour nous aider à faire le lien entre les aspects théoriques et la façon dont on peut mobiliser ces connaissances sur le terrain. Bonjour Catherine. C'est un plaisir de te revoir. >> Je suis contente de te revoir. Juste en rappel, à cette époque j'étais conseillère pédagogique dans une commission scolaire. Mon rôle était de former et d'accompagner les enseignantes dans la mise en place de pratiques pédagogiques efficaces, dont celle de promouvoir l'auto-détermination des élèves ayant une DI ou un TSA. La communauté d'apprentissage dans laquelle nous avons tous les deux participé avec Martin Caouette nous a permis de connaître les représentations que se font les enseignants de l'auto-détermination. Comme représentation, on a défini le terme représentation comme la recherche des connaissances des enseignantes sur l'auto-détermination, leurs croyances et leurs opinion au sujet de celle-ci, et aussi les pratiques pédagogiques qu'elles mettent en place pour promouvoir l'auto-détermination, donc les pratiques qu'elles rapportent dans leur quotidien d'enseignantes. Ce qu'il faut savoir c'est que le programme éducatif qui est utilisé au Québec auprès de ces élèves propose de développer des capacités liées à l'auto-détermination, alors que celle-ci doit être vue d'une façon plus large et s'inscrire dans des pratiques plus globales, selon nous. >> Tu dis, on a été voir ces représentations des enseignantes effectivement sous la forme des connaissances, des croyances et des pratiques. Mais en gros, qu'est-ce que ça veut dire? C'est quoi les représentations que se font les enseignantes de l'auto-détermination? >> D'abord, si on regarde plus spécifiquement les connaissances des enseignantes, on voit que les enseignantes voient l'auto-détermination avec des connaissances qui sont plutôt segmentées et axées sur les comportements attendus des élèves. [INAUDIBLE] théorique se fonde surtout sur des manifestations individuelles de capacités, comme par exemple la capacité à faire des choix. Souvent, les enseignantes nomment le fait de faire des choix comme une manifestation importante de l'auto-détermination. Quand on parle de faire des choix, c'est que les élèves soient capables de choisir une activité, un jeu, choisir ce qu'ils vont manger, par exemple. Nous adhérons plutôt à l'idée selon laquelle l'auto-détermination devrait être un principe pédagogique qui devrait influencer les pratiques éducatives auprès de tous les enfants incluant ceux qui ont un trouble du développement. Selon nous, l'auto-détermination ne devrait pas correspondre à une suite de capacités à développer comme une liste à cocher. C'est sûr qu'afin de préparer les jeunes à la transition vers la vie adulte, il faut, bien entendu, qu'ils développent leur autonomie par l'apprentissage d'habiletés concrètes nécessaires à la vie quotidienne, comme être capables de se faire à manger, être capable de s'organiser, d'accomplir des tâches du début à la fin, mais ils doivent aussi apprendre à se connaître pour pouvoir faire des choix véritablement liés à leurs intérêts. Ils doivent être en mesure de croire en leur potentiel. D'ailleurs, les enseignants qui ont participé au projet ont pris conscience de certaines de leurs croyances qui peuvent influencer le potentiel qu'elles voient chez leurs élèves. >> Quel genre de croyances elles ont? Qu'est-ce qu'elles pensent qui peut influencer ou qu'est-ce qui influencerait le développement de l'auto-détermination selon ces enseignantes? >> Par exemple, les enseignantes nomment que les difficultés de communication et d'interactions de leurs élèves peuvent être un frein au développement de leur auto-détermination. Selon elles, on doit miser beaucoup sur l'apprentissage de moyens alternatifs pour développer la communication, que ce soit l'apprentissage de la communication par des gestes, avec le soutien d'aides technologiques. Mais ça va plus loin que ça. Il faut essayer de trouver des façons différentes d'interagir avec les élèves. Il faut qu'on travaille au niveau de l'interaction pour que les élèves puissent se faire comprendre, oui par le biais du langage verbal quand c'est possible, mais pour certains, ce sera plus le langage non verbal et paraverbal qu'on va devoir aller développer. Certains élèves ont très peu d'habiletés de communication. Si on pense à certains élèves qui ont une déficience intellectuelle plus importante, ou un trouble de l'autisme qui est très envahissant au niveau de la communication, qui fait que c'est difficile pour eux d'entrer en relation avec les autres. Mais ces élèves-là , ça ne veut pas dire qu'ils ne sont pas capables d'interagir ni de s'auto-déterminer. Pour les enseignantes, parfois, elles voyaient moins d'auto-détermination, moins de possibilités d'auto-détermination chez ces élèves-là , alors qu'elles ont pu constater, en expérimentant certaines activités, que certains avaient quand même plus de potentiel. Par exemple, dans un des milieux qu'on a accompagnés, les enseignantes ont choisi de laisser les élèves, ce sont des élèves polyhandicapés, dont avec des limitations physiques ou intellectuelles quand même importantes, elles les ont laissés se déplacer seuls dans l'école, alors que normalement, les déplacements se faisaient toujours accompagnés, souvent en un pour un même. Et elles les ont laissés explorer ces déplacements-là de façon autonome, en assurant bien entendu leur sécurité et tout. Mais elles ont été vraiment surprises de constater que certains de leurs élèves pouvaient non seulement se déplacer seuls, mais aussi ils étaient capables de signifier où ils allaient, soit par des gestes, des mimiques, des regards. Il y en a qui ont vu aussi leurs élèves interagir davantage avec leur environnement, beaucoup plus que lorsqu'un adulte les accompagne probablement, parce qu'ils se fient aux adultes autour et se laissent porter par l'adulte qui l'amène au bon endroit. Alors que là , ils avaient eux-mêmes à se mettre en action. Et elles ont été vraiment étonnées de voir que certains élèves arrivaient à interagir beaucoup plus. >> Je me souviens de cette situation. C'est une espèce de déconstruction de cette croyance que l'auto-détermination est réservée à certaines personnes qui ont un trouble du développement. >> Oui. >> Et puis, est-ce que concrètement, à la fois j'ai l'impression, aller chercher ces croyances et développer des intérêts, et mettre un cadre au développement de l'auto-détermination, est-ce que tu peux nous dire quelque chose par rapport à ce qu'on a fait et ce qu'on a vécu, par rapport aux pratiques concrètement encore? Tu as donné un exemple, mais un autre exemple. >> Oui. Les enseignantes qui ont participé à la communauté nous ont dit que cette participation les avait amenées à mettre en place des pratiques pédagogiques plus souples en laissant plus de place aux élèves. Il a d'ailleurs été démontré que les enseignants qui enseignent dans les environnements moins restrictifs, qui donnent un peu plus de liberté aux jeunes, sont davantage convaincus que leurs élèves peuvent s'auto-déterminer. Donc, ça a un effet sur leurs croyances aussi [INAUDIBLE] plus de place, comme dans l'exemple que j'ai rapporté tout à l'heure. Les participantes à notre recherche commencent à réfléchir à une place de l'auto-détermination dans leurs classes sans [INCOMPRÉHENSIBLE] dans le même sens. Elles voient les avantages d'être moins contraignant, d'avoir une approche plus souple. Elles se rendent compte que le fait d'être plus flexibles leur permet de voir leurs élèves d'un autre œil. Par exemple, elles peuvent voir certains comportement qu'on peut appeler dérangeants, comme par exemple celui de sortir de la classe sans autorisation, comme une manifestation d'auto-détermination au lieu d'un comportement perturbateur. Sans dire qu'il faut laisser les élèves sortir sans autorisation ou avoir des comportements qui peuvent déranger. Ce nouveau regard sur le comportement influence grandement les interventions qu'on va mettre en place pour motiver ou diminuer ce comportement-là . Par exemple, pour un élève qui a souvent envie de sortir de la classe, le fait de le voir comme une manifestation d'auto-détermination peut faire en sorte qu'au lieu de l'interdire, on va mettre en place un système où l'élève a des moments où il peut sortir, ou un système de communication pour qu'il puisse nous signifier qu'ils ont besoin de sortir. Qu'on puisse essayer aussi de creuser un peu les raisons pour lesquelles il a envie de sortir, et peut-être de voir que finalement il y aurait un besoin réel derrière ce comportement, d'aller boire de l'eau, d'aller à la toilette, par exemple. Donc, de voir que finalement, peut-être que ce comportement qu'on percevait comme plutôt négatif nous montre que l'élève communique et souhaite répondre à ce besoin. Donc, c'est de rester à travers ces comportements, de mettre un certain cadre, une certaine balise. Parce qu'évidemment, tout n'est pas permis. Par contre, de poser un regard différent sur ces comportements-là a vraiment amené les enseignantes à réfléchir aux activités qu'elles offrent à leurs élèves et à la place qu'ils ont pour manifester leurs besoins et leurs intérêts. >> D'ailleurs, ça me fait penser à quelque chose, cette histoire d'aller voir les intérêts et d'offrir un degré de liberté aux élèves. Moi, quelque chose qui m'avait frappée comme chercheuse c'est aussi de voir que tout d'un coup, les enseignantes s'étaient mobilisées comme communauté. C'est-à -dire qu'il y avait aussi toutes ces idées, parce qu'on a cherché à développer de nouvelles pratiques, de décloisonnement. Est-ce que tu pourrais, pour conclure, nous expliquer ça, et puis mettre en avant cette idée de communauté qui favorise l'auto-détermination? >> Oui. En fait, les enseignantes, quand elles ont constaté qu'elles voulaient laisser plus de place aux intérêts des élèves, elles se sont rendu compte que ça pourrait être intéressant de travailler davantage en équipes, donc entre enseignantes de différents groupes, et d'éclater par contre ces groupes-là selon les intérêts. Elles ont organisé, par exemple, une journée où les enfants pouvaient aller choisir des activités différentes qui leur étaient offertes. Ils pouvaient sortir de leurs classes et aller avec d'autres élèves, créer des liens avec d'autres enseignantes aussi. Et ça a fait en sorte que ces jeunes sentaient plus qu'ils faisaient partie d'une communauté où ils pouvaient être vraiment eux-mêmes et choisir des activités. Il y avait des moments dans la vie scolaire où ils pouvaient vraiment choisir et nommer leurs besoins et leurs intérêts, et participer à des activités qui leur convenaient davantage. C'est sûr qu'à long terme, ce sont de jeunes adultes, probablement, qui vont être encore plus conscients de qui ils sont et de ce qu'ils ont envie de faire, parce qu'on va leur avoir laissé la chance de le faire. >> Merci beaucoup, Catherine, pour ton témoignage. Je pense que c'est utile pour réfléchir à nos pratiques. Et à bientôt! >> À bientôt! [MUSIQUE] [MUSIQUE]